Intervention de Raymond Girardi

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Raymond Girardi, vice-président du MODEF :

Je vous remercie d'avoir invité le MODEF à s'exprimer dans le cadre de cette commission d'enquête. Notre mouvement considère que le comportement adopté par la grande distribution depuis sa création en fait non pas un partenaire pour les agriculteurs, mais plutôt un ennemi.

La grande distribution est née il y a une soixantaine d'années d'une idée simple et géniale, le libre-service. C'est en France que ce modèle a vu le jour. Depuis, il a acquis une telle puissance qu'il a supplanté tous les autres. En quelques années, ce nouvel acteur s'est emparé du pouvoir de la distribution. Il représente aujourd'hui quelque 92 % du marché. Cette puissance a été utilisée à l'encontre des fournisseurs, notamment des paysans.

Initialement, chaque magasin de grande distribution s'approvisionnait auprès de fournisseurs. La situation a profondément évolué dans les années 1980, sous l'effet conjugué de deux phénomènes.

Tout d'abord, les enseignes ont constitué des centrales d'achat gérant l'approvisionnement de multiples points de vente. Leur puissance s'est trouvée renforcée par les volumes importants qu'elles commandaient, accentuant le handicap dont souffraient les agriculteurs, les coopératives et les organisations de producteurs (OP).

Ensuite, l'Espagne, le Portugal et la Grèce sont entrés dans le Marché commun. Profitant de la libre circulation des biens, l'Espagne, en particulier, est devenue un concurrent redoutable pour les producteurs de fruits et légumes français. Plus encore, l'ordonnance de 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a supprimé le coefficient multiplicateur qui s'exerçait jusqu'alors. Après-guerre, en effet, il s'était avéré que les épiciers doublaient voire triplaient les prix auxquels eux-mêmes se fournissaient.

Le législateur avait donc eu l'intelligence d'introduire un coefficient multiplicateur, qui permettait de contrôler les marges des distributeurs. Pour les fruits et légumes, ce coefficient était de 1,7. Un kilo de tomates acquis 1 franc ne pouvait ainsi être revendu plus de 1,7 franc. Ce dispositif avait pour effet de tirer les prix à la production vers le haut, et les prix à la consommation vers le bas. Sa suppression, et plus largement l'abolition de l'encadrement des prix, ont entraîné l'entrée pleine et entière dans l'économie de marché. Les marges pratiquées par la grande distribution ont alors explosé.

Ces différents facteurs ont conduit à la situation actuelle, dans laquelle la grande distribution ne considère pas ses fournisseurs de produits agricoles comme des partenaires, mais comme des pourvoyeurs de matière première peu coûteuse.

Depuis, les gouvernements successifs se sont inquiétés de la disparition massive et de la rémunération insuffisante des agriculteurs. Dernière en date, la loi de 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi EGAlim, visait à résoudre ces questions. Pour autant, nous avons vécu jusqu'à présent un recul considérable du nombre de paysans, une sous-rémunération du travail agricole et une immense détresse des producteurs. Un agriculteur se suicide chaque jour dans notre pays ! Cette situation s'est doublée d'un recul de l'indépendance alimentaire de la France. Alors que notre pays était autosuffisant – voire exportateur – en fruits et légumes il y a trente ans, il ne couvre plus aujourd'hui que 60 % de la demande en la matière. L'impossibilité pour les paysans de gagner leur vie soulève des enjeux sociaux, certes, mais aussi de couverture des besoins alimentaires de la France.

Du fait de la libéralisation du marché et de l'élargissement de l'Union européenne, la grande distribution recourt massivement aux importations, tel un levier assassin pour les paysans français – et je pèse mes mots. Elle trouvera toujours, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, des pays capables de lui fournir fruits, légumes et viande au moindre coût. Certains d'entre eux pratiquent des conditions salariales sans commune mesure avec les nôtres. Au Maroc, les saisonniers sont ainsi payés 3 dollars par jour pour la cueillette des fraises. Fort heureusement, les agriculteurs français sont tenus de proposer à leurs employés un salaire minimum, dont le MODEF estime même qu'il est insuffisant. D'autres pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine, jouissent de conditions de production radicalement différentes de celles de la France. En Argentine, les frontières des exploitations d'élevage sont délimitées par les fleuves et les montagnes ! Si la réglementation internationale nous soumet à une concurrence libre et non faussée, nous aurons quelque peine à subsister et à couvrir les besoins alimentaires de la France.

Nous pourrions enfin parler des pratiques discutables de la grande distribution : référencement payant, marges arrière, promotions, têtes de gondole, contestations abusives de produits, marges démesurées, ristournes… Rappelons que la grande distribution a perçu 552 millions d'euros au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), alors même qu'elle a supprimé 10 000 postes. Cette somme aurait sans doute pu être employée à de meilleures fins.

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