Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 16h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser :

Je répondrai aux questions dans l'ordre inverse, en commençant par un sujet qui m'est cher, celui des blessés. Au cours de ces cinq années, j'ai beaucoup réfléchi au sujet et j'ai rendu fréquemment visite aux blessés physiques et psychiques soignés à Percy. J'ai acquis la conviction que la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre, la CABAT que tout le monde connait, est un outil sous-dimensionné au regard des besoins. Au travers de la Maison du combattant, que j'imagine pour demain, je souhaiterais restructurer les leviers du soutien au service de nos blessés que constituent les associations, Terre Fraternité, les entraides, les donateurs, et l'armée de terre qui reste le premier contributeur de l'action menée par l'intermédiaire de la CABAT. Un projet est en cours. Il est complexe juridiquement dans un domaine commun à l'armée de terre et au service de santé des armées. Des textes doivent être aménagés pour que les soldats bénéficient d'une protection juridique lorsqu'ils sont placés en congés maladie de longue durée. J'espère que ce projet aboutira, notamment pour les blessés psychiques pour lesquels il ne semble pas se produire beaucoup d'évolutions. Mais cinq ans est peut-être une durée trop brève pour apprécier les résultats, la guérison de ce type de blessures étant souvent très lente. Je suis toutefois convaincu que rester dans l'ambiance militaire serait bénéfique à nos jeunes soldats qui n'ont parfois pas de famille et que vivre dans les maisons que j'envisage serait un bon facteur de réinsertion.

Vous saluerez de ma part le député Yves Fromion qui m'a accueilli ici lors de mes premières auditions. Il était pour nous une sorte d'icône, ancien militaire, alors le Saint-Cyrien de l'Assemblée nationale. Je ne pousse pas mes jeunes officiers dans cette direction mais pourquoi pas, s'ils le souhaitent. Bien qu'ayant combattu l'un de ses projets consistant à ramener la section technique de l'armée de terre (STAT) à Bourges, je tiens à saluer son action.

Pour revenir sur votre question concernant la réserve, nous sommes pleinement conscients que 2023 constituerait une bonne répétition avant les Jeux olympiques de 2024.

En matière de relations internationales, nous nous distinguons par notre capacité à accepter de payer le prix du sang. De surcroît, la Constitution de notre pays nous permet d'engager, sur décision politique et dans des délais très courts, une force opérationnelle. La décision qui a conduit à lancer la récente opération de libération d'otages au Sahel en est l'illustration. C'est ce qui nous différencie de la plupart de nos homologues. Pour autant, nous pouvons faire beaucoup en commun, dans de nombreux domaines, comme celui de l'instruction de nos hommes. Cette coopération trouve une limite dès lors qu'il s'agit de risquer la vie de nos soldats. Cette capacité est reconnue par les Américains qui la citent instantanément et sans l'ombre d'une hésitation quand ils sont interrogés sur les Nations qui comptent militairement.

M. Gassilloud vous demanderez peut-être des droits d'auteur, mais comme je partage l'idée selon laquelle la révolution que représente l'intelligence artificielle est identique à celle de la poudre en son temps, je la reprends à mon compte. L'intelligence artificielle va nous donner des capacités que nous ne mesurons pas aujourd'hui. Nos équipements modernes sont souvent source de belles surprises. Ainsi, en matière d'aéronefs, les évolutions du NH90 ne sont pas encore totalement exploitées. C'est vrai pour les hélicoptères mais cela le sera dans de nombreux domaines.

En ce qui concerne l'imprimante 3D, j'ai eu l'occasion d'interroger le général commandant le corps des marines des États-Unis, prochain chef d'état-major des armées américaines. Un marine a créé en peu de temps une pièce servant à la fermeture d'une porte d'engin blindé amphibie pour laquelle l'industriel demandait un prix faramineux. Nous nous sommes engagés dans la voie de la 3D et j'estime que la maintenance des forces est un bon point d'entrée, car de petites pièces conditionnent souvent des disponibilités techniques importantes. L'imprimante 3D fonctionne dans l'espace, elle devrait donc pouvoir fonctionner en bande sahélo-saharienne ! Nous allons la tester. À ce stade, l'interrogation porte notamment sur la capacité à produire des pièces résistantes à des pressions mécaniques ou à la chaleur. Il doit par exemple être facile de créer un percuteur par imprimante 3D mais plus difficile d'en apprécier la durée de vie.

