Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du lundi 3 juin 2019 à 21h30
Mobilités — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

En effet, lorsque nous étions aux responsabilités, nous n'avons peut-être pas eu l'ambition – ou les moyens de l'ambition – de rédiger, avec les forces de gauche, un projet de loi pour les mobilités au XXIe siècle qui soit à la hauteur des enjeux actuels.

Madame la ministre, vous auriez pu faire de ces enjeux les vôtres, mais vous avez dû tenir compte de contraintes budgétaires, imposées notamment par Bercy, qui vous ont amenée à grandement réduire vos ambitions.

Ce projet de loi apporte, sur plusieurs points, des solutions pratiques que nous soutiendrons, parce qu'elles sont intelligentes et bienvenues. Toutefois, il ne répond pas aux attentes qui sont les nôtres compte tenu du double enjeu que représentent, d'une part, la réduction des inégalités et, d'autre part, la lutte contre le changement climatique.

Remédier aux inégalités, notamment à la fragilité de l'homme qui subit une sédentarité contrainte, et sauver l'écosystème planétaire : tels sont les enjeux qui doivent nous rassembler aujourd'hui et que nous devons chercher à combiner.

Ils conduisent à la fois à conduire des arbitrages satisfaisant l'exigence de partage et à réaliser une planification tenant compte du court et du long termes et de ce qui a lieu tant ici qu'ailleurs. Les propositions que je ferai tout à l'heure visent à instaurer une telle planification, qui est absente du projet de loi.

C'est donc avec humilité, mais aussi avec une ambition renouvelée, que je souhaite qu'à l'occasion de l'examen de ce texte nous parvenions à rédiger une loi dont nous pourrions emprunter le sous-titre à une remarquable plateforme mise en place par les organisations non gouvernementales : « Voyager, nous déplacer, transporter moins, mieux et autrement ».

Je suis incapable, en cet instant, de formuler l'ensemble des solutions nécessaires. Nous proposerons néanmoins des ajustements budgétaires visant à abonder le financement des infrastructures du futur, et nous ferons une série de propositions qui, à la façon de jalons, donneront une idée de ce qu'aurait pu être ce texte s'il avait été au niveau de notre ambition commune.

Je dirai tout d'abord ma peine de voir que n'aboutissent pas des combats locaux comme celui qui est mené depuis près d'une dizaine d'années pour le projet de l'A31 bis que je donne à titre d'exemple, sans rien demander – il serait en effet indécent de le faire ici, d'autant plus que nous avons déjà l'occasion de l'évoquer ensemble.

Comment expliquer qu'un même ministère – il en allait de même lors de la précédente présidence, car je ne me livre pas à des controverses politiciennes – admette que nous connaissons une urgence climatique absolue et que le maintien de la biodiversité est la condition de la survie de l'humanité, tout en prétendant que l'axe de circulation Nord-Sud allant du Luxembourg au sud de la France continuera, quoi qu'il arrive, à concentrer des trafics toujours plus importants, sans se soucier de l'harmonisation européenne et des modes de transport alternatifs que sont, dans ce même sillon lorrain, une voie fluviale et un axe ferroviaire largement désertés ?

C'est dans les métropoles qu'a été pensée, avec difficulté, la combinaison des moyens de mobilité, afin de trouver des solutions alternatives à la concentration autoroutière.

Madame la ministre, il n'y a pas si longtemps votre administration considérait comme inéluctable la croissance du trafic routier recourant aux énergies fossiles. Ce sont les élus locaux qui, en s'unissant, sont parvenus à penser la multimodalité dans le Sillon lorrain et à imposer que les métropoles aient le droit, en tant que parties prenantes, de s'associer pour trouver des solutions.

Je suis reconnaissant à votre ministère d'avoir considéré différemment cette question après que nous eûmes établi un rapport de force dans le débat public. Mais le ministère de la transition écologique et solidaire et les autres ministères chargés de l'aménagement du territoire ne me paraissent toujours pas capables de considérer à la fois le service aux personnes et les échanges européens tout en tenant compte des exigences écologiques qui sont les conditions de notre survie.

Les progrès qu'il nous reste à faire sont gigantesques, et je salue les personnes qui, au sein de votre ministère, l'ont compris et qui préparent la révolution qui ne fait que commencer.

La grande prise de conscience de l'époque contemporaine est celle de l'interdépendance entre les décisions que nous prenons aujourd'hui et leurs conséquences pour la génération à venir car, comme Nicolas Hulot l'a dit, ce ne sont pas nos arrière-petits-enfants mais les enfants qui aujourd'hui jouent dans les cours des écoles, qui subiront les conséquences de notre désinvolture. Cette interdépendance est également celle qui existe entre ce que nous faisons ici et ce qui se passe au bout du monde, et qui a aussi des conséquences pour nous.

