Intervention de Jacques Percebois

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 17h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jacques Percebois :

Si vous le permettez, je dissocierai le coût du nucléaire et l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH).

En tant que membre de la commission Champsaur, j'ai eu l'occasion d'étudier de près le sujet de l'ARENH. La Cour des comptes, dont tout le monde considère qu'elle fait autorité, indique que le coût moyen de production du MWh nucléaire, pour les 58 réacteurs qui existent en France, représente de 50 à 60 euros sur la durée de vie. Normalement, ce coût comprend celui de déconstruction des réacteurs en fin de vie et celui du stockage des déchets. Mais la Cour s'avère prudente sur ce point, en considérant qu'EDF a légalement l'obligation de constituer des provisions pour le démantèlement et pour le stockage des déchets. À l'époque, la ministre Mme Royal avait arrêté le coût du stockage à 25 milliards d'euros. D'autres, comme l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), prévoyaient un coût supérieur. Aujourd'hui, il est officiellement arrêté à 25 milliards d'euros. Mais, la Cour des comptes le dit bien, s'il est faux d'affirmer que l'on n'en tient pas compte, il n'est pas certain en revanche que les provisions suffiront. En effet, personne n'est aujourd'hui capable de dire que le coût de déconstruction sera bien celui qui a été anticipé. Le producteur argumente que l'on saura déconstruire les centrales en bénéficiant d'économies d'échelle, à l'instar de ce qui s'est passé pour leur construction. Ce n'est pas nécessairement garanti. Quant au coût de stockage, il est trop tôt pour se prononcer. En tout cas, il est faux de dire que l'on n'en tient pas compte.

Pour l'ARENH, la logique est différente. Il ne faut pas perdre de vue le contexte. Lorsque le marché s'est ouvert le 1er janvier 2000, les industriels ont pu quitter EDF dans de bonnes conditions dans la mesure où le prix du pétrole était bas – et donc celui de l'électricité faite avec du pétrole et du gaz l'était également. Ils étaient très contents ! Mais à partir de 2004, le prix du pétrole a monté, de même que ceux du gaz et de l'électricité. Les industriels se sont alors plaints et ont souhaité revenir aux tarifs réglementés de vente (TRV) – TRV vert et TRV jaune. Il leur a été répondu que ce n'était pas possible. La loi et la directive sont très précises à ce sujet : il est interdit de revenir en arrière. Par conséquent, le législateur a voté le tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché (TARTAM), calé sur le TRV jaune et le TRV vert avec 10 %, 20 % et 30 % de plus. Évidemment, la Commission de Bruxelles a considéré que cela ne respectait pas les directives et correspondait à une subvention d'État – puisque le surcoût du TARTAM était financé par EDF. Une action en justice a donc été conduite contre la France.

C'est alors que le Gouvernement a créé la commission Champsaur, composée de parlementaires et d'experts, dont j'étais. À l'époque, l'objectif visait à maintenir des prix de l'électricité calés sur celui du nucléaire français. Après tout, les Français ont payé pour le nucléaire, il faut bien qu'ils en profitent ! Si c'est pour payer le prix du marché international, ce n'était pas la peine de faire cet effort en faveur du nucléaire. Dès lors, comment faire en sorte que le consommateur, industriel ou particulier, continue à bénéficier de ce tarif, tout en permettant aux concurrents d'EDF – qui n'ont pas de nucléaire et qui ne peuvent légalement pas en produire – d'entrer sur le marché ? Deux solutions étaient envisageables. La première consistait à taxer EDF, qui disposait d'un avantage compétitif, en prélevant une rente nucléaire de rareté. C'est le système qui a été adopté en Belgique. En France, en revanche, la commission Champsaur a retenu la seconde solution : obliger EDF à vendre près de 25 % de sa production, c'est-à-dire 100 TWh, à prix coûtant. Il convient de préciser ici que le prix coûtant n'est pas le prix moyen, puisqu'une grande partie du parc est amortie. Il s'agissait de permettre aux concurrents d'EDF de se sourcer sur la base du nucléaire EDF à prix identique au prix de revient pour cet acteur. Le rôle de la deuxième commission Champsaur a donc consisté à étudier les coûts du nucléaire pour EDF, pour finalement proposer un prix de 39 euros le MWh ou du moins une fourchette comprise entre 30 et 40 euros. Comme le rapport a été remis au moment de la catastrophe de Fukushima, le ministre de l'époque a décidé qu'il serait de 40 euros pour les six derniers mois de 2011, puis de 42 euros à compter de 2012. Ce n'est pas la CRE qui l'a décidé, mais le ministre. Depuis, il est resté à 42 euros.

Nous attendions un décret, qui n'est paru que très récemment et qui n'est d'ailleurs toujours pas officiel, précisant la façon dont la CRE devait calculer le niveau de l'ARENH. Mais nous n'avons pas eu vraiment besoin de nous préoccuper de l'ARENH dans la mesure où les prix du marché de gros ont chuté – possibilité que la commission Champsaur n'avait pas vraiment prévue, car nous étions en surcapacité avec beaucoup d'injection d'électricité renouvelable et une demande d'électricité relativement stable. L'erreur a été de croire que la demande d'électricité augmenterait : elle est stable depuis dix ans en France. Elle a même légèrement baissé. Cela signifie que l'on n'avait pas vraiment besoin de nouveaux équipements.

Comme il y a eu beaucoup d'injection en Europe, notamment de la part des Allemands, puisque les marchés sont interconnectés, les prix sur le marché de gros ont baissé. Et à certains moments, les concurrents d'EDF n'avaient pas besoin d'acheter de l'ARENH. D'autant qu'il s'agit de ce que l'on appelle une option gratuite : ils ne la demandent que quand ils en ont besoin – ce qui, d'ailleurs, est discutable. En principe en effet, une option doit avoir une contrepartie. Ici, l'acheteur décide d'acheter ou non de l'ARENH. Et s'il n'en achète pas, il laisse le producteur se débrouiller avec son électricité.

Toutefois, depuis 2019, le contexte a changé puisque les producteurs alternatifs anticipent la montée du prix sur le marché de gros et ont demandé de l'ARENH. Pour la première fois cette année, la demande d'ARENH a été de 130 TWh alors qu'elle est d'ordinaire plafonnée à 100. La CRE a été obligée de mettre en oeuvre une stratégie de prorata pour baisser les revendications de chacun. Que faire, maintenant ?

Les alternatifs considèrent qu'il faut plus d'ARENH et demandent jusqu'à 150 TWh. Mais il faut être cohérent : si l'on demande à EDF de baisser la production nucléaire, on ne peut pas en même temps l'obliger à vendre plus d'électricité nucléaire à ce prix-là !

D'autres considèrent qu'il faut augmenter le niveau de l'ARENH. Mais avec quel seuil et par rapport à quel prix ? Le coût moyen est une chose. Le niveau de l'ARENH en est un autre. Et il existe aussi le coût cash, qui permet à EDF de faire face à la gestion de son parc qui ne dépasse pas 32 à 33 euros. Ainsi, quand EDF vend son électricité au-dessus de 32 euros sur le marché, elle récupère en quelque sorte sa mise. En revanche, cela ne lui permettra pas de financer de nouveaux équipements demain. C'est cela, le problème. Aujourd'hui, les prix du marché couvrent les coûts de l'existant, même quand ils sont bas. Mais ils ne permettront pas de construire de nouveaux équipements. Certes, on peut répondre que ce n'est pas dramatique tant que la demande n'augmente pas et qu'on reste en surcapacité. Mais si la demande augmente, il sera difficile de faire face à de nouveaux investissements.

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