Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mardi 12 février 2019 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Nathalie Loiseau, Ministre auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes :

Le 22 janvier dernier, la Chancelière fédérale et le Président de la République ont signé à Aix-La-Chapelle le traité entre la République française et la République fédérale d'Allemagne sur la coopération et l'intégration franco-allemandes. De nombreux parlementaires et acteurs de la coopération entre nos deux pays étaient réunis dans ce haut lieu du patrimoine européen, pour assister à ce moment d'histoire particulièrement important pour la France et pour l'Allemagne, cinquante-six ans après le traité de l'Élysée conclu par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle.

Ce traité en reprend et en développe encore l'ambition. Celle-ci est remarquable, puisqu'il ne s'agit de rien de moins que de la convergence de nos économies et de nos sociétés, en s'adaptant aux enjeux de notre temps. Il s'agit de notre cadre européen commun, pour lequel le moteur franco-allemand reste essentiel, ou encore du développement de nos relations transfrontalières.

La négociation d'un nouveau traité de coopération franco-allemand a été proposée par le président dès son discours de la Sorbonne en septembre 2017. Il a ensuite réaffirmé cet objectif conjointement avec la chancelière, dans une déclaration commune, le 21 janvier 2018, à la veille du cinquante-cinquième anniversaire du traité de l'Élysée. La négociation s'est engagée immédiatement, malgré les contraintes liées à l'incertitude sur le gouvernement en Allemagne. Après une année 2018 riche en séquences mémorielles, ce traité a pour ambition d'ouvrir un nouveau chapitre de coopération entre nos deux pays. Il se tourne résolument vers l'avenir.

Avant d'évoquer les avancées que permettra ce traité, je voudrais d'abord rappeler combien cette relation nous a été mutuellement bénéfique, au cours des dernières décennies et, répondre ainsi à la question qui était la vôtre, madame la présidente, sur le bilan du traité de l'Élysée. Ce traité de l'Élysée avait scellé la réconciliation entre l'Allemagne et la France. Son texte est très souvent cité, mais rarement lu. Il organise un dialogue structurel systématique entre les deux gouvernements ; il a ouvert la voie à un rapprochement jamais tenté jusqu'alors, afin, notamment, que les jeunes générations apprennent à se connaître. Cela a été le défi des années d'après-guerre, relevé grâce à l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), aux jumelages municipaux, aux rencontres politiques de toute nature, aux échanges de personnes et au commerce des biens et services culturels, comme à bien d'autres initiatives que je ne mentionnerai pas ici de manière exhaustive, tant elles sont nombreuses.

À l'actif de ce bilan, je voudrais insister, chronologiquement, sur quelques réalisations emblématiques qui jalonnent la route de ce succès : la création de l'OFAJ a permis chaque année, depuis 1963, à environ 190 000 jeunes de se rencontrer ; le lancement de l'Abibac, en 1994 ,et la fondation de l'Université franco-allemande, en 1999, sont venus compléter ces dispositions en faveur de la jeunesse ; décidée en 1986, la brigade franco-allemande s'est installée dès 1989 et un bataillon a été stationné dans l'euro-métropole de Strasbourg, à partir de 1993, précurseur du développement de la politique de sécurité de défense commune ; en 1988, le protocole additionnel au traité de l'Élysée institue respectivement le Conseil économique et financier franco-allemand et le Conseil franco-allemand de défense et sécurité ; la même année, est institué le Haut Conseil culturel franco-allemand ; en 2017, le Conseil franco-allemand à l'intégration s'est ajouté à ces instances ; en 1991 a été créée Arte, première chaîne de télévision binationale et biculturelle, dont l'ambition est de jouer un rôle primordial pour une meilleure connaissance réciproque de nos peuples ; en 1996, l'accord sur la coopération transfrontalière dans le bassin rhénan entre la France, l'Allemagne et la Suisse a permis de faciliter les projets entre les collectivités territoriales des trois pays ; en 2003, pour le quarantième anniversaire du traité de l'Élysée, pour la première fois, l'Assemblée nationale et le Bundestag se sont réunis de façon conjointe, alors que les gouvernements inauguraient le format du conseil des ministres franco-allemand ; dans les années suivantes, une équipe franco-allemande d'historiens a publié un manuel d'histoire commun inédit, qui est reconnu et utilisé dans les deux systèmes scolaires ; depuis 2007, la Deutsche Bahn et la SNCF exploitent ensemble des liaisons ferroviaires à grande vitesse entre Paris et Francfort, entre Paris et Stuttgart, et entre Francfort et Marseille, tandis que, sur le plan local, le tram relie depuis 2017 Strasbourg à la ville voisine de Kehl.

