Intervention de Roger Genet

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Je vous remercie, Madame la Présidente. Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour vos questions. L'année dernière, nous avions évoqué la possibilité de vous accueillir à l'Agence, ne serait-ce que pour vous faire un certain nombre de présentations détaillées de nos travaux et avoir davantage de temps d'échanges sur les très nombreux sujets que vous avez mentionnés. Vous me pardonnerez par avance de ne pas pouvoir répondre à chacun, mais je vais répondre sur trois grands thèmes. Nous allons caler une date pour vous accueillir et organiser votre visite.

Les dix ans de l'Agence seront effectivement en juillet 2020. À cette occasion, l'Agence souhaite organiser un colloque scientifique sur le thème de l'évaluation du risque et de la décision publique. Je souhaite vous y inviter, en tant que décideurs publics. Il y a aura des scientifiques, notamment des sciences humaines et sociales, afin d'échanger sur cette pratique de la prise de décision en situation d'incertitude et de la façon dont l'évaluation de risques peut appuyer la décision publique. J'ai même sollicité l'OPECST, pour que cela puisse se faire chez vous, à l'Assemblée et au Sénat. Ce sera sous l'égide de l'OPECST, mais je serais ravi d'avoir le soutien de votre commission, pour pouvoir organiser ce colloque scientifique.

Ce n'est pas le rôle de l'Agence de dresser un état des lieux d'amélioration ou de dégradation de la population face aux risques auxquels nous sommes soumis, puisque nous travaillons sur des saisines particulières et cela revient aux gestionnaires de risques. En revanche, au travers mes réponses, je vais pouvoir vous expliquer là où nous avons pu progresser notablement sur un certain nombre de points.

Je vais d'abord aborder la question de l'évaluation des risques, donc des expertises, puis la question des produits réglementés, de façon à bien distinguer les deux. D'abord, je veux revenir sur un point : l'objectif de l'agence n'est pas de rassurer ni d'inquiéter. L'objectif est de donner une information scientifique de référence indépendante de tout intérêt particulier prenant en compte l'ensemble des données scientifiques disponibles. Nous ne sommes influencés par personne, si l'on veut nous forcer à atténuer ou au contraire à exacerber un risque. Nous sommes uniquement fondés sur l'évaluation et ce que peut dire la science. Je veux rappeler que nous sommes évaluateurs de risques et qu'à part pour les autorisations de mise sur le marché, les gestionnaires de risques, c'est vous, le gouvernement, le ministre. Ainsi, un certain nombre de questions que vous m'avez posées ressort de la responsabilité du gestionnaire de risques dans la façon dont il s'approprie nos recommandations, les met en oeuvre ou non. La vision et les éléments que nous nous donnons ne sont qu'un élément de réponse par rapport à l'ensemble des éléments devant être pris en considération dans les politiques publiques et nous en sommes absolument conscients. Autrement dit, nous ne sommes jamais déçus ni ravis, quand on prend tout ou partie de nos recommandations. Nous comprenons parfaitement la difficulté de la décision publique et notre objectif est de faire que les données scientifiques que nous avons explicitées, expliquées, exposées, décortiquées puissent le mieux possible servir la décision publique. Pour cela, il faut que l'évaluation des risques soit crédible et que nos concitoyens aient confiance en cette évaluation. Si même une fraction de la population conteste le bien-fondé de notre évaluation, elle n'est plus d'aucune utilité pour le décideur. Ces questions de crédibilité, de confiance et de transparence sont cruciales. Que les gens soient d'accord ou non, il faut simplement considérer que la qualité de l'expertise est au meilleur niveau, de façon qu'elle puisse être prise en compte dans la décision publique.

