Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 16h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale :

Madame Mette, les questions sur l'enseignement général en lycée professionnel mériteraient de très longs développements. L'enseignement professionnel est ma deuxième priorité après l'enseignement primaire, l'augmentation du nombre d'élèves, dont j'ai donné les chiffres, va dans le sens de la dynamique que nous voulons créer, qui est largement qualitative, et vous avez raison de mentionner l'enseignement général dans ce cadre.

Si ce n'était qu'une question de moyens, cela se saurait… Aujourd'hui, le lycéen professionnel est de loin celui qui coûte le plus cher. C'est aussi celui qui a le plus d'heures de cours, mais ce n'est en aucun cas synonyme de réussite. Aujourd'hui, nous en sommes à près de 34 heures de cours par semaine, et nous restons confinés dans une approche quantitative alors que nous devrions adopter une approche qualitative. J'assume qu'il puisse y avoir moins d'heures, mais meilleures, et qu'il faille aller vers un enseignement général plus efficace pour les lycéens, à la lumière de toutes les consultations que nous faisons sur ce point, y compris avec les organisations syndicales. C'est le sens d'une des propositions du rapport Calvez-Marcon sur la co-intervention, afin que l'enseignement général s'articule avec des enjeux concrets pour les élèves. Bien entendu, l'objectif poursuivi est le renforcement des compétences générales des élèves de l'enseignement professionnel ; encore faut-il agir avec discernement, en privilégiant cette approche qualitative indispensable.

Je sais que les professeurs de lycées professionnels en ont conscience et sont en accord avec ce que je dis ; je leur demande de bien entendre cette bienveillance absolue vis-à-vis de l'enseignement professionnel, et vis-à-vis d'eux-mêmes. Cela supposera des évolutions de tout ordre, mais qui seront positives pour les professeurs. Oui, il y aura des transformations, dans le sens d'un renforcement des compétences générales et des compétences concrètes professionnelles. Mais cela ne signifie pas la multiplication du nombre d'heures ou la reconduction à l'identique, car le bilan n'est pas positif dans certains domaines. Il faut là aussi faire preuve de discernement, les choses sont très différentes d'un endroit à l'autre et d'une section à l'autre. Nous avançons en finesse, mais le monde du lycée professionnel doit se sentir soutenu dans la période actuelle : il a le vent dans les voiles, si je puis dire. C'est dans cette posture psychologique qu'il faut avancer.

Madame Tolmont, j'avais eu l'occasion de répondre à M. Le Foll dans l'hémicycle sur votre question. Pour la Sarthe, les chiffres bruts en cette rentrée 2018 sont les suivants : moins 752 élèves, mais plus 42 ETP. Nous avons déjà fait plus dur pour d'autres départements de France… Il est possible qu'il n'y ait pas eu un parfait discernement pour identifier les lieux où des postes devaient être créés : il est probable que des évolutions s'imposent dans ce département. Mais on ne saurait en aucun cas décrire la politique suivie comme ayant sacrifié la Sarthe ou l'école primaire : c'est tout le contraire.

Je signale que je fais mienne la rentrée 2017, en dépit de vos propos, car il serait trop facile de nous reprocher un certain nombre de décisions budgétaires très difficiles prises au mois de juillet 2017, et de considérer que ce qui se passe en septembre de la même année relève de décisions magnifiques prises avant l'alternance politique… Il a bien fallu dégager les moyens. Nous étions d'accord avec les créations de postes à l'école primaire, preuve en est que nous sommes allés plus loin à la rentrée suivante.

Vous m'avez demandé le nombre de créations de postes à cette rentrée, c'est public et clair : 3 880. J'ai dû répéter ce chiffre plusieurs centaines de fois, mais il a du mal à « percoler » dans l'esprit public, et je ne suis pas toujours aidé par tous ceux qui interviennent sur cette question…

Je reviendrai sur l'ensemble des chiffres de la rentrée suivante. Nous n'avons pas éteint le dispositif « plus de maîtres que de classes » ; mais les choses peuvent varier d'un département à l'autre. Il est vrai qu'il y a désormais moins d'enseignants dans ce dispositif dans la mesure où certains sont entrés depuis dans celui du dédoublement. C'est un enjeu de ressources humaines plus que de postes : ces enseignants sont très contents de leur expérience dans le dispositif « plus de maîtres que de classes », et de leur arrivée subséquente dans le dédoublement. Les choses semblent se réaliser dans un sens logique et profitable.

