Intervention de Claude de Ganay

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées (Soutien et logistique interarmées) :

Je souhaite tout d'abord saluer les efforts budgétaires importants consentis dans la droite ligne de la LPM 2019-2025, dite « à hauteur d'homme ». Nous vivons une époque où chaque dixième de point de croissance ne se gagne qu'au prix d'une maîtrise difficile de la dépense publique, mais également un temps où l'incertitude géopolitique obscurcit le chemin stratégique vers l'état final recherché.

Pour se prémunir contre toute néfaste impréparation, la France doit montrer l'exemple et conserver son rang, en portant sa voix et celle de l'Union européenne au chapitre des nations ne subissant pas leur avenir, mais le forgeant. Que la mission Défense représente les trois quarts des dépenses d'investissement de l'État illustre bien mes propos. J'espère que nos voisins allemands prendront pleinement conscience de cet enjeu et feront un jour, eux aussi, ce choix courageux.

Madame la ministre, à l'automne dernier, en tant que rapporteur pour avis des crédits alloués au soutien logistique interarmées dans le projet de loi de finances pour 2019, j'avais eu l'occasion de vous inciter à confirmer que les surcoûts non financés liés aux OPEX seraient bien couverts par un financement interministériel, comme prévu par les deux dernières LPM. Force est constater que l'exécution budgétaire 2018 déçoit, et seront déçues en conséquence les attentes des militaires français quant à l'amélioration de leur quotidien. Malgré cette sous-budgétisation, le rapport de la Cour des comptes décrit des améliorations encourageantes en termes de sincérisation budgétaire. Cette dernière est nécessaire afin d'effectuer des rebasages crédibles pour les lois de finances futures. L'augmentation des provisions OPEX – elles atteignent 1,1 milliard d'euros à partir de 2020 – est sans conteste un pas dans la bonne direction. Cependant, il eût été souhaitable que la même progressivité s'appliquât à la fin du mécanisme de solidarité gouvernementale en termes de financement de leur surcoût. La fin prématurée de ce mécanisme vient mitiger le bilan de la LPM que vous avez portée : l'effort budgétaire est en demi-teinte puisque la mission Défense doit désormais gérer un reste à charge de 542 millions d'euros.

La Cour des comptes rappelle à juste titre que les dépenses supplémentaires engendrées par les entretiens de matériel et la masse salariale déployés dans les OPEX et MISSINT limitent la marge de manoeuvre qui servait à rattraper nos déficits capacitaires. À titre d'exemple, j'ai pu observer ces déficits capacitaires par le recours extensif aux externalisations dans le cas d'activités aussi importantes que le maintien en condition opérationnelle de nos parachutistes, alors que la repatrimonialisation de certains matériels aurait été souhaitable.

Ce reste à charge a contraint à l'ouverture de 404 millions d'euros de crédits en loi de finances rectificative en décembre 2018, intégralement gagés par l'annulation de crédits dans les programmes 146 Équipement des forces et 144 Environnement et prospective de la politique de défense. Une armée qui doit rogner sur la qualité de l'équipement de ses troupes et sur l'étude prospective de son environnement stratégique afin de permettre de justesse son plein déploiement hors des frontières pourrait être assimilée à une armée déployée au-delà de ses moyens, caractéristique de nations que l'on pourrait qualifier de crépusculaires.

Alors que le chef d'état-major des armées lui-même a décrit l'armée française comme éreintée, sous-équipée, sous-dotée, sous-entraînée, Bercy opère des coupes dans les programmes cruciaux qui faisaient que nos soldats opéraient dans des conditions tout juste dignes de leur profession. Un soldat professionnel ne devrait pas avoir à rafistoler son équipement ou à prendre sur sa solde afin de s'équiper convenablement en amont de son déploiement. Madame la ministre, les statistiques des services de recrutement des armées montrent les difficultés qu'ils éprouvent à susciter de nouvelles vocations de soldats, ainsi qu'à fidéliser ceux déjà engagés. Il est inutile de chercher bien loin : la dégradation de leurs conditions de travail y contribue sûrement.

Nous ne pouvons pas laisser l'augmentation du budget des armées excuser les futurs arbitrages au détriment de votre ministère. Ainsi, certaines cessions immobilières visent à grappiller quelques millions pour boucler un budget serré : Le Point relate la vente de l'îlot Saint-Germain – 17 000 m² évalués à 350 millions d'euros – pour 29 millions à la Ville de Paris afin qu'elle puisse y construire des logements sociaux. Il s'agit d'une bien curieuse opération quand on sait le dur combat que doivent livrer les militaires pour loger leurs familles dans les zones très tendues, telles que Paris ou Bordeaux ! En tant que rapporteur du même avis sur le projet de loi de finances pour 2020, je compte analyser ce déshabillage de Pierre pour habiller Paul, en me plaçant au plus près de la réalité opérationnelle de nos soldats, afin de m'assurer que leur engagement soit décemment accompagné par les services ministériels.

Madame la ministre, le sacrifice ultime de cent vingt-cinq de nos concitoyens au cours des dix dernières années nous oblige. Le budget des OPEX et MISSINT ne doit pas entrer en concurrence avec celui des autres programmes de la mission Défense. Nos engagements dans la bande sahélo-saharienne et au Levant ne doivent pas se transformer en surengagements. Pour s'en prémunir, il faut rétablir, puis diminuer petit à petit le financement interministériel du surcoût des OPEX, au fur et à mesure de l'effectivité de la sincérisation des budgets. Nous serons à vos côtés pour porter ce message à M. Darmanin et à la direction du budget lors de la préparation du prochain projet de loi de finances. Pas plus qu'un enlisement sur le front Gao-Niamey, nous ne voulons d'un enlisement sur le front Balard-Bercy.

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