L'interdépendance a été formidablement décrite par Mireille Delmas-Marty qui évoquera le 19 juin prochain à l'Assemblée nationale la gestion des interdépendances, la gouvernance mondiale et la gouvernance complexe ainsi que la rénovation politique que rend nécessaire la pensée d'une souveraineté solidaire qui remplacerait la souveraineté solitaire tant des collectivités territoriales que des États-nations dans un monde devenu terriblement, et heureusement, interdépendant.

En attendant que Mireille Delmas-Marty nous présente cette pensée nouvelle, je donnerai seulement quelques pistes qui sont autant de jalons mais aussi, peut-être, de cris du coeur.

Les amendements que je défendrai au nom de mon groupe politique sont souvent inspirés des travaux du Sénat, notamment de ceux de mon collègue de la Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin, qui s'est fortement impliqué pour ce texte – vous avez d'ailleurs eu l'occasion, madame la ministre, de dialoguer avec lui de façon féconde. Voici trois exemples des combats que je mènerai avec le groupe Socialistes et apparentés.

Le premier concernera le secteur du transport aérien. À moins que vous ne vous apprêtiez à nous annoncer un prochain rendez-vous législatif, nous ne comprenons pas que vous fassiez l'impasse sur ce secteur en croissance dont on connaît l'effet désastreux sur le climat. Nous proposerons des arbitrages qui visent un rééquilibrage tarifaire avec le train lorsque les services sont, pour la durée des trajets, à peu près équivalents.

Nos amendements relèvent du même esprit que ceux de notre collègue François Ruffin qui tendent à purement et simplement interdire les lignes aériennes concurrençant les systèmes ferroviaires pour des trajets dont la durée est semblable porte-à-porte. Personnellement, j'ai soutenu cette interdiction, car elle a le mérite de poser la question de la planification écologique et de l'urgence écologique. Cependant, notre groupe a proposé, dans une logique plus sociale-démocrate peut-être plus compatible avec notre constitution, qu'ait lieu un alignement des tarifs.

Comment peut-on admettre, en effet, que le tarif d'un mode de transport qui émet cinquante fois plus de gaz à effet de serre puisse être jusqu'à dix fois inférieur à celui du train ? Serons-nous capables d'expliquer demain à nos enfants et nos petits-enfants que, sur le même trajet et pour le même temps, nous avons choisi de laisser utiliser des options artificiellement moins coûteuses – parce qu'elles sont dopées à coup d'exonérations fiscales et parce que nous n'en payons pas le véritable coût environnemental – , au mépris de solutions alternatives tout aussi confortables ? La taxation des trajets sur le continent destinée à mettre les prix à niveau entre le train et l'avion serait la moindre des choses. Si nous ne le faisons pas, je le répète, je ne sais comment nous pourrons l'expliquer à nos enfants.

La deuxième proposition touche à la logistique du dernier kilomètre. Nous savons tous les abus suscités par l'e-commerce et, de même que nous devons réfléchir à l'effet de son développement sur l'urbanisme commercial, je trouve étonnant que ne soit pas au moins esquissée, dans ce projet de loi, la question du lien entre l'urbanisme, les déplacements et les transports liés à ce secteur. Notre proposition est très simple : étendre la faculté qui est donnée aux métropoles et aux villes de choisir un opérateur unique. Je sais que ce n'est pas si simple, mais je souhaiterais que soit au moins engagée la discussion sur la capacité à sélectionner un seul opérateur qui, en l'occurrence, pourrait être l'opérateur public de La Poste, mais qui pourrait tout aussi bien en être un autre, afin d'éviter que les livreurs privés croisent ceux des entreprises publiques qui desservent, tous les jours, chacune de nos maisons, dans cette République française qui chérit l'égalité.

Comment la libéralisation des modes de livraison du dernier kilomètre a-t-elle pu provoquer ces croisements aberrants ? Là encore, le jour du grand effondrement, je ne saurai pas expliquer à mes enfants ou à mes petits-enfants comment nous avons pu laisser des camionnettes livrer quelques grammes à un coût absolument ridicule en prenant le risque de polluer la planète.

J'ai pris ces deux exemples – l'avion concurrent du train, et les livraisons qui se croisent sur nos routes départementales, nationales ou nos autoroutes pour satisfaire les caprices de consommateurs contemporains – afin d'illustrer la nécessité d'une planification, d'un arbitrage, qui devrait d'abord viser la désinvolture des plus privilégiés d'entre nous, laquelle mène au gaspillage. Bref, une conversion du regard s'impose, une conversion que l'on pourrait qualifier de civilisationnelle. Elle pourrait commencer par ces petits gestes que j'ai évoqués, qui ne sont pas si insignifiants au regard du changement climatique.

Enfin, le dernier exemple que je citerai, qui pourra vous paraître à caractère anecdotique – mais je ne pense qu'il le soit ; sinon, je n'aurais pas déposé des amendements à ce sujet – est celui de la publicité.

Je me faisais la réflexion ce week-end en voyant ces immenses panneaux publicitaires vantant des lieux au bout de monde, à 10 000 kilomètres d'ici, où l'on pouvait soigner son besoin de solitude sur une plage déserte, seul face à l'immensité…

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