Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du vendredi 20 octobre 2017 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Article 12 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Ce scrutin va évidemment marquer non seulement la législature mais, j'en suis certain, le quinquennat. La suppression de l'impôt sur la fortune dans la rédaction que vous venez de proposer, monsieur le ministre, c'est-à-dire le retrait de la partie financière des patrimoines, est choquante sur le plan de la justice sociale. Cela a été tellement rappelé ici que je répugnerais presque à le répéter, mais quand on met les chiffres en regard, vous n'empêcherez jamais nos compatriotes – surtout que nous allons les aider à le faire – à prendre la mesure de l'offense que cela représente. Car la suppression de l'ISF, comme la flat tax , c'est l'équivalent de 60 000 postes créés dans l'enseignement, ou de 75 000 logements sociaux, ou encore de 40 000 places en crèche ou encore de 30 000 postes de personnels soignants à l'hôpital public. J'ai cité volontairement les secteurs dans lesquels la douleur sociale est la plus grande.

Mais, au-delà même du débat sur l'injustice sociale que suscite cette disposition, je voudrais une fois de plus revenir sur le fond. Je pense, monsieur le ministre, que votre vision du capitalisme est totalement dépassée. Vous vivez à l'heure du capitalisme rhénan, patrimonial, dans lequel quiconque avait un bas de laine allait le placer en personne ici ou là. Mais cela ne se passe pas ainsi aujourd'hui : les sommes que vous évoquez ne seront pas réinvesties dans l'économie réelle. J'en veux pour preuve que, si autrefois on consacrait 33 % des bénéfices au versement de dividendes, c'est 57 % aujourd'hui. Ce n'est pas M. Bidule ni Mme Machin qui va lui-même placer son argent : il va voir son conseiller bancaire, qui, lui, est chargé de placer des produits financiers. C'est la réalité du capitalisme de notre époque.

Je veux rappeler au moins quelques chiffres qui vous permettront de visualiser la violence du choc que subit la civilisation humaine du fait même de la bulle financière : dans les années 70, nous en étions à 20 milliards de dollars par jour d'échanges financiers. Nous en sommes à 5 000 milliards de dollars par jour : 115 fois le montant annuel du commerce international réel ! Cent quinze fois la valeur réelle de ce qui s'échange ! Voilà la réalité du capitalisme de notre temps. C'est la raison pour laquelle on voit se former des bulles gigantesques, et vous le savez comme moi, monsieur le ministre. Vous avez fait état de votre inquiétude tout à l'heure, mais ce n'est bien sûr pas à vous d'en dire davantage parce que cela pourrait contribuer à des catastrophes que nous ne souhaitons pas, mais nous sommes bien obligés de constater que la capitalisation boursière est passée de 1 400 milliards de dollars en 1975 à 65 000 milliards de dollars ! Autrement dit, il y a un écart entre la capitalisation et la production réelle plus grand qu'à aucune autre époque du capitalisme.

La valeur boursière a été multipliée par quarante-cinq en trente ans quand les PIB n'étaient, eux, multipliés que par trois et demi, parce que l'activité humaine réelle, même en nombre plus considérable – nous sommes plus de 7 milliards – a une limite physique – heureusement d'ailleurs, sinon la planète serait déjà détruite. Tous ces faits convergent pour montrer la réalité d'un capitalisme qu'on ne peut pas domestiquer en comptant seulement, comme vous nous l'avez dit, monsieur le ministre, sur le bon sens de ceux qui placent leur argent. Ce bon sens n'existe pas ! Ou alors il est résiduel.

Aujourd'hui, la durée de rétention des actions est la plus brève qu'on ait jamais connue. Dans les années 1945-1975, elle était de six ans, dans les années 1985-2000, de deux ans… et maintenant, avec le trading à haute fréquence, nous en sommes à vingt secondes !

Le capitalisme dont vous nous parlez, celui du bon sens, n'existe plus. Quant aux capitalisations des grandes entreprises dont vous faites état, elles sont si monstrueuses qu'on ne pourra jamais lutter contre de telles formes de capitalisation. C'est pourquoi j'ai assimilé tout à l'heure au communisme des oligarques que ces sommes rassemblées là-dedans.

Non, nous ne pouvons pas rivaliser avec de telles entités : nous ne le pourrons que si nous édifions des clôtures. En biologie, un organisme entièrement ouvert est un organisme mort : il en va de même des régions. La région mondiale Europe doit faire appel au protectionnisme afin d'empêcher la destruction de son économie par l'injection soudaine de marchandises produites à vil prix.

Ce sont là deux modèles économiques différents. J'achève mon propos sur ce point. Vous croyez, vous, à la convergence spontanée des intérêts particuliers vers l'intérêt général. Je crois, pour ma part, à la prévisibilité et à la planification, qui étaient des vertus françaises. Le Plan, ce n'est tout de même pas seulement l'Union soviétique ! Souvenez-vous : le Plan, « l'ardente obligation », c'était une invention du général de Gaulle. Hier le Plan, aujourd'hui la planification écologique montrent dans quelle direction le capital doit s'orienter.

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