Intervention de Martin Pavelka

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 17h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Martin Pavelka, membre du conseil d'administration de l'Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API) :

Depuis sa création, la pédopsychiatrie contribue directement à l'évolution des pratiques de la protection de l'enfance, que ce soit par son action ou par les théorisations et les concepts qu'elle a développés. Ils permettent de mieux comprendre, de mieux identifier, et peut-être de mieux prendre en charge des situations qui, d'ordinaire, présentent des éléments impensables. Le nombre d'hospitalisations d'enfants protégés en pédopsychiatrie est considérable. Dans l'hôpital psychiatrique de l'Essonne, dans les années 1960, 90 % des enfants hospitalisés étaient des enfants protégés. Dans les années 1970, 70 % des enfants réhospitalisés ont été aussi des enfants protégés.

Cette baisse progressive du nombre d'hospitalisations est concomitante de l'augmentation des suivis en ambulatoire en pédopsychiatre. Aujourd'hui, 30 % des adolescents hospitalisés dans notre unité sont protégés. Dans un CHU parisien, 25 % des enfants qui fréquentent l'hôpital de jour bénéficient de mesures de protection. On est donc en présence d'une sorte de recouvrement de fait entre la pédopsychiatrie et la protection de l'enfance. Ce n'est pas seulement une articulation qu'il faudrait penser, mais une vraie coopération dans ce champ de recouvrement.

La pédopsychiatrie contemporaine repose sur deux pieds, ou sur deux systèmes de repères importants : sur la psychopathologie, c'est-à-dire la connaissance des dynamiques psychologiques et relationnelles, d'une part, et, d'autre part, sur les neurosciences, c'est-à-dire sur les observations des manifestations de notre vie psychique dans le cerveau et dans les circuits neuronaux, notamment celles des aspects hormonaux et génétiques de ces problèmes.

Les recherches dans ces deux domaines ont d'ores et déjà montré que l'exposition de l'enfant aux maltraitances et à des soins parentaux gravement inadéquats est néfaste pour son développement physique, affectif, intellectuel et social – vous connaissez cette formule inscrite dans la loi. Elle se traduit également par des dysfonctionnements hormonaux, neuronaux et par des atteintes cérébrales objectivables.

Pour ces raisons, il faut centrer la protection de l'enfance – je le dis un peu rapidement – sur l'enfant, d'abord et toujours, et sur les parents, quand cela est possible. Par exemple, la question du retour au domicile doit être toujours pensée, mais toujours en rapport avec les capacités des parents à l'assumer.

Les deux fondements disciplinaires dont j'ai parlé, la psychopathologie et les neurosciences, ont conduit aux conclusions qui ont permis l'inscription dans la loi de cette formule : « garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, […] soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social ». C'est une manière un peu sommaire de le dire, mais je crois que la pédopsychiatrie y a beaucoup contribué.

Concrètement, tous les dispositifs ambulatoires ou semi-ambulatoires d'hospitalisation, ou d'hospitalisation alternative, en pédopsychiatrie, sont évidemment accessibles aux enfants protégés. Mais, la plupart du temps, ils y sont accueillis après leur entrée en protection et la séparation d'avec leur famille ; beaucoup plus rarement avant, parce que les parents de ces enfants ne réalisent pas leurs difficultés parentales ; ils ne cherchent ni n'acceptent d'aide, faute d'admettre que l'intérêt de l'enfant puisse être différent du leur. Nous n'accueillons donc ces enfants qu'une fois qu'ils ont été pris en charge. Or nous ne sommes pas en mesure, aujourd'hui, de prioriser ces prises en charge, alors que ce serait amplement justifié.

Je voulais souligner l'existence, en pédopsychiatrie, de deux dispositifs plus particulièrement destinés aux enfants protégés. Le premier est l'unité d'hospitalisation mère-bébé. Les unités de ce type prennent en charge les bébés et leurs parents en crise psychiatrique périnatale. Elles permettent de bien discerner si la parentalité est empêchée de manière temporaire et limitée, ou s'il s'agit d'une dysparentalité durable, qui nécessitera une séparation et une protection. C'est là un des rôles de ces unités.

Le second dispositif, ce sont les unités d'accueil familiales thérapeutiques (UFT), unités réglementaires des services de pédopsychiatrie, prévues pour accueillir et soigner les enfants qui sont déjà en situation de séparation, pour accompagner leurs familles d'accueil, ainsi que leurs parents, dans leurs rencontres et dans les liens qu'ils continueront à entretenir avec leurs enfants après la séparation. Ce dispositif est une manière de transformer la séparation protectrice en une séparation thérapeutique. D'une certaine manière, très modestement, je peux dire que nous pensons que ce dispositif est une sorte de préfiguration de la manière dont devraient fonctionner les accueils familiaux en général : soutien aux familles d'accueil, accompagnement des parents et de l'enfant.

Il y a aujourd'hui un peu plus de 800 places dans les UFT de France. Leur répartition est très déséquilibrée : notre département, par exemple, dispose de 50 places, mais c'est beaucoup moins que celui de Seine-Maritime, qui a à peu près la même taille et dispose de plus de 100 places d'accueil familial thérapeutique, ce qui est bien plus près des besoins des enfants protégés.

La pédopsychiatrie contribue aussi à la protection de l'enfance par des interventions de formation et de soutien aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance, ainsi que par des interventions relevant d'activités d'intérêt général, qui sont autorisées par le statut de praticien hospitalier.

Cette collaboration autour des articulations, dont j'ai parlé, présente cependant des difficultés et a besoin de soutiens, car les professionnels qui se sont destinés à l'un de ces deux champs – protection de l'enfance ou pédopsychiatrie – n'ont pas aujourd'hui les mêmes repères conceptuels, pas plus qu'ils n'ont eu la même formation ; ils n'ont pas non plus les mêmes outils de travail. Il me semble que cela ne facilite pas la coopération. Évidemment, la violence inouïe des phénomènes que l'on rencontre dans ce champ fait aussi partie des difficultés de la collaboration, parce que, au-delà de nos formations, elle touche chacun de nous de manière personnelle.

Il faut reconnaître aussi le potentiel d'amélioration de la pédopsychiatrie, mais nous pourrons en parler plus tard. J'évoquerai simplement, pour terminer, une expérience très intéressante, dont les conséquences n'ont pas encore été assez étudiées : c'était un projet, soutenu par Simone Weil, d'un secteur unifié de l'enfance, c'est-à-dire d'un dispositif qui allie la pédopsychiatrie à la protection de l'enfance. Il a été mis en pratique dans le 14e arrondissement, mais n'a pu se poursuivre, pour des raisons budgétaires et à cause de difficultés de coopération entre institutions. Je crois cependant qu'il faudrait revenir sur cette expérience.

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