Monsieur Sorre, vous savez à quel point je suis attaché aux SEGPA, je pense qu'elles sont loin d'être inadaptées aux besoins d'une partie de nos élèves. Je vous remercie d'avoir remarqué que tout le travail mené actuellement en amont fera qu'il y aura peut-être moins d'élèves en SEGPA dans le futur – en tout cas, il faut le souhaiter. Dans la situation actuelle, nous n'allons pas diminuer le nombre de SEGPA ni dévaloriser ce que représente le professeur des écoles spécialisé dans notre système scolaire ; je leur reconnais bien au contraire une compétence très importante, qui crée un pont entre le premier et le second degré. Ma politique sera toujours de valoriser les SEGPA, soyez-en certain.

Madame Charrière, il y aura plus de postes « profilés » dans les temps à venir : cela concernera des compétences spécifiques, nouvelles et originales dans le système scolaire, ce qui contribuera à sa modernisation. La capacité à travailler en équipe est fondamentale, de tout temps, et en particulier au XXIe siècle. C'est un réel défi pour nos élèves, nos professeurs, et le pays tout entier. Notre pays a de grandes qualités, mais nous entretenons un certain individualisme qui, s'il a des vertus, ne correspond pas à ce que nous souhaitons transmettre à nos enfants. Pour toutes sortes de raisons qui tiennent à l'idée républicaine et à l'épanouissement personnel et professionnel de chaque enfant, nous souhaitons transmettre la valeur du travail en équipe. Nous commençons dès l'école maternelle, et nous devons apprendre aux enfants à gagner à plusieurs, à connaître des réussites collectives.

Cela va de pair avec la formation des professeurs, qui doit permettre de développer le travail en équipe, et en faire la chose la plus naturelle du monde dans nos établissements scolaires. Ce n'est évidemment pas du tout antinomique avec l'excellence pédagogique et l'excellence disciplinaire dans le second degré, ou l'excellence pluridisciplinaire dans le premier degré, et cela va de pair avec la compétence collaborative. Cela fait partie des évolutions de la formation initiale que nous avons enclenchées.

Madame Anthoine, je reporte à début novembre mes réponses à vos questions sur la rentrée prochaine, d'autant qu'elles sont assez techniques. D'ores et déjà, je peux vous indiquer, comme je l'ai déjà annoncé, que nous allons développer les heures supplémentaires à l'occasion de cette rentrée. Autrement dit, compte tenu du faible nombre de suppression de postes au regard du million qu'en compte l'éducation nationale, il n'y aura pas de dégradation significative du taux d'encadrement dans le second degré. Nous avons choisi, et nous assumons de choix, de créer des postes dans le premier degré, pour les raisons que j'ai exposées. Il est vrai que la France dépense plus que la moyenne des pays de l'OCDE dans son second degré, et moins dans son premier degré ; nous voulons rééquilibrer cela. Nous assumons ce choix, et nous pourrons le documenter au cours de notre discussion du mois de novembre.

Monsieur Gérard, je note ce que vous avez dit sur la LGBT-phobie outre-mer et j'entends bien la spécificité du contexte. Je signale tout de même que c'est Saint-Pierre-et-Miquelon qui a remporté le concours de lutte contre le harcèlement, grâce à une très belle chanson et à un réel dynamisme. C'est donc qu'il existe des éléments positifs. Je vais néanmoins alerter les recteurs sur la nécessité de mener une approche spécifique, en complément de l'approche générale que nous souhaitons pour tout le pays. Je prends le point, comme on dit…

Madame Charvier, les écoles orphelines en REP représentent un vrai sujet pour lequel je suis sans arrêt sollicité. Nous devons réfléchir à cette question dans le cadre du rapport, afin d'éviter les incohérences en la matière. Il sera très difficile de changer les règles du jeu pour la rentrée prochaine. Nous allons réaliser une cartographie, de sorte que ces écoles bénéficient de dispositifs favorables. Cela n'interdit pas, tant s'en faut, dans le cadre de la préparation de la rentrée 2019 et avec les moyens supplémentaires que nous sommes en train de nous donner dans le premier degré, de prévoir un effort particulier pour ces écoles ! Le classement en REP et REP+ n'est pas l'alpha et l'oméga de toute politique volontariste pour les écoles qui rencontrent des difficultés sociales.

Monsieur Testé, vous avez appelé à l'affectation de nouveaux professeurs en REP et au fléchage des postes vacants, conformément aux propos tenus par le Président de la République, avant même son élection. C'est bien dans cette direction que nous allons, afin d'avoir plus de professeurs chevronnés en réseaux d'éducation prioritaire, de rendre les REP plus attractifs, notamment par le biais des primes, mais aussi d'y avoir davantage de réussites collectives : la prime n'est pas forcément attachée à la réussite individuelle du professeur, elle doit pouvoir être liée à la réussite collective de l'école. Nous travaillons sur ce sujet, afin que les moyens que nous mettons soient au service d'un progrès de l'institution.

