Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports :

Du point de vue de la navigation aérienne française, ces dernières années ont été marquées par un trafic contrôlé en forte croissance. La question de la soutenabilité de cette croissance se pose aujourd'hui, et j'ai insisté en conclusion des Assises nationales du transport aérien sur le fait qu'une acceptabilité par nos citoyens était un prérequis. Je suis particulièrement attentive aux actions de réduction des nuisances sonores et au respect des trajectoires autour des aéroports, et j'ai demandé qu'un projet de grande envergure soit lancé pour généraliser les descentes dites « douces » de jour comme nuit à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle à l'horizon 2023. Cette croissance soutenue a montré les limites des capacités actuelles du système de contrôle aérien français, puisque le retard par vol a augmenté de 70 % entre 2017 et 2018, ce qui, en termes de qualité de service, n'est pas acceptable pour les passagers et pénalise la performance environnementale, en conduisant à des surconsommations de carburant pour éviter les zones d'espace aérien saturées.

La congestion de l'espace aérien n'est pas spécifique à la France, elle touche aussi le reste de l'Europe, en particulier l'Allemagne et le Benelux, qui souffrent d'un déficit de contrôleurs aériens. C'est une conséquence du cadrage imposé par la régulation économique européenne du ciel unique pour la période 2012-2019, qui n'avait sans doute pas assez anticipé les besoins de cette fin de décennie.

La situation nationale a effectivement été d'autant plus difficile en 2018 que la DSNA a dû gérer d'avril 2018 à juillet 2018 un mouvement social au centre de contrôle régional d'Aix-en-Provence très pénalisant pour le trafic européen ; par ailleurs, le développement du système 4-FlightCoflight pour la modernisation technique du contrôle en route a pris du retard, ce qui a affecté la performance de l'ensemble du système.

Le retour à un niveau acceptable de capacité du contrôle aérien français est une priorité, au même titre que la sécurité des vols et le développement durable du transport aérien. Ce sont des enjeux stratégiques pour les prochaines années. Il est donc indispensable de réunir rapidement les moyens techniques et humains. Il s'agit notamment de recruter et qualifier des contrôleurs aériens supplémentaires.

Dans l'attente, il importe de poursuivre les réorganisations nécessaires de la DSNA, dans le cadre d'un dialogue social constructif, pour accompagner la mise en oeuvre des systèmes modernisés tout en adaptant les tours de service aux besoins. Des gains significatifs ont ainsi été obtenus, en application du protocole social 2016-2019, notamment à Reims, Brest et Bordeaux, ainsi que dans les tours de contrôle de Roissy, Lyon et Nice, mais, effectivement, des oppositions locales, en particulier à Aix-en-Provence, ont limité les évolutions.

Sur le plan technique, le Gouvernement investit pour réussir la modernisation des systèmes de navigation aérienne – on peut regretter les retards –, ainsi que les déploiements opérationnels prévus dans le programme européen SESAR.

Pour la gestion des grands programmes de modernisation de la navigation aérienne, j'attends de la DSNA que ses méthodes soient aux meilleurs standards dans le cadre d'une relation équilibrée avec les industriels. Je serai évidemment très attentive au respect des différentes étapes prévues dans la conduite du projet 4-Flight.

Dans le cadre du ciel unique européen, les États comme la Commission ont un rôle à jouer dans l'adoption d'objectifs de performance économique adaptés à ce contexte particulier de déficit de capacité pour la période 2020-2024. Il est nécessaire qu'un équilibre économique soit trouvé entre la baisse des redevances de navigation aérienne au profit des compagnies et les investissements massifs à réaliser pour moderniser les systèmes techniques.

Vous insistez à juste titre sur le besoin de moderniser la conduite des programmes techniques et d'innovation de la DSNA, et de développer les partenariats européens.

Avec à sa tête un nouveau directeur recruté en interministériel, la direction technique et de l'innovation de la DSNA doit effectivement se réformer pour mieux assurer ses missions et préparer l'avenir. J'ai également souhaité qu'un comité de pilotage externe soit mis en place et s'assure du bon déroulement de ce programme. J'ai donné des orientations précises : une meilleure maîtrise des programmes complexes tels que 4-Flight et SYSAT, associant capacité d'innovation, réorganisation des processus et des services et pilotage des fonctionnalités ; des coûts et des délais au plus près des besoins des utilisateurs.

