Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du lundi 17 juin 2019 à 16h00
Débat sur le rapport de la cour des comptes sur le budget de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Même si nous avons déjà beaucoup amélioré l'examen du projet de loi de règlement, il serait possible à l'avenir d'aller plus loin, en passant à l'examen d'une véritable loi de résultats, toutes administrations publiques confondues. Car on ne peut désormais porter un jugement sur nos finances publiques en se limitant à l'examen du budget de l'État. L'exercice 2018 en est la parfaite illustration, puisqu'il présente une hausse du déficit de l'État, alors que le déficit public diminue. Votre rapport, qui porte sur le seul budget de l'État, pointe donc – et c'est normal – l'augmentation de son déficit, qui passe de 67,7 à 76 milliards d'euros. Pour autant, et c'est là le paradoxe de cette loi de règlement, la situation des finances publiques s'est améliorée en 2018, toutes administrations publiques confondues : le déficit public a diminué de 0,3 point de PIB et, parallèlement, la dette publique s'est stabilisée.

Le paradoxe, qui n'est qu'apparent, s'explique simplement. Depuis que je suis rapporteur général, je souligne dans tous mes rapports que l'État porte l'essentiel du déficit public. C'est encore plus net cette année, puisque le déficit de l'État est désormais supérieur au déficit public. Cette situation résulte du fait que l'État supporte seul l'essentiel des baisses de prélèvements obligatoires.

Les compensations que l'État verse aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale représentent près des deux tiers de son déficit. En 2018, l'État a ainsi versé 15,7 milliards d'euros au titre des dégrèvements d'impôts locaux et près de 32 milliards d'euros au titre des allégements généraux de cotisations sociales.

Dans votre rapport, monsieur le Premier président, vous suggérez de revoir la répartition des prélèvements obligatoires entre l'État et les autres catégories d'administration publique, en particulier la sécurité sociale. Je partage entièrement ce point de vue. À défaut, une véritable loi de résultats permettrait d'y voir plus clair.

L'enjeu de la lisibilité des finances publiques est crucial. Un travail doit être fait, tant sur les recettes que sur les dépenses. Par exemple, le montant des recettes fiscales nettes, qui figure dans l'exposé des motifs du projet de loi, est de 295,4 milliards d'euros. Or le vrai montant des recettes de l'État a été de 321,1 milliards d'euros en 2018, ce chiffre n'apparaissant nulle part dans la documentation budgétaire.

Deux raisons expliquent cette différence. En premier lieu, la présentation budgétaire habituelle déduit du montant brut des recettes fiscales de l'État les dégrèvements et remboursements des impôts locaux. Comme chaque année, la Cour des comptes a critiqué cette présentation et recommandé que les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux ne soient plus déduits des recettes fiscales brutes de l'État. Je rejoins cette analyse.

En second lieu, la présentation budgétaire mise en avant par le Gouvernement ne tient pas compte des recettes fiscales affectées en tout ou partie à différents budgets annexes et comptes spéciaux de l'État. Cette fraction de la fiscalité est donc souvent omise dans l'analyse politique et économique des comptes de l'État.

Il est également nécessaire d'améliorer la lisibilité des dépenses de l'État. C'est d'ailleurs l'une des recommandations de la Cour, à laquelle je souscris. Il est actuellement difficile de disposer d'une vision agrégée des dépenses de l'État : les prélèvements sur recettes et les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux sont comptabilisés comme des moindres recettes, alors qu'ils sont assimilables à des dépenses.

Il n'est pas non plus aisé de retracer les dépenses des opérateurs de l'État financées par des taxes affectées. L'affectation directe de taxes à des opérateurs revient en fait à sanctuariser les dépenses des opérateurs au niveau du montant affecté. Les principes budgétaires d'unité et d'universalité doivent rester la règle ; l'affectation de recettes, une exception. Je me bats chaque année contre cette captation de la ressource fiscale. Y a-t-il plus de raisons à sanctuariser les dépenses d'un opérateur que celles d'une mission du budget général ? Cela ne me paraît pas toujours se justifier.

En commission des finances, notre collègue, Charles de Courson, a émis l'idée que la Cour puisse travailler à une consolidation des comptes des administrations publiques centrales, en intégrant dans un même document les dépenses du budget de l'État et les dépenses débudgétisées. Cette idée me semble particulièrement intéressante.

La fragmentation budgétaire des dépenses est l'une des faiblesses de notre système comptable. Faire des choix budgétaires sur les politiques publiques nécessite d'abord de disposer d'une vision agrégée de l'ensemble de ces politiques publiques. Il pourrait donc être utile de consolider les dépenses de l'État et de ses opérateurs, comme le font actuellement la majorité des pays de l'OCDE.

La redéfinition des normes de dépense proposée par le Gouvernement et inscrite dans la loi de programmation des finances publiques a eu pour vertu de permettre une analyse plus complète de l'évolution de la dépense de l'État. La création de la norme de dépenses pilotables de l'État et de l'objectif de dépenses totales de l'État découle directement des recommandations de la Cour des comptes. Elles permettent de limiter les contournements, qui ont pu être observés par le passé. En 2018, comme vous le soulignez, ces deux normes ont été respectées, preuve de la bonne maîtrise de la dépense de l'État. On ne peut que s'en réjouir.

La maîtrise de la dépense publique en général et de la dépense de l'État en particulier ne peut toutefois être réalisée au détriment de la qualité des politiques publiques. L'esprit de la LOLF, auquel le Premier président n'est pas tout à fait étranger, était bien d'améliorer l'efficience de la dépense publique, de faire mieux avec moins. Dans cette optique, le dispositif de performance avait pour objet d'analyser l'évolution de l'impact des dépenses budgétaires. C'est moins l'évolution du niveau des dépenses qui compte que celle des résultats des politiques publiques.

Dans votre rapport, vous constatez que le système de performance a déçu. Vous formulez également plusieurs préconisations intéressantes pour l'améliorer. Il va sans dire que le travail de la Cour sur ce sujet alimentera celui de la MILOLF.

Je partage aussi l'analyse de la Cour sur le bilan en demi-teinte des indicateurs de performance. Je voudrais toutefois rappeler que la plupart des pays qui ont mis en place un système comparable se posent les mêmes questions que nous. L'OCDE a indiqué que les informations relatives à la performance fournies par le Gouvernement étaient de très bonne qualité. Elle a aussi souligné combien le fait que ces données soient soumises à la Cour des comptes, organisme indépendant, était un atout, qui distinguait la France de la plupart des autres pays.

On ne peut toutefois demander plus au dispositif de performance que ce qu'il peut offrir. Il ne suffit pas de se munir d'un outil de mesure plus précis pour améliorer les résultats que l'on évalue. Voilà pourquoi il ne serait pas inutile de développer les revues des dépenses, comme le font de plus en plus les autres pays de l'OCDE.

En résumé, je souscris à la plupart de vos constats et me réjouis de l'intensification des liens entre le Parlement et la Cour des comptes, dans un contexte de rétablissement de l'équilibre des comptes publics, contexte qui ne doit toutefois pas nous distraire, bien au contraire, de notre mission commune de contrôle du budget et d'évaluation des politiques publiques.

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