Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances :

Je tiens tout d'abord à remercier Mme Gregoire pour l'hommage rendu à la DGE. La transformation de la DGE, qui s'inscrit dans le programme « Action Publique 2022 », est en effet exemplaire. Exemplaire dans la façon dont elle a été conduite, avec la suppression des trois quarts du réseau de la DGE, ce qui est assez exceptionnel pour un service de l'État. Exemplaire également – et c'est le plus important – dans sa conception stratégique : en partant des missions et en réfléchissant aux compétences ainsi qu'à l'organisation pour un fonctionnement en mode projet et en mode services à l'intention des entreprises. C'est exactement la méthode que nous voulons déployer dans d'autres domaines.

Je prends acte, par ailleurs, des critiques que vous avez pointées à propos du programme 134, qui est effectivement peu lisible – il serait difficile de dire le contraire. Il ne permet pas d'embrasser d'un seul regard l'ensemble des actions conduites au service des entreprises.

S'agissant plus particulièrement des niches fiscales, je nourris moi-même des inquiétudes que nous pouvons collectivement partager, car je n'ai pas encore une expérience complète d'un cycle budgétaire. Je parle donc avec une casquette de « nouveau venu », mais cela permet de conserver intacte une certaine capacité d'étonnement, ce qui est intéressant.

Effectivement, on constate parfois une forme d'injonctions paradoxales résultant de la volonté, que je pense partagée par tous, de simplifier notre fiscalité et du souhait de la modifier par voie d'amendement. Cette simplification répond d'ailleurs à des demandes adressées par des investisseurs étrangers. Si le dernier classement d'Ernst & Young est excellent, vous noterez cependant que la complexité est considérée comme le premier obstacle à notre compétitivité. Notre place dans le classement en termes de complexité administrative et fiscale nous ferait tous collectivement rougir. Je partage donc totalement l'objectif de simplification, mais, lorsqu'on a la chance de défendre un projet de loi de finances dans l'hémicycle au banc des ministres, on est ébloui par notre capacité collective d'amendements et de modifications de la loi fiscale. Nous devrions probablement tous nous discipliner sur ce point.

S'agissant des impôts de production, le ministère de l'économie et des finances ne fait pas mystère que cette question pose un problème de compétitivité aux entreprises françaises, à deux titres. Premièrement parce qu'ils sont massivement plus élevés que dans bien des pays étrangers : 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) pour la France et 0,5 % en Allemagne, sept fois supérieurs dans notre pays. Deuxièmement, parce que la croissance progresse de manière beaucoup plus importante que le PIB. Le problème ne s'améliore donc pas : il s'aggrave. Nous traitons de ce sujet dans le Pacte productif 2025, au sein notamment du groupe de travail Industrie. Il s'agit de répondre à la demande du Président de la République de construire des trajectoires longues, incluant un certain nombre d'engagements – transition écologique, énergétique, investissements, etc. – avec l'objectif d'atteindre le plein emploi.

Comment converge-t-on vers le plein emploi, alors que des transitions majeures doivent être accompagnées ? De façon très caricaturale, je ne prendrai que l'exemple du secteur de l'automobile : comment passer du diesel à la batterie électrique ? Ce pacte productif est conçu avec les entreprises, les organisations syndicales et les régions, qui sont, en effet, un acteur majeur du développement économique – ce sont elles qui ont les clefs du camion pour le développement économique des territoires. Nous en avons tiré les conclusions dans la réforme de la DGEs comme dans le dispositif « Territoires d'industrie ».

S'agissant des niches fiscales, vous le savez, leur revue est en cours. Pour ma part, je souhaite que nous portions sur ces niches fiscales une appréciation qui fasse le départ entre les différents dispositifs en fonction de leur objet propre. Certaines d'entre elles apportent des réponses à des problèmes de compétitivité, tel le CICE. Or j'observe qu'Ernst & Young indique que le coût du travail est le deuxième élément pesant sur notre compétitivité internationale. Est-il question de niche fiscale lorsqu'il s'agit d'essayer de limiter l'écart existant entre le coût du travail en France et ceux d'autres pays ? Je ne parle pas de ceux dont le modèle social et environnemental est fortement différent du nôtre : je parle de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal, qui sont des compétiteurs. Et pour l'Allemagne, je ne pense pas que l'on puisse dire que son engagement social, sociétal et environnemental est moindre que le nôtre. Il importe à cet égard que nous ayons des visions transversales, des benchmarks. J'ai vu qu'un tel travail de benchmarking avait été réalisé par le rapporteur spécial au sujet de l'export : je m'en réjouis vivement car c'est très utile pour prendre de la hauteur sur différents sujets. Il faut donc apprécier ces niches fiscales pour ce qu'elles apportent, mais aussi dans le cadre de comparaison, car on mitige parfois une difficulté.