Madame Thill, notre stratégie rurale est affirmée et comprendra plusieurs volets, que je ne saurais détailler en si peu de temps. J'ai mentionné les internats, tout à l'heure, et les écoles rurales. De façon plus générale, tout cela nous invite à avoir une vision démographique pour la France, en partant d'une situation qui n'est pas simple, puisqu'il manque chaque année 30 000 à 40 000 enfants. C'est ce sujet-là, qui ne concerne pas que l'éducation nationale, qui doit nous mobiliser. Une alliance doit se faire entre les collectivités et l'État. C'est le sens des contrats départementaux ruraux qui explicitent, département par département, la stratégie rurale pluriannuelle la plus adaptée. Nous développons une nouvelle génération de contrats de ce type, afin de mieux cerner la stratégie à adopter.

Monsieur Claireaux, il y a plus d'AVS à cette rentrée qu'à la rentrée précédente. Je ne connais pas la réalité de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais je crois qu'un effort y a été également fait. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure, mais rappelle que ces personnels sont désormais mieux formés, puisqu'ils suivent une formation de soixante heures.

Vous avez parlé de la lassitude des professeurs devant les réformes. Je voudrais dire, à rebours de certains discours, que j'ai parfaitement conscience de cette lassitude née des décennies passées. Contrairement à ce qui est parfois dit, j'ai été extrêmement attentif à cet aspect des choses : ainsi, je n'ai pas changé les programmes du premier degré, alors que d'autres débuts de quinquennat n'ont pas été forcément habités par la même sagesse… Nous avons fait des infléchissements, en ôtant certaines choses qui paraissaient ne pas convenir et en en ajoutant d'autres qui semblaient nécessaires. Mais nous avons gardé l'essentiel, ce qui est positif pour les professeurs.

Les évolutions pédagogiques actuelles se traduisent en termes de ressources supplémentaires pour les professeurs, de points de repère et d'outils supplémentaires : c'est une transformation profonde, mais douce. Nous recherchons des effets de levier qui ne soient pas brutaux. Nous sommes conscients de ce que vous nous rapportez, monsieur Claireaux, mais cela ne doit pas nous empêcher d'avoir un discours volontariste et enthousiaste sur les changements nécessaires. Nous voyons bien aujourd'hui que la mesure de dédoublement des classes de CP et de CE1 constitue une sorte de pointe avancée dans la création d'un optimisme indispensable : sur ces questions, tout est d'abord dans les têtes…

Madame Rilhac, je vous remercie de vos observations. Nous aurons prochainement des rendez-vous au sujet de l'AEFE, notamment la grande rencontre que nous organisons avec le ministre de l'Europe et des affaires étrangères M. Jean-Yves Le Drian dans les toutes prochaines semaines. Vous connaissez l'objectif fixé par le Président de la République : être capables de doubler notre effort à l'étranger. Cela va nous conduire à adopter un raisonnement en cercles concentriques : consolider le noyau dur, qui correspond au schéma actuel, et développer un nouveau modèle économique pour un deuxième cercle permettant à la « marque France » de s'autoporter dans le monde.

Nous avons l'ambition de faire de la France une puissance éducative mondiale. Le Président de la République lui-même a pris beaucoup d'initiatives internationales dans ce sens. Écoutez ce qui a été dit à l'Assemblée générale des Nations unies à New York sur cette question ! Il a été applaudi par l'immense majorité des chefs d'État et de gouvernement présents et a suscité un enthousiasme considérable. La France est perçue comme le pays qui, en ce moment, porte le sujet éducatif au coeur de l'agenda international, que ce soit au coeur du G20 avec la présidence argentine, du G7 qu'elle va présider ou du plan mondial pour l'éducation avec la multiplication par dix des moyens qu'elle consacre à l'aide éducative, en Afrique notamment. C'est un sujet dont les médias parlent peu, mais qui est essentiel. Il y a un leadership français, défendu par le Président de la République, et que je soutiens, afin de participer à cette dynamique et faire rayonner la France.

La question de l'AEFE nous renvoie à l'évolution du modèle économique, pour réussir à nous développer de façon assumable, mais aussi à un renouvellement de la politique de ressources humaines. Nous avons intégré cette dimension dans la formation initiale des professeurs, puisque nous devrons disposer, dans le futur, d'institutions de formation, les ESPE, qui permettront beaucoup plus à des professeurs, y compris en début de carrière, de connaître des expériences internationales, au service du réseau, et de revenir de manière plus fluide qu'aujourd'hui. Le but est de créer une circulation internationale dans notre système, au bénéfice du réseau à l'étranger comme de la France en tant que telle.