Vous notez l'impossibilité d'acheter sur étagère des systèmes complexes de contrôle aérien, à plus forte raison si l'on veut qu'ils soient capables d'évoluer aux standards technologiques futurs du programme SESAR et respecter les nouveaux standards d'assurance logicielle et de cybersécurité, dans le cadre de nouveaux partenariats européens. Pour la DSNA, le coeur du futur système de contrôle aérien sera le système de traitement de données de vol Coflight, qui est une brique essentielle du système 4-Flight et alimentera l'ensemble de nos centres de contrôle en route et de nos tours de contrôle. Coflight est bien développé dans cet esprit, dans le cadre d'une coopération franco-italienne associant les industriels Thales et Leonardo, selon les standards d'interopérabilité du ciel unique européen.

Il est stratégique d'étendre cette coopération pour que nos systèmes constituent l'un des piliers du ciel unique européen. La DSNA est à ce titre en discussion avec le consortium COOPANS, qui regroupe la Suède, l'Irlande, le Danemark, l'Autriche, la Croatie et le Portugal, eux aussi clients de Thales, pour préparer l'intégration dans leurs systèmes de Coflight à l'horizon 2025. De plus, la DSNA mène depuis plusieurs années avec son partenaire suisse Skyguide un projet pilote de fourniture opérationnelle à distance des données de vol Coflight.

Cette virtualisation des systèmes techniques de contrôle aérien a été saluée comme un axe technologique majeur pour la défragmentation du ciel unique européen, dans le cadre de l'étude d'architecture de l'espace aérien qui a été remise à la Commission européenne au mois de mars 2019 par l'entreprise commune SESAR et l'organisme Eurocontrol.

S'agissant de la préparation budgétaire, le cadrage des dépenses du budget annexe Contrôle et exploitation aériens dans la LPFP 2018-2022 se fondait sur des prévisions de croissance modérées du trafic aérien qui sont devenues obsolètes. La LPFP reposait effectivement sur l'hypothèse d'une augmentation de 5 % du trafic entre 2016 et 2023. Cette augmentation devrait plutôt être comprise entre 17 % et 20 % ; le constat en a été fait lors de la réunion technique de mars dernier et des premiers échanges entre la DGAC et la direction du budget sur le triennal à venir.

Vous aurez compris que je suis attachée à ce que l'on rétablisse au plus vite un niveau de capacité de contrôle aérien acceptable. Les autres missions de la DGAC, en particulier en matière de sécurité, de sûreté et d'environnement, sont évidemment aussi l'objet de toute mon attention. Je souhaite que le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 – et, plus largement, le triennal – actionne tous les leviers nécessaires. En particulier, il devra permettre des recrutements de contrôleurs aériens aussi dynamiques que dans les pays voisins : à titre d'exemple, l'Allemagne embauche actuellement au rythme de 120 contrôleurs par an.

Je vous parlerai dans quelques instants du protocole social en cours et dont l'application se termine. Le PLF 2020 devra aussi acter le principe d'un nouveau protocole 2020-2024 pour accompagner les réformes et dégager la productivité attendue.

S'agissant enfin des investissements, vous vous souvenez qu'aux termes de la loi de finances pour 2019, le niveau des investissements est passé de 250 à 300 millions d'euros. La DGAC travaille actuellement avec les équipes du budget pour consolider un plan de financement ambitieux, nécessaire à la modernisation des systèmes de navigation aérienne.

Il nous faudra des résultats rapides. Évidemment, ces mesures auront un coût, mais nous devrions profiter au maximum de la logique du budget annexe, tout en veillant à la poursuite de son désendettement et en continuant à maintenir les tarifs de redevances de navigation aérienne au niveau très compétitif qui est le leur par rapport à nos voisins européens.

Je vous rejoins sur le besoin de compléter et renforcer l'information du Parlement sur l'état d'avancement des programmes d'investissement et de modernisation de la navigation aérienne. Le rapport annuel de performances 2018 du programme 612 Navigation aérienne fait d'ores et déjà explicitement mention des évolutions de coût annuel de ces grands programmes de modernisation. L'analyse et les échanges que vous avez menés dans le cadre de cette évaluation parlementaire de l'exécution 2018 nous seront particulièrement utiles pour compléter les documents budgétaires dans le sens de vos attentes.

Je propose dans le cadre du prochain PLF d'expliciter encore plus clairement, dans le projet annuel de performances, à la fois des éléments de coûts annuels et pluriannuels et des éléments sur les risques pour chacun des programmes d'investissement. En particulier, les décalages et surcoûts éventuels par rapport aux prévisions initiales ainsi que les gains opérationnels et économiques seront clairement identifiés.

