Intervention de Marie-Paule Martin-Blachais

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 17h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Marie-Paule Martin-Blachais, directrice de l'École de protection de l'enfance, membre expert de la Haute autorité de santé (HAS) :

Je commencerai par les pouponnières, car j'ai cru comprendre – vous me direz si c'est juste – que vous vous interrogiez sur les caractéristiques des pouponnières en tant que structures à caractère résidentiel collectives. S'agissant de petits enfants, peut-être vous interrogiez-vous sur la raison pour laquelle ils ne sont pas accueillis en milieu familial ? Était-ce bien votre arrière-pensée ?

Dans ce cas, je dois vous dire, pour avoir beaucoup travaillé comme expert dans différents réseaux européens, que je n'ai pas toujours partagé la position européenne actuelle, qui prône la désinstitutionalisation à tout crin, c'est-à-dire la lutte contre toutes les formes collectives d'accueil résidentiel au profit de l'accueil individuel. Je crois qu'il faut raison garder, et conserver un éventail de dispositifs qui permette de choisir celui qui correspondra le mieux à l'intérêt particulier de l'enfant. Il y a des enfants pour qui une situation d'interaction familiale d'accueil n'est pas la meilleure solution : ceux, par exemple, qui ont vécu des relations d'attachement extrêmement délétères peuvent se trouver en difficulté dans une telle situation, alors que le groupe peut, au contraire, être une réponse appropriée. Il ne faut donc pas chercher à les placer tous dans des situations de face-à-face et de relation duelle.

J'entends, en revanche, vos interrogations sur l'accueil de ces enfants. Il faut savoir que ceux que l'on accueille en pouponnières, dont je parlais tout à l'heure, ont été confrontés à des problèmes relevant, sinon de la violence ou de la maltraitance, de pathologies de l'attachement ou des troubles de la dysparentalité, dont je souhaiterais que l'on parle aussi. Ces pathologies peuvent ne pas s'exprimer par des faits de violence, en tout cas pas tels qu'on les imagine, sous forme de violence physique, mais ils n'en engendrent pas moins une violence insidieuse, qui attaque la construction psychique de l'enfant. Du fait des transactions relationnelles extrêmement pathogènes qu'ils ont pu construire dans leur milieu familial d'origine, ces enfants ne peuvent pas toujours, du jour au lendemain, rétablir de nouveaux modes relationnels avec un autre environnement, fût-il bienveillant, bien composé, et plein de générosité. Même s'ils ont vécu des formes de relations extrêmement délétères dans leur famille d'origine, c'est le modèle qu'ils ont connu et sur lequel ils se sont construits. Le temps de leur permettre de se défaire de ce type de relations et d'en construire d'autres, il faut pouvoir les placer dans un environnement de contenance, dans un environnement de soins, et parfois les amener à entrer dans des phases régressives, afin qu'ils repartent sur d'autres bases.

Tout cela nécessite une structure et des compétences professionnelles, une très grande proximité et un très grand travail d'équipe, là aussi, pour que les professionnels ne s'engagent pas dans des mouvements émotionnels personnels, intersubjectifs, avec ces enfants chez qui on n'arrive pas à décrypter ce qui se passe, et pour qu'ils ne les leurrent pas. La pouponnière est donc parfois une bonne réponse. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain – excusez-moi pour cette trivialité –, car je crois qu'il faut parfois disposer d'un panel de solutions diverses.

J'ajoute simplement deux mots, sur la question de la formation et sur celle des réponses de soin. Nous avons évoqué, dans notre rapport, la nécessité que les enfants qui ont été victimisés puissent bénéficier d'un accompagnement et de soins ; nous avons même évoqué la possibilité de leur ouvrir l'accès à des soins dans le secteur libéral, puisque, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, le secteur public rencontre aujourd'hui de très grandes difficultés pour répondre aux besoins de soins. Mais nous avions introduit, à titre préalable, le critère de la formation de ces professionnels. Or nous n'avons pas aujourd'hui, en France, suffisamment d'équipes formées aux psychotrauma et capables de prendre en charge ces enfants. C'est toute la difficulté, et c'est aussi une difficulté éthique pour nous : il faut certes repérer les victimes, mais surtout pouvoir leur apporter la réponse d'une prise en charge appropriée. Or nous manquons de professionnels adéquatement formés, que ce soit dans le secteur sanitaire ou le secteur psychologique. D'où notre proposition de recourir à l'activité libérale. Nous avions été jusqu'à proposer un panier de soins qui facilite le recours à ces professionnels libéraux, à condition, encore une fois, qu'ils disposent d'une formation particulière.

Sur le suivi psychologique des enfants par l'ASE, des questions se posent depuis toujours sur la posture des psychologues dans ses équipes : sont-ils là pour faire de l'accompagnement thérapeutique ? Très souvent, ce n'est pas ce que l'on attend d'eux. Ou alors il faut que leurs missions institutionnelles, définies dans leurs fiches de postes, soient claires. Les services de l'ASE auxquels ils appartiennent sont plutôt là pour aider à la compréhension de la situation du jeune, ou du plus jeune. Cette activité s'articule à celles du secteur de soins, elle y contribue, mais n'est pas centrée sur la réponse thérapeutique.

La question se pose donc aujourd'hui : les services de l'aide sociale à l'enfance doivent-ils eux-mêmes se constituer des équipes de soignants pour répondre aux difficultés actuelles d'accès aux soins ? Elles concernent une grande partie des enfants qui ont des difficultés psychiques, comme de ceux qui sont porteurs de handicaps – on sait que c'est aujourd'hui le cas de 25 % à 30 % des enfants confiés à l'ASE –, et sont d'autant plus vulnérables qu'ils ont connu des parcours délétères.

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