S'agissant de la diversité des dispositifs de soutien à la compétitivité, il ne faut pas oublier que nous accompagnons chaque étape de développement des entreprises : l'amorçage, les premières levées de fonds, la commercialisation, le prototypage. Effectivement, on peut avoir tendance à multiplier ces innovations liées au cycle de l'entreprise, et cela pourrait peut-être être simplifié ou rendu plus compréhensible. Cela n'enlève rien à la critique adressée à l'ensemble du dispositif, et qui n'est pas nouvelle puisque, pour être revenue à la politique après quinze ans d'absence, je note que, de ce point de vue, il n'y a pas eu de changements significatifs.

Au sujet de la politique industrielle, vous avez mentionné, monsieur Roseren, le programme d'investissement dans les compétences et le dispositif de volontariat territorial en entreprise, qui provient du programme « Territoires d'industrie ». Je vous rappelle qu'il sera mis en place au mois de septembre prochain. Je souhaite également indiquer que ce programme est transversal à l'ensemble des filières. Chaque contrat stratégique de filière – ou de secteur, parce que certaines filières sont en réalité des secteurs – comprend un travail portant sur les compétences qui manquent, et sur la façon de les récupérer au travers de la déclinaison de plans d'action.

Vous indiquez par ailleurs que la France se situe au seizième rang dans le domaine du numérique. À cet égard, deux dispositifs semblent absolument essentiels : les 10 000 diagnostics numériques et le dispositif de suramortissement permettant aux PME d'investir dans des machines propres à les faire passer à l'industrie 4.0. Je pense machines à commande numérique, fabrication additive ou robot collaboratif, dit « cobot ».

Nous sommes en retard, notamment sur l'Allemagne, qui possède à peu près deux fois plus de robots que la France, appréciation à pondérer toutefois par le poids de son industrie automobile, très robotisée. Nous sommes également en retard sur l'Italie, exemple plus intéressant puisque, a priori, ce surplomb de l'automobile est absent. Et il faut savoir que nous sommes plus souvent comparés à l'Italie qu'à l'Allemagne, même si nous aimerions bien n'être comparés qu'à elle – cela vaut aussi pour le coût du travail.

Aussi, une vraie nécessité d'accélérer ce déploiement s'impose à nous. Celle-ci suppose de travailler demain dans une plus grande proximité avec les régions, puisque nous leur avons confié la contractualisation. Le dispositif date de septembre. Or aucun contrat avec les régions n'a été signé : c'est un constat, je ne jette la pierre à personne. Il reste que si nous voulons que 10 000 PME fassent l'objet de ces diagnostics, il faut accélérer le processus, c'est fondamental.

Quelle est la valeur ajoutée du programme « Territoires d'industrie » ? Elle est évidente pour ceux qui participent à ce programme. Ainsi, à Chalon-sur-Saône, où je me suis rendue lundi dernier, toutes les personnes qui travaillent à des projets dans ce cadre, qu'il s'agisse des chefs d'entreprise ou des élus locaux, d'établissements publics de coopération intercommunale ou de la région – en l'occurrence, le vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté –, m'ont indiqué que, si le dispositif était complexe, il leur permettait néanmoins, dans la mesure où il part du terrain, de mieux travailler ensemble.

De fait, il s'agit d'un dispositif très concret. Tout d'abord, le territoire concerné correspond à un bassin d'emploi, et non à une unité administrative, de sorte que, c'est vrai, il est parfois à cheval sur une frontière régionale ou départementale. Ensuite, il consiste à mettre autour de la table les entreprises, les parties prenantes – chambres de commerce et d'industrie (CCI), représentants des organisations syndicales, Union des industries et métiers de la métallurgie... – et la région, pour élaborer des projets très concrets. Il peut s'agir, par exemple, de créer une section d'apprentissage afin de servir les dix industriels proches sur un projet précis, en mettant à disposition un bâtiment désaffecté pour loger les apprentis. C'est ce type de projets qui permettent d'éliminer les petits grains de sable qui nous empêchent de développer, ou de mieux développer, l'industrie. On se plaint du manque de compétences. Or, en la matière, compte tenu des investissements réalisés dans la formation, il faut désormais s'efforcer de rapprocher les personnes des activités – et inversement –, en se penchant sur la question du logement et celle de la mobilité, ou en facilitant la création d'antennes d'apprentissage dans des territoires plus réduits. C'est très concret, et cela ne se décide pas à Paris : voilà ce qu'apporte le programme « Territoires d'industrie ».

Aux présidents de région qui commencent à goûter au plat et à se dire que la sauce n'est finalement pas si mauvaise, je dis : c'est à vous de jouer, maintenant ! Il est vrai qu'il leur est difficile de sauter le pas et de s'emparer de la maîtrise du dispositif, mais celui-ci est à leur service. Il n'y a pas de piège politique. Maintenant, il faut y aller ! Je le dis avec une certaine solennité, car je crois beaucoup à ce dispositif.

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