Intervention de Jean-Luc Chetrit

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Luc Chetrit, directeur général de l'Union des marques :

L'Union des annonceurs, organisation de plus de cent ans, est devenue, depuis le 18 avril dernier, l'Union des marques. Ce changement sémantique n'est pas anodin mais révélateur de la manière dont les marques se développent aujourd'hui et utilisent, dans leur communication, des leviers de toutes natures.

L'Union des marques représente 230 entreprises, 1 500 marques dans tous les secteurs, dans tous les statuts, de toutes les tailles. C'est important, puisqu'il y a un certain nombre de ces sujets qui ne concernent pas seulement les grandes marques et les grandes entreprises, mais également des entreprises de tailles intermédiaires implantées dans les territoires qui ont besoin de se développer.

Ces marques participent à l'économie du pays. Elles investissent chaque année plus de 30 milliards d'euros en communication. Toutes les études menées à travers le monde et en France – nous en avons menée une en 2017 avec Deloitte – montrent qu'un euro investi en communication génère une croissance de 7,85 euros du produit intérieur brut. Ces marques investissent dans la communication parce qu'elles constatent que celle-ci créé de la croissance.

Le secteur de la publicité emploie plus de 500 000 personnes et finance en particulier les médias et la culture, puisque les recettes publicitaires contribuent à l'économie des médias. Ces recettes sont de l'ordre de 14 milliards d'euros et croissent année après année. Elles ont connu quelques années plus difficiles, mais l'année dernière, la croissance s'est établie à plus de 4 %. Cette croissance, en effet, est essentiellement liée à internet qui croît de 17 % par rapport à l'année précédente.

Sans vouloir vous inonder de chiffres, il importe de comprendre que 90 % de la croissance de ces 17 % se concentrent chez Facebook et Google, qui captent la croissance du social et du search. Pour autant, les médias audiovisuels connaissent également une légère croissance, ce qui n'est pas le cas de la presse, qui connaît plutôt une décroissance de ses investissements.

Il importe également de comprendre que les marques sont de plus en plus demandeuses de la personnalisation rendue possible par le biais des réseaux sociaux et par le search, donc par Google. La personnalisation de la relation entre les marques et leur public constitue un mouvement de fond. L'enjeu, pour les médias de masse, est d'être capable de continuer à démontrer leur efficacité à des annonceurs qui changent progressivement de modèle de communication.

Si cette réforme est nécessaire compte tenu de ces évolutions, il nous semble qu'il y a un certain nombre d'enjeux qu'il faut prendre en compte, et certaines idées reçues qu'il faut contrecarrer.

La première idée reçue, c'est penser qu'il y a un système de vases communicants entre chaînes et stations de radio privées et publiques. On imagine souvent que lorsque l'on ferme le robinet des chaînes publiques, ces revenus sont détournés vers les chaînes privées. C'est une idée fausse et démontrée à de nombreuses reprises, notamment en 2009, quand a été réduit le volume publicitaire sur les chaînes publiques.

En effet, ce volume publicitaire n'a pas fait l'objet d'un transfert vers les chaînes privées, car les audiences, l'offre et la capacité des chaînes à recevoir plus d'offres est limitée. Par ailleurs, l'audience spécifique des chaînes publiques, plus seniors et plus CSP +, qui répond à certains besoins de certaines marques, n'est pas de même nature que celle des chaînes privées. Depuis 2009, le transfert se fait plutôt au profit d'autres médias dont le digital.

La deuxième idée reçue, c'est de penser qu'il existe des vases communicants entre médias traditionnels. Les recettes publicitaires de la presse, en baisse depuis plusieurs années, n'ont pas été captées par la télévision, mais bien par les plateformes digitales. Ce qui fait souvent l'objet de discussions avec nos partenaires de la presse, de l'affichage ou de la radio, c'est l'idée que les uns sont en concurrence avec les autres pour capter les budgets des annonceurs. Or, ces médias sont plutôt stables, car ils ont chacun un rôle bien défini par rapport aux autres. Face à ce mouvement vers la personnalisation et cette transformation digitale, il faut plutôt chercher à armer les médias dits traditionnels.

La troisième idée reçue, c'est que les marques voudraient toujours plus de volume publicitaire. Or, les marques ne veulent pas plus de volumes publicitaires, mais cherchent des environnements publicitaires de qualité, protecteurs de leur marque, et une meilleure intégration de leurs messages.

De là viennent plusieurs voies, me semble-t-il, pour essayer d'accompagner les médias audiovisuels dans leur transformation. Il s'agit de faire en sorte que la publicité segmentée et l'émergence de nouvelles technologies de publicité profitent aux médias, pour permettre aux chaînes de répondre avec les mêmes armes que ces formidables plateformes qui ont su répondre à l'attente d'un public par une capacité d'adressage et de personnalisation nouvelle, et ouvrir aux chaînes – et peut-être demain, à la radio numérique terrestre, de la même façon – la capacité de personnaliser les communications. Ce faisant, nous permettrions à des entreprises qui, dans les territoires, ont besoin de la publicité audiovisuelle pour se développer, d'accéder de façon économique à des médias qui peuvent être pertinents pour elles.

La deuxième proposition que nous souhaitons formuler concerne les secteurs de la distribution et du cinéma, dont les entreprises investissent et pourraient tirer profit de la publicité audiovisuelle. Il ne faut donc pas limiter à certains secteurs cette capacité d'évoluer de façon raisonnable et raisonnée. Nous proposons que cette ouverture à la promotion de la distribution ne se fasse pas sur les promotions ni en numérique ni en littéraire, mais uniquement sur des évènements calendaires. Cela signifie que 70 à 80 % de la publicité pour la promotion de la distribution qui est aujourd'hui faite en numérique ou en littéraire dans la presse perdureront. En revanche, la télévision pourra permettre à ces marques d'avoir un message plus qualitatif sur les grands évènements calendaires.

Nous sommes également favorables à la rationalisation du nombre de mentions obligatoires. Aujourd'hui, 864 mentions sont imposées en publicité par 153 textes différents. Je ne vois qu'une citation pour exprimer la conséquence de cette accumulation : « Trop de mentions tuent les mentions » ! Vous êtes tous exposés, comme moi, à ces multiples mentions qui apparaissent en bas des écrans. Plus personne n'y prête attention, et elles n'ont dès lors pas l'effet souhaité. Il faut trouver une autre façon de transmettre au grand public des messages de responsabilité, d'ailleurs probablement plutôt au moment où l'achat s'effectue, qu'au moment où l'on en fait la publicité.

Par ailleurs, nous sommes favorables à l'ouverture du placement de produits dans les émissions de flux, afin de nous aligner sur la directive Services de médias audiovisuels (SMA) et permettre à des marques d'être présentes. Netflix, qui développe actuellement plus de soixante émissions de flux, l'annonce déjà. Pourquoi les chaînes françaises ne seraient-elles pas autorisées, comme Netflix, à présenter une marque dans le cadre d'une émission de flux ?

Enfin, nous sommes favorables à une plus grande flexibilité dans l'application des règles relatives aux temps publicitaires. Il ne s'agit pas d'augmenter le temps publicitaire, mais d'assurer le confort du téléspectateur et la qualité des emplacements. À ce titre, les évolutions possibles, relativement légères, doivent être permises dans le cadre de la réforme de la régulation audiovisuelle.

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