Cette liste pourrait vite devenir fastidieuse… Et je n'ai mentionné que quelques exemples ! Mais elle illustre la force et la diversité de notre réconciliation et de notre coopération, qui est une référence dans le monde entier. Nous devons garder à l'esprit la démarche visionnaire de ceux qui ont eu le courage de la lancer. C'est autour de cette réconciliation que l'Union européenne a progressé, en permettant aux États membres de constituer, puis de renforcer, ce qui est aujourd'hui le marché intérieur le plus vaste et le plus intégré au monde, de mener des politiques communes dans des domaines de plus en plus nombreux, qui touchent désormais tout le champ de l'action publique, des régimes de sécurité sociale à la monnaie, la sécurité ou même la défense. Certes, le couple franco-allemand ne peut suffire et il doit convaincre. Mais son poids est évident et nos partenaires n'ont d'ailleurs pas manqué, dans le passé, de nous critiquer, chaque fois qu'ils ont eu le sentiment que ce moteur de l'Europe tournait au ralenti. Sa force profonde, c'est sa capacité à trouver des solutions communes, à partir de constats souvent identiques, mais de manières très souvent différentes d'y réfléchir. Cela explique à la fois l'attractivité des compromis que nous mettons sur la table, mais aussi l'engagement politique de chaque instant qui est nécessaire pour y parvenir.

Le traité d'Aix-la-Chapelle constitue une étape nouvelle pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain. Comme le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel l'ont souligné, il s'agit, avec ce nouveau traité qui sera prochainement soumis à la ratification du Parlement, d'ouvrir un nouveau chapitre de coopération, en rapprochant davantage encore nos deux peuples. Nous avons longuement réfléchi, avec nos partenaires allemands, sur le point de savoir si ce nouveau traité devait remplacer ou compléter celui de 1963. C'est ce dernier choix qui a été fait. La très grande majorité des axes de coopération que prévoyait le traité de l'Élysée, au demeurant complétés par des déclarations conjointes et des protocoles, reste parfaitement valide de l'OFAJ à notre coopération administrative et politique.

Mais ce traité, si novateur, quelques années après la fin de la deuxième guerre mondiale et dans le contexte de la guerre froide, devait être adapté en profondeur pour prendre en compte des évolutions fondamentales : la construction européenne d'abord, au succès de laquelle le traité de l'Élysée a puissamment contribué et qui a pris une importance sans commune mesure avec ce qu'elle avait en 1963 ; la montée en puissance de nos relations transfrontalières ensuite, que le marché unique et les quatre libertés des traités européens ont permis de développer et qui doivent pouvoir continuer à prendre leur essor.

Pour adapter le traité de l'Élysée, le maître-mot est celui de convergence, notamment dans les domaines de la politique économique, de la politique étrangère et de sécurité, de l'éducation et de la culture, de la recherche et de la technologie, du climat et de l'environnement, ainsi qu'en matière de coopération entre les régions frontalières et entre les sociétés civiles.

Le premier chapitre est consacré à l'importance de la construction européenne. Il vise le renforcement de la coordination au sein de l'Union européenne, à tous les niveaux, et une harmonisation dans la transposition du droit européen. C'est un outil technique, mais très concret, inexploré jusqu'à présent, et qui peut être un élément puissant de convergence entre nos deux pays. Concernant la coopération au service de la paix de la sécurité et du développement, dont l'enjeu est crucial, notamment afin d'endiguer de nouvelles menaces comme le terrorisme ou la cybercriminalité, mais également pour lutter contre les causes des phénomènes migratoires incontrôlés et illégaux, nous avons besoin d'une concertation étroite, pour mieux définir nos objectifs prioritaires et conjuguer nos stratégies. La mutualisation de certains de nos moyens et le lancement de projets communs, y compris en matière d'armement, est déterminante pour notre crédibilité.

Elle représente, de surcroît, de véritables opportunités industrielles et technologiques. Le traité fait ici écho au projet commun annoncé par la France et l'Allemagne, concernant le développement de chars ou d'avions de combat. Nos deux pays renforcent leur coordination au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU) et articule leur action diplomatique, en particulier au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment dans le cadre de la participation allemande comme membre non permanent, en 2019 et 2020, et de nos présidences jumelées, en mars-avril 2019.

S'il faut le redire ici, la France ne partagera pas son siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Il n'en a jamais été question et rien ne le justifierait. En revanche, nous renforçons notre coopération pour mieux promouvoir nos intérêts communs et nous sommes favorables à l'attribution à l'Allemagne de son propre siège de membre permanent, dans le cadre d'une révision de la composition du Conseil de sécurité.