En matière de réserve, le 24e régiment d'infanterie, que vous avez cité, est l'exception qui confirme la règle. Une exception à laquelle nous devons notamment le soutien du 14 juillet qui, ce que beaucoup ignorent, repose essentiellement sur la réserve et plus particulièrement sur ce régiment sans lesquels nous aurions des difficultés pour remplir cette mission. L'idée n'est néanmoins pas de créer un nouveau régiment de réservistes. La dernière réunion de commandement sur le pilier des réserves a confirmé le principe fondamental selon lequel une réserve efficace est une réserve intégrée à l'active, ce qui assure la meilleure capacité opérationnelle. Vous avez cité, à la gare Saint-Charles à Marseille, des actions de réservistes efficaces parce qu'intégrés à un trinôme comptant également des militaires d'active. Des régiments intégralement de réserve seraient compliqués à soutenir, à entraîner, à évaluer et à engager.

Je suis un fervent adepte de l'hélicoptère interarmées léger. Il était important de l'avancer dans la loi de programmation militaire et les dernières annonces de la ministre des Armées me satisfont. Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant vous, nous disposons de deux hélicoptères exceptionnels, le NH90 Caïman et le Tigre, accompagnés de la Gazelle, la génération précédente. L'hélicoptère léger futur, dont nous savons à présent qu'il sera le H160M que les trois armées ont décidé d'adopter dans des versions différentes, est l'hélicoptère dont nous avons absolument besoin demain pour conduire des opérations de bon niveau et disposer ainsi de la meilleure capacité d'aéro-combat d'Europe. Nous céderons bien volontiers les Caracal à l'armée de l'air, dès leur remplacement effectif par des Caïman supplémentaires, ce qui n'est pas prévu au cours de cette LPM, non parce qu'ils ne conviennent pas, mais dans un objectif d'harmonisation des parcs et de rentabilité de la disponibilité opérationnelle.

En ce qui concerne l'idée de réaliser une partie du MCO de manière plus proche des opérations, par exemple à l'échelle de sous-régions, il s'agissait de comparer les coûts d'un tel schéma avec ceux de la pratique actuelle consistant à rapatrier systématiquement en métropole les matériels endommagés. Le sujet est toujours en cours d'étude dans le cadre du plan MCO 2025, mais pour être tout à fait honnête, je n'ai pas perçu un véritable enthousiasme des industriels concernés. Pourtant, je pense que cela leur offrirait une bien meilleure visibilité localement, contribuant potentiellement à l'obtention de marchés.

Les sous-officiers supérieurs sont l'objet d'une attention toute particulière, car il s'agit de cadres ayant atteint le sommet de leur art dans des spécialités très diverses, allant de la maintenance aéronautique ou terrestre à l'informatique, et donc indispensables au bon fonctionnement de l'armée de terre. Beaucoup sont dans une classe d'âge où ils ont fondé une famille et sont propriétaires, ce qui rend plus grande la tentation de la reconversion. De manière générale, il nous manque déjà de l'ordre de 3 500 titulaires d'un brevet de technicien supérieur de l'armée de terre (BSTAT). Si nous en perdons 1 000 ou 1 500, l'armée de terre sera sur le flanc. Pour l'instant, comme je vous l'ai dit, les flux de départ ne sont pas alarmants ; mais nous demeurons très vigilants, tout particulièrement par rapport aux annonces faites sur la prochaine réforme des retraites, car dire que les personnes à moins de cinq ans de la retraite ne seront pas affectées ne rassure pas les populations qui nous intéressent.

Le sujet des stocks de munitions est récurrent. Pour tout dire, depuis près de trente ans, nous sommes en dessous des niveaux fixés pour les stocks dits de guerre, destinés à une « guerre patriotique ». Par ailleurs, pour l'entraînement, l'essentiel est de disposer des stocks de munitions nécessaires : même si la situation est tendue, nous n'avons jamais eu à renoncer à une manoeuvre d'entraînement faute de munitions. En outre, ce sujet est appelé à évoluer du fait des évolutions technologiques. Ainsi, s'agissant du MMP, la simulation se substituera totalement aux tirs d'entraînement.

Il y a effectivement eu plusieurs phases dans l'opération Sentinelle. La première, entièrement statique, était une catastrophe pour nous. La deuxième, qui est toujours en vigueur, associe protection statique et manoeuvre dynamique, avec un ressenti très positif, nos militaires retrouvant ainsi leurs marques. J'avais réfléchi à une troisième phase qui permette d'alléger les déploiements dans les grandes villes au profit d'une présence accrue dans les espaces ruraux en quelque sorte lacunaires, moins protégés. Les travaux de réflexion se poursuivent. L'attentat de Strasbourg du 11 décembre nous rappelle que la menace est toujours présente sur le territoire national.

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