Je vous confirme que la DGAC applique scrupuleusement les instructions comptables de la direction du budget. Et, effectivement, un volume important du programme d'investissement de la DSNA fait l'objet en gestion d'une fongibilité des crédits du titre 5 vers le titre 3, en application de cette instruction comptable de 2010. Il s'agit de dépenses d'accompagnement des programmes techniques – notamment l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et la sous-traitance de certaines tâches techniques – mais également d'achats d'équipements informatiques et électroniques d'un prix unitaire inférieur à 10 000 euros et qui à ce titre doivent comptablement être réimputés en fonctionnement même s'ils sont une partie fonctionnellement essentielle du programme d'investissement. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les méthodes d'imputation comptable, qui relèvent des instructions générales du ministère des finances.

En revanche, je suis naturellement sensible aux questions de transparence budgétaire que vous soulevez. Je m'attacherai à ce que l'information financière fournie au Parlement aussi bien en préparation de la loi de finances qu'en compte rendu d'exécution soit complétée en tant que de besoin pour permettre une présentation parfaitement sincère de la prévision et de l'exécution financière du programme de modernisation technique de la DSNA.

Comme vous l'indiquez fort justement, les objectifs adoptés par la Commission et les États pour la performance de la navigation aérienne au niveau de l'Union pour la période 2020-2024 sont très ambitieux, aussi bien du point de vue opérationnel que du point de vue économique. Pour les pays qui, comme la France, sont le plus soumis à une croissance du trafic importante alors que les baisses d'effectifs de contrôleurs ont été sensibles ces dernières années, ils paraissent effectivement difficiles à atteindre. Il a été obtenu au comité du ciel unique européen que la déclinaison nationale de ces objectifs globaux tienne compte des spécificités nationales lorsque des investissements importants sont indispensables pour restaurer une capacité de contrôle suffisante, aussi bien du point de vue des recrutements de contrôleurs aériens que du point de vue des investissements de modernisation technique. C'est le cas de la France ; nous le faisons valoir.

Pour ce qui concerne les nouvelles organisations du travail des contrôleurs aériens prévues par le protocole social 2016-2019, je vous confirme que les expérimentations menées dans les centres en route de Reims, Brest et Bordeaux ont été très favorables. Je regrette qu'il n'ait pas été possible de faire de même à Aix-en-Provence et Athis-Mons.

Je note cependant que l'esprit et la lettre du protocole social ont été respectés : les contrôleurs ont bénéficié de revalorisations salariales spécifiques dans les centres expérimentateurs, mais à la condition de trouver un accord social local performant et bénéficiaire pour le transport aérien. Dans le cadre de la négociation sociale qui s'engagera pour la période 2020-2024, je souhaite naturellement que puisse être négociée la généralisation à tous les centres de telles dispositions performantes. Je serai aussi attachée à ce que ce principe d'expérimentation « donnant-donnant » puisse de nouveau être appliqué, en réponse aux besoins les plus pressants de productivité et de réorganisation qui ne trouvent de solutions vraiment satisfaisantes et adaptées, centre de contrôle par centre de contrôle, que lorsque des accords locaux réellement ambitieux sont trouvés.

Vous m'interrogez sur les leviers à mobiliser dans le cadre de la formation des personnels pour la mise en place des nouveaux systèmes de navigation. Je vous confirme que la question de l'organisation des formations de contrôleurs, à l'ENAC comme dans les centres de contrôle aérien, est un enjeu crucial pour la DGAC, sachant que les recrutements et la modernisation technique ne porteront pleinement leurs fruits qu'à l'horizon 2023-2024, et donc que tous les leviers de productivité devront être recherchés pour la période de transition.

Il faudra à la fois qualifier plus vite les contrôleurs nouvellement recrutés, en optimisant les plans de formation de qualification initiale dans les centres formateurs, et rendre encore plus productive l'organisation du travail dans les centres de contrôle pour limiter l'impact opérationnel de la charge de formation au nouveau système 4-Flight sur l'offre de capacité de contrôle en pointe.

Quant aux conflits sociaux, je l'ai dit, l'ensemble du système a effectivement été perturbé par les grèves au centre de contrôle d'Aix-en-Provence. Nous devons évidemment respecter le droit de grève, qui a valeur constitutionnelle, mais aussi garantir la continuité du service et la qualité du transport aérien. Une proposition de loi a pu être débattue au Sénat ; je pense qu'elle a été transmise à l'Assemblée nationale. Il me semble effectivement souhaitable de poursuivre la discussion sur la prévisibilité du contrôle. Nous avons des obligations internationales à respecter et il est de l'intérêt de chacun de pouvoir anticiper sur le niveau de mobilisation à l'occasion des mouvements de grève.

Pour ce qui est de la débudgétisation du CAS TET...

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