Madame Piron, sur l'évaluation des élèves au collège et notre capacité à lutter contre l'illettrisme dès le collège, les évaluations de sixième, qui viennent d'avoir lieu et qui ont été, pour la première fois, totalement systématiques et numérisées, nous permettront d'avoir un tableau très clair de la situation. Il existe, dans nos collèges, une belle tradition de l'évaluation en début de sixième que nous venons de renforcer, en quelque sorte, en lui donnant une plus grande universalité. Ces évaluations donnent lieu au déclenchement d'aides personnalisées, correspondant aux faiblesses détectées.

Monsieur Roussel, votre question va de pair avec celle du rayonnement éducatif français. Nous devons encourager les EdTech françaises et créer un effet de levier, grâce à la puissance de notre système éducatif. Le fait d'être un grand service public de l'éducation nationale doit leur permettre d'avoir un tremplin vers le développement national et international, le tout dans cette logique d'ambition dont j'ai parlé tout à l'heure, ainsi que lors de mon discours à l'université d'été Ludovia. Nous avons créé un laboratoire au ministère de l'éducation nationale, que nous avons appelé le « 110 bis », pour avoir un démonstrateur de ces EdTech. Et lorsque je parle de Poitiers comme capitale de l'éducation numérique, c'est pour souligner le rôle de nos opérateurs – Canopé, le Centre national d'enseignement à distance (CNED), l'École supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de-là recherche (ESEN) – et montrer que nous disposons de capacités d'incubation de nouvelles technologies utiles pour la pédagogie.

Madame Mörch, j'adhère à ce que vous avez dit. Dans mon propos liminaire, j'ai d'ailleurs parlé de cette laïcité joyeuse – et pourtant, je n'aime pas les adjectifs… Il n'y a effectivement aucune raison de se laisser envahir par une forme de grisaille sitôt que l'on évoque un concept qui n'a rien de gris, ni de négatif, ni de punitif, mais qui est bel et bien positif, puisque c'est ce qui permet de bien vivre ensemble. Tout cela est affaire de présentation des choses à nos élèves : toutes les expériences que je connais en la matière donnent d'excellents résultats. Pour peu que l'on s'y mette et que l'on fasse ce qu'il y a à faire, la laïcité devient quelque chose qui coule de source ou qui doit le faire.

Monsieur Bouyx, nous approfondirons un peu plus tard la question rurale, comme je l'ai dit tout à l'heure.

Enfin, Monsieur Molac, je vous attendais sur ce sujet ! D'un point de vue linguistique, il ne faut pas opposer les langues anciennes et les langues régionales, mais au contraire les relier : le latin, par exemple, s'articule moins avec le breton qu'avec l'occitan, mais cette articulation a toute son importance dans la connaissance de la civilisation, puisque les Celtes faisaient partie de l'empire romain. La politique des langues, c'est celle de toutes les langues : anciennes, régionales et étrangères. Elle forme un tout, psychologique, cognitif, et culturel. Les langues sont une ouverture au monde. De ce point de vue, il n'y a pas de hiérarchie des langues, ni d'ostracisme à imposer. Les langues régionales doivent bénéficier et bénéficieront de notre plan pour les langues, qui sera élaboré à la lumière du rapport qui m'a été remis tout récemment par Mme l'inspectrice générale Chantal Manes-Bonnisseau et M. Alex Taylor. Je suis sensible au fait que les langues régionales soient portées dans le service public de l'éducation nationale.

Le seul point de divergence que nous pourrions avoir, le cas échéant, porterait sur les méthodes d'avancée. Vous avez dit tout à l'heure qu'en l'absence de réponse du rectorat, certains ont passé outre les injonctions négatives. Cela signifie donc bien qu'il y avait eu une réponse du rectorat… Si ses réponses ne vont pas toujours dans le sens de ce qui est demandé, c'est qu'on lui demande beaucoup. Il est très important que nous n'avancions pas par essai-erreur, mais plutôt selon une méthode convenue à l'avance. Sans oublier tout le temps du périscolaire, qui est aussi un champ d'expansion pour les langues régionales, en lien avec le service public de l'éducation nationale. C'est un sujet qui doit être traité de façon détendue, positive, sans crispation de part et d'autre, parce qu'il est possible d'avancer dans le sens de l'intérêt général.

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