Pour l'évaluation de risques, il faut bien distinguer les questions ressortant de la responsabilité de l'évaluateur du risque et les questions revenant aux gestionnaires de risques. Par exemple, sur les enquêtes de terrain, sur Fos et un ensemble de questions, nous pouvons bien entendu être saisis, mais il ne nous revient pas de décider nous-mêmes d'enquêter sur telle ou telle situation particulière. Sur les agénésies, la malformation des membres supérieurs, nous avons bien entendu été saisis sur les expositions environnementales et nous travaillons avec Santé publique France.

La répartition des rôles est très claire et importante. Avec la réorganisation du système de santé, nous avons un système beaucoup plus lisible fondé sur trois piliers. Pour tout ce qui ressort des études de populations, d'un effet pathologique ou d'une pathologie sur les populations, c'est Santé publique France. Pour tout ce qui relève des expositions, des évaluations, de la fixation des valeurs de référence, des valeurs sanitaires, des valeurs limites d'exposition professionnelle, c'est l'Anses. Tout ce qui concerne le médicament et le dispositif médical relève du troisième pilier. Évidemment, nous travaillons souvent ensemble. Par exemple, sur la chlordécone aux Antilles, nous avons conduit une étude sur l'imprégnation des populations. C'est l'Anses qui conduit le volet exposition alimentaire et Santé publique France le volet épidémiologique et populationnel. Nos travaux sont très complémentaires. Sur les sites et sols pollués, nous avons également des actions permettant à Santé publique France de faire des expertises de terrain au travers des services régionaux et des études populationnelles. Les matrices entre les emplois et les expositions sont produites par Santé publique France et tous les travaux liés à l'exposition aux valeurs sanitaires sont conduits par l'Anses.

Concernant les modalités de saisine, 85 % des saisines viennent de nos ministères de tutelle, mais également de toutes nos parties prenantes présentes dans notre Conseil d'administration en capacité à nous saisir. Le choix du gouvernement avait été de restreindre aux pouvoirs publics la capacité de nous saisir, mais via les ministères ou un certain nombre d'instances, vous avez la capacité de le faire. Environ 15 % des saisines sont soit des autosaisines, soit des saisines de nos parties prenantes. Par exemple, le travail sur les égoutiers parisiens que je mentionnais est une saisine d'organisations syndicales. Sur les gazons synthétiques, c'est l'association Robin des Bois qui nous a saisis, ainsi que la Marie de Nantes et celle de Paris. Au travers de vos différentes fonctions, vous avez la capacité de nous saisir. Tout cela rentre dans un programme de travail voté par notre Conseil d'administration. Il faut savoir que ce programme de travail est extrêmement fourni et validé annuellement. Environ 30 % des saisines se rajoutent en cours d'année, en fonction des urgences et de l'actualité, ce qui décale d'autant notre programme de travail.

Sur les produits de consommation, nous avons parlé de la communication, notamment sur les couches. Quelle est la différence entre une communication sur les dangers et une communication sur les risques ? Nous travaillons parfois de façon extrêmement proche avec l'Institut national de la Consommation et son organe 60 millions de consommateurs qui a les capacités de laboratoires d'analyses. Avec l'INC, mais également le service central des laboratoires de la DGCCRF, nous avons pu réaliser le travail sur les couches. Les études et les mesures ont été faites par les laboratoires de l'INC et de 60 millions de consommateurs, ainsi que par le service central des laboratoires. C'est sur la base des analyses produites, que nous avons conduit des évaluations de risques. Il faut le comprendre, ce travail est conséquent. Le fait de dire que nous avons retrouvé des résidus de pesticides ou de produits chimiques dans des produits de consommation courante, des protections intimes, des couches est une chose, mais cela ne signifie pas forcément qu'il y a un risque sanitaire. Toute la difficulté du travail est ensuite d'interpréter l'exposition par rapport au seuil sanitaire, par exemple chez le bébé concernant les couches, dans les conditions particulières auxquelles il a été exposé. Le tiers de son corps est 24 heures sur 24 dans un environnement fermé, humide, avec souvent une peau irritée qui facilite les transferts. Il s'agit de définir quels sont les polluants que nous allons retrouver et comment ils sont transférés. À partir de là, il s'agit de voir si cela excède le seuil sanitaire et si nous sommes dans une situation à risques sur le plan sanitaire. Par exemple, cela nous a amenés à conclure qu'il n'y avait aucun problème pour les protections intimes. Nous étions largement en dessous des seuils sanitaires. En revanche, sur les couches, des dépassements des seuils sanitaires nécessitaient une prise en compte par les pouvoirs publics.