Dans le domaine éducatif et culturel, notre rapprochement passe d'abord par un meilleur apprentissage de la langue du voisin. Le rétablissement en France des classes bi-langues, dès septembre 2017, a marqué la première étape d'un engagement que le traité confirme. La maîtrise d'une langue supplémentaire doit permettre à nos jeunes, particulièrement dans la région frontalière, de faciliter leur mobilité professionnelle, qui est un atout sur le marché du travail. Naturellement, je le redis ici comme une évidence, le français reste et restera la langue administrative en France. Dans l'enseignement supérieur, l'Université franco-allemande est un modèle que nous soutenons, tout en misant sur la création et le développement d'un réseau d'universités européennes, comme cela a été proposé par le Président de la République et comme nous commençons à l'organiser. Dans le domaine culturel, il est prévu de mettre en place une plateforme numérique destinée aux jeunes et de créer des instituts culturels intégrés en pays tiers, quatre sont identifiés : Bichkek, Rio de Janeiro, Erbil et Palerme.

Le traité comporte, dans son quatrième chapitre, un important volet sur la coopération transfrontalière et régionale. Ici encore, je veux condamner avec force les spéculations et les fausses informations trompeuses, auxquelles certains se sont livrés sans vergogne, en détournant les dispositions du traité. Même si cela devrait aller sans le dire, je dois donc redire ici – et je le regrette, car des élus de la République ont pu prétendre le contraire : évidemment, aucune des régions frontalières ne passerait sous une quelconque tutelle allemande. Notre ambition consiste à faciliter la vie quotidienne de dizaines de milliers de personnes, qui vivent et travaillent de part et d'autre de la frontière. C'est une demande forte des collectivités territoriales et c'est une demande forte de nos concitoyens. Ainsi, dans le plein respect de la législation que vous pourrez, le cas échéant, adapter à leurs spécificités conformément à l'article 72 de la Constitution, notre objectif est de lever les obstacles, tant juridiques qu'administratifs, qui empêchent, au quotidien, les habitants de ces régions de tirer pleinement profit de leur situation géographique. C'est une volonté partagée par les deux gouvernements et les adaptations se feront des deux côtés, Ce principe de réciprocité de rapprochement de nos législations doit permettre une approche équilibrée.

L'économie est le moteur du moteur franco-allemand. Dans la globalisation, nous avons respectivement des atouts et les faiblesses, de différentes natures. Nous sommes confrontés au même défi, qu'il s'agisse du changement climatique ou de la révolution numérique, qui ont un impact sur l'ensemble des citoyens. Nous pouvons ainsi réaliser des économies d'échelle et éviter les doublons coûteux, lorsqu'il s'agit d'imaginer des réponses à la lutte contre le changement climatique ou d'assurer nos besoins en énergie. Notre collaboration sur les technologies disruptives, à l'instar de l'intelligence artificielle, doit s'accentuer si nous voulons éviter, comme toute l'Europe, d'être réduits à une « e-dépendance ». Dans cet esprit, un conseil d'experts économiques franco-allemand réfléchira conjointement aux évolutions de nos économies.

La coopération entre les gouvernements, et singulièrement entre nos deux ministères des affaires étrangères, s'intensifiera dans tous les domaines pratiques. Les échanges de personnel, qui enrichissent le vivier franco-allemand et facilitent la compréhension réciproque, seront intensifiés. Bien entendu, le Quai d'Orsay accueille depuis longtemps des diplomates allemands et nous aurons dans quelques semaines le plaisir de recevoir une nouvelle fois de jeunes fonctionnaires des deux ministères, français et allemands, dans le cadre de leur formation initiale. Dans mon équipe elle-même, vous le savez probablement, travaille une diplomate allemande. Et mon homologue compte, depuis des années, sur les conseils d'une diplomate française.

Dès le début du processus de négociation de ce traité, le Président et la Chancelière ont également affirmé leur volonté d'inclure fortement les organes législatifs. Tout au long des négociations, le Gouvernement a ainsi régulièrement tenu informés les membres du groupe de travail parlementaire franco-allemand, devant lequel j'avais été auditionnée avec mon collègue allemand Michael Roth, le 20 juin dernier, de l'état d'avancement des discussions, qui se sont d'ailleurs fortement inspirées de la résolution commune adoptée par les parlements le 22 janvier 2018 et du rapport du député Sylvain Waserman sur la coopération transfrontalière franco-allemande.

Nous nous félicitons de ces avancées et de la création annoncée d'une assemblée franco-allemande de cent membres. Cette coordination pourra jouer un rôle primordial pour la transposition du droit communautaire dans nos systèmes normatifs nationaux et renforcera aussi la convