Intervention de Béatrice Descamps

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBéatrice Descamps :

Nous examinons pour avis les articles 1er et 4 de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet. La prolifération de la haine sur ce média s'accroît de manière exponentielle. La proposition de loi porte l'objectif très ambitieux d'apporter des réponses à ce phénomène.

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui rejoint, à certains égards, les débats sur le projet de loi relatif à la lutte contre la manipulation de l'information. Il s'agit de lutter contre la publication de contenus néfastes qui prolifèrent sur internet sans que l'on ne parvienne à y mettre un terme. L'auteur de ces contenus, derrière un écran d'ordinateur, est capable de proférer des propos racistes, discriminatoires – illégaux donc – en toute impunité. L'instantanéité de la diffusion et le caractère immatériel d'internet engendrent toute une série d'abus qui sont autant de souffrances pour les personnes qui en sont victimes.

On imagine souvent que l'auteur de tels propos est une personne très jeune et puérile. Mais la vérité est bien différente… En février dernier, la désormais fameuse « Ligue du LOL », regroupant des journalistes, des communicants et des publicitaires, a été démasquée. Elle est accusée de harcèlement à connotation sexiste et homophobe. La prolifération des contenus haineux atteint un tel degré que des applications permettent de faire le tri, via des algorithmes, entre les messages reçus sur les réseaux sociaux. Ces algorithmes sont capables de distinguer les messages haineux des messages anodins.

Au-delà de l'endiguement des contenus haineux, il s'agit également de lutter contre leur banalisation. C'est simple, à force de les voir, on ne fait plus attention à eux ; ils font partie du paysage.

Toute la difficulté tient dans l'imputabilité : à qui attribuer la responsabilité ? À qui incombe-t-il de faire le tri dans la diffusion des contenus ? La proposition de loi fait un choix en étendant les prérogatives du CSA. Cela va dans le bon sens car c'est l'autorité la plus compétente pour opérer ce contrôle. Toutefois, nous nous interrogeons sur la nature du contrôle et sur les moyens alloués, face à l'afflux colossal des requêtes. Le CSA effectue d'ores et déjà le contrôle des contenus diffusés à la télévision, à la radio et sur les services de médias audiovisuels à la demande, il semble donc naturel que ce contrôle soit étendu aux réseaux sociaux. Mais effectuer un contrôle global entrainera une charge de travail colossale, qui nécessite des moyens financiers, humains et organisationnels.

Quels moyens entend-on octroyer au CSA afin qu'il mène à bien la mission que vous lui confiez ? Quelle sera l'articulation des prérogatives du CSA avec celles du juge judiciaire ? Comme l'énonce le Conseil d'État dans son avis du 16 mai 2019 : « la suppression d'un contenu odieux sur internet est un acte radical au regard de la protection dont jouit la liberté d'expression (…). Le retrait de contenu ne peut donc généralement être opéré que par le juge judiciaire ou à tout le moins sous son contrôle ».

Au-delà des interrogations, nous avons également des craintes. Si nous partageons ardemment la nécessité de lutter contre la haine sur internet, toutes les situations ne sont pas évidentes. L'étude des propos dénoncés ne permettra pas toujours de classer ceux-ci comme corrects ou devant être supprimés en un temps record. La temporalité de la suppression interroge donc : porter atteinte à la liberté d'expression mérite de prendre le temps de la réflexion.

Comme l'indique votre rapport, pour lutter efficacement contre la diffusion des contenus haineux sur internet, il faut prévoir un accompagnement, par des programmes ambitieux de lutte contre le harcèlement, notamment à l'école – c'est déjà le cas – mais pas uniquement. Il est primordial de former les enseignants, tant lors de leur formation initiale qu'en formation continue, afin que ceux-ci sachent réagir face aux situations de harcèlement. Il faut aussi sensibiliser les parents, qui n'ont pas toujours conscience de ce que font leurs enfants sur internet.

Le groupe UDI Agir et Indépendants ne formulera donc pas d'avis sur un texte dont nous savons déjà que les articles seront largement modifiés.

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