Il est vrai qu'il est compliqué d'expliquer la différence entre le danger et le risque, ce qu'est l'évaluation de risques et ce qu'est une alerte. Nous nous y employons sur la base de nos travaux, afin d'objectiver, sans essayer de rassurer ni d'inquiéter, mais en rationalisant sur une base scientifique les résultats de nos travaux.

Sur les évaluations des risques, nous avons conduit de très nombreux travaux. Sur le gazon synthétique, notre avis était rassurant, mais nous menons des travaux complémentaires, parce qu'il y a de nouveaux produits pour lesquels nous n'avons aucune donnée. L'une des difficultés que nous rencontrons régulièrement est l'absence de données au départ, lorsque nous conduisons notre évaluation. Sur les gazons synthétiques, nous sommes en train de diligenter des mesures, afin d'avoir des données supplémentaires. Aujourd'hui, aucun risque sanitaire n'a été défini quant à l'exposition des utilisateurs. Pour autant, il existe des risques de transfert d'un certain nombre de métaux ou de contaminants dans l'environnement, mais des solutions techniques existent et permettent de prévenir le transfert de ces contaminants, notamment dans la nappe phréatique. Pour les sociétés qui fabriquent ces produits de consommation, il s'agit d'apporter dans le déploiement de leurs solutions la sûreté au niveau de leur mise en oeuvre.

Sur les ondes électromagnétiques, je voulais vraiment revenir sur Linky, parce que votre question est totalement pertinente. Quand nous sommes dans une posture, une position où les situations d'incertitude, voire d'inquiétude peuvent paraître irrationnelles, avec des postures clairement définies, il est extrêmement difficile de convaincre les personnes qu'elles ont raison ou tort. Sur des sujets comme ceux-ci, la solution est que l'Agence soit saisie très tôt. Demain, ce sera sur la 5G. Une fois que le produit est déployé, qu'un certain nombre de personnes nourrit des inquiétudes, quoi que nous fassions, il est extrêmement difficile de les rassurer. Nous avons publié deux avenants montrant que l'exposition au compteur Linky était une exposition entre le sèche-cheveux et une plaque à induction. Pour autant, nous n'avons pas trouvé le moyen de rassurer les personnes, au moins sur le plan sanitaire. C'est la limite de l'action de l'Agence. Une façon de circonvenir cette situation est que nous soyons saisis très tôt et qu'avant même que les choix techniques et le déploiement soient faits, nous puissions donner un avis et relativiser les risques, afin que les mesures soient prises au moment du déploiement, y compris en termes de communication.

La santé au travail est un point très important sur lequel je veux insister. C'est une nouvelle mission que l'Agence a accueillie. Il s'agit de sortir d'une évaluation par un expert indépendant unique, pour avoir un collectif d'experts. Avec une expertise pluridisciplinaire et contradictoire, ils vont se pencher sur cette question de l'évaluation ou du lien de causalité des maladies professionnelles. Bien entendu, l'expertise scientifique relève de saisines. Nous avons déjà reçu deux saisines du Ministère du Travail, dont celle sur l'exposition et les risques liés au cancer de la prostate, selon différents facteurs d'exposition professionnelle et nous y travaillons. Nous rendrons probablement ces avis d'ici 12 à 18 mois, parce que c'est un travail complexe à construire, afin de renseigner les différents éléments qui permettront aux partenaires sociaux de statuer sur l'inscription ou non au tableau des maladies professionnelles. Ce sont les partenaires sociaux du comité d'orientation des conditions de travail ou du COSMAP pour le Ministère de l'Agriculture et les travailleurs agricoles qui statueront sur l'inscription. Nous n'apportons aucune décision spécifique, mais les éléments scientifiques leur permettant de fonder leur propre décision.

