Intervention de Jean-Louis Masson

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Masson :

Aussi, d'une part, ne faudra-t-il pas vous étonner de devoir traquer les angles morts de vos choix ou, plutôt, de vos non-choix. Pour le texte qui nous concerne, gageons que d'ici quelque temps, vous aurez à reparler par exemple de l'absentéisme, de l'attractivité de la fonction publique, de la paupérisation de la recherche publique ou des entraves matérielles à la mobilité.

D'autre part, nous nous épuiserions à chercher des dispositions innovantes. Le recours aux contractuels est déjà en vigueur, tout comme le départ volontaire : vous n'en modifiez même pas la nature, mais seulement les modalités. Ce sont des occasions manquées de s'interroger sur les modalités de la rémunération des agents publics et d'y introduire – pourquoi pas ? – l'esprit de l'intéressement et de la participation.

Où sont les questions de fond ? Peut-on réformer la fonction publique sans réfléchir à la dépense publique ? Il y a précisément urgence à la réduire, tant pour notre souveraineté que pour ce que nous devons aux générations futures. Peut-on réformer utilement la fonction publique sans redéfinir auparavant le périmètre d'action de l'État, les structures et les moyens les plus efficaces pour assurer les missions de service public qui en découlent ? Peut-on réformer la fonction publique territoriale sans clarification préalable des compétences des administrations locales ? Peut-on réformer la fonction publique sans considération de proximité et, partant, sans une approche territoriale du sujet ? Peut-on réformer la fonction publique hospitalière en devançant l'adoption d'une loi présumée porter une conception aboutie de la santé du XXIe siècle, chère à Mme Buzyn ? De ces questions fondamentales, dont tout dépend, il n'est nullement question dans votre texte.

En resserrant le focus, d'autres interrogations structurantes apparaissent. Doit-on avoir le même statut lorsqu'on juge, qu'on garantit l'ordre, qu'on enseigne, qu'on compte, qu'on administre ou qu'on anime un centre aéré ou une maison de quartier ? Il faut appliquer ici une distinction selon des critères de souveraineté, et non d'honorabilité.

Faisons un pas de côté pour éviter un faux procès, sinon un faux pas. Envisageons un angle différent : soigne-t-on mieux, moins bien ou différemment selon qu'on est médecin, infirmière ou aide-soignante statutaire, agent contractuel – public ou privé – ou libéral ? Les mêmes interrogations se posent lorsque l'on conçoit ou que l'on entretient un espace public. Les réponses à ces questions dépendent davantage de la qualité individuelle et collective des personnes qui assurent ces missions que du statut dont elles bénéficient.

Quoi qu'il en soit, il paraît curieux de ne pas trancher sur ces points avant de se lancer dans une réforme efficace, juste et moderne de la fonction publique. Pourtant, comme trop de leurs prédécesseurs, c'est la facilité à laquelle cèdent le Président de la République et son gouvernement.

Laissons ces principes directeurs pour essayer de nous en tenir à celui du pragmatisme, de l'efficacité et de la tenue des engagements présidentiels. Un constat d'insuffisance tombe immédiatement. En effet, je le répète, la loi de transformation de la fonction publique porte bien mal son nom. Elle élude la question du statut et de son périmètre d'attribution. Soit, mais en outre, rompt-elle avec le principe de l'avancement à l'ancienneté ? Fait-elle la chasse à la multitude des statuts particuliers, alors qu'on souhaite par ailleurs, à juste titre, unifier les régimes de retraite ? Pose-t-elle la question du temps de travail, du pantouflage, du cumul de fonctions et de responsabilités, ou du cumul de rémunérations – lequel diffère de la problématique de leur encadrement ? Aborde-t-elle les zones grises constituées par la multiplication des structures satellitaires qui permettent de contourner les règles de plafonnement des salaires publics ? Pose-t-elle la question de la répartition entre fonctions support et fonctions opérationnelles ? Rien de tout cela, et rien qui nous autorise à penser que les objectifs du candidat Macron, à savoir la suppression de 120 000 postes, ont la moindre chance d'être tenus ! Au contraire, le renoncement à cet engagement par le Président de la République n'est qu'un demi-aveu, tant cette reculade est déjà contenue dans la non-réforme que vous nous avez présentée.

On pourrait objecter habilement que certaines dispositions relèvent du pouvoir réglementaire. Certes, mais n'était-ce pas justement l'occasion de restreindre cette possibilité exorbitante qui met les fonctionnaires en position d'édicter eux-mêmes les règles qui les concernent ? Une nouvelle fois, on se gargarise de mots et on braque le projecteur sur des mesures qui se veulent symboliques. Le dispositif des départs volontaires existe déjà et ne fonctionne pas. Les ajustements prévus n'auront pas davantage d'effet, dans la mesure où, par exemple, on ne s'inquiète pas de réformer en profondeur les règles de la disponibilité. Qui irait lâcher son statut quand il lui est loisible d'exercer jusqu'à dix ans, soit 25 % de sa carrière, ses talents hors de l'administration tout en conservant ses droits, notamment celui d'être réintégré d'office ? En outre, réinterroge-t-on la pertinence de la mesure ? N'est-ce pas là, en effet, un risque de subventionner le départ des meilleurs éléments et de travestir des retraites anticipées ? De fait, il est plus aisé de prendre la décision de lâcher votre statut lorsque vous avez un profil qui vous assure de vous recaser. Organiser la fuite des meilleurs à coups de deniers publics serait d'une cocasserie dramatique dans une période durable de ressources contraintes.

L'ouverture élargit le recrutement de contractuels. Le Conseil d'État rappelle utilement que les possibilités sont déjà nombreuses et s'inquiète de l'opacité des nouveaux critères prévus par le texte. Par ailleurs, on use ici de la même ruse stérile qui consiste à gesticuler autour du totem des 35 heures sans, bien sûr, jamais y toucher. On veut faire comprendre l'objectif de la dévitalisation du statut à une frange de l'électorat qui y est hostile en titillant les syndicats. Or, le Conseil d'État souligne clairement la réalité : la loi ne remet pas en cause « les grands principes qui gouvernent la fonction publique française, en particulier l'existence de statuts ». En outre, cette mesure, ciblée essentiellement sur l'encadrement, ne posera-t-elle pas un problème d'attractivité et d'évolution de carrière pour les meilleurs profils ? Pourquoi passer un concours pour se faire souffler les postes par des profils venus du privé ? Je n'y vois aucun problème de fond, sinon que la portée pratique est insuffisamment réfléchie.

Autre grand absent de la loi : l'usager. Passons sur l'évidente absence de concertation, pour constater amèrement que l'intérêt des administrés ne semble tenir aucune place dans ce texte – on en chercherait d'ailleurs vainement la trace dans l'exposé des motifs de la loi.

Le Gouvernement s'apprête donc à nous soumettre une loi d'ajustement technique, comme le constate également la Fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale. Dans le meilleur des cas, elle aboutira à la fluidification du dialogue social et à la consolidation des droits des fonctionnaires ou à leur renforcement, pour ce qui concerne en particulier le handicap, ce dont nous nous satisfaisons pour eux, mais sans pouvoir garantir par ailleurs que cela améliorera la qualité du service public, ce qui devrait pourtant être, je le rappelle, sa finalité prioritaire – et d'autant plus prioritaire que l'on se fait une haute idée du service de l'intérêt général, ce qui le cas des Républicains. Nul doute que cela ait stimulé l'esprit combatif des parlementaires du groupe LR, qui saisissent l'occasion de déverrouiller le débat, en particulier de réintégrer dans la discussion le cas de la haute fonction publique, laissé de côté par le projet de loi – curiosité qui ne s'explique que par le calcul politique ou, pire, par la capitulation anticipée.

La pratique du rétro-pantouflage – départ dans le privé et retour dans l'orbite de l'État – a démultiplié un entre-soi décisionnel insupportable. Il y avait un niveau d'exigence minimale, auquel vous n'êtes pas parvenus à vous hisser : celui de l'engagement de l'écrasante majorité des agents publics au service de l'intérêt général.

En outre, nous savons déjà que votre politique de Gribouille, qui n'arrangera rien, coûtera plus cher au contribuable, puisque vous avez notamment cédé aux syndicats des primes de précarité et un encadrement plus strict des ruptures conventionnelles.

C'est pourquoi nous réclamons le renvoi en commission de ce texte inabouti et impropre à entraîner la transformation que méritent le pays, ses administrés et ses fonctionnaires.

Merci de votre écoute attentive et disciplinée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.