Sur le chlordécone, vous savez que l'Inserm avait conduit une expertise collective sur les pesticides, en revisitant son expertise collective de 2011. Elle a commencé par le chlordécone et a poursuivi avec le glyphosate. Les résultats de cette expertise collective mentionnent un lien fort pouvant s'établir. Ce n'est pas un lien de causalité, mais un lien qui apparaît fort entre l'exposition à le chlordécone et ces cancers. À partir de ces travaux scientifiques, nous allons instruire l'ensemble des données nécessaires, afin de proposer aux partenaires sociaux les éléments leur permettant de statuer sur l'inscription ou non au tableau de maladies professionnelles. D'ores et déjà, l'exposition aux pesticides dans leur ensemble, dont le chlordécone, est reconnue comme une cause de maladie professionnelle, notamment pour les lymphomes non hodgkiniens et la maladie de Parkinson. On peut dès à présent faire valoir ses droits au regard de cette inscription de l'ensemble des pesticides.

Sur les produits réglementés au sens large, tout cela se fait dans le cadre d'une procédure communautaire européenne. Pour les produits phytosanitaires, nous avons une évaluation des substances actives, avec une décision d'homologation au niveau européen. Ensuite, chaque État membre fait une évaluation de risques des produits contenant ces substances actives et délivre ou non ou partiellement les autorisations de mise sur le marché de ces produits. Dans les huit dernières années, nous avons réduit d'environ un tiers le nombre de substances actives et de produits phytosanitaires mis sur le marché. Le nombre de ces produits disponibles a fortement diminué, notamment en France. Avec la fin des usages pour les particuliers de ces produits pesticides, le nombre de produits et d'usages diminue mécaniquement.

Nous sommes dans un cadre où nous entretenons des relations régulières avec l'Efsa. S'agissant du glyphosate en particulier, l'Agence conduit un certain nombre d'actions. Le glyphosate a été homologué en décembre 2017 et nous nous sommes engagés à donner l'ensemble des décisions dans le délai de trois ans pour les produits demandant soit le renouvellement de leur autorisation, soit une nouvelle autorisation. 58 produits demandent le renouvellement de leur autorisation et il y a 11 nouvelles demandes, soit un peu moins de 70 produits en cours d'évaluation. Sur le plan de l'évaluation des risques scientifiques, l'impact sur la santé, l'environnement, ces évaluations seront terminées cet été. Nous allons mettre en oeuvre un article du règlement nous permettant de mettre en place une évaluation comparative prévoyant que si des alternatives non chimiques sont d'ores et déjà disponibles sans impact majeur, nous pouvons ne pas délivrer les autorisations de mise sur le marché des produits, notamment du glyphosate. Ces évaluations sur la base des travaux actuellement conduits par l'Inra seront faites au cours des prochains mois. L'engagement est clair, à savoir qu'avant le troisième anniversaire de l'homologation, nous aurons statué sur l'ensemble de ces demandes d'autorisation, avec très probablement un certain nombre d'usages qui sera supprimé. Ce sont d'abord tous ceux qui ne sont pas satisfaisants aujourd'hui sur la base des données de génotoxicité fournies, au niveau des règles classiques d'évaluation des risques. Sur la base des travaux sur les alternatives, nous n'autoriserons pas l'usage des alternatives. Aujourd'hui, la priorité de l'Inra est la vigne et nous sommes en train de regarder de près les usages sur la vigne. Ensuite, nous travaillerons sur les grandes cultures et sur l'arboriculture. Ce sont les trois usages qui devraient nous permettre sinon de l'interdire totalement, de diminuer de façon drastique les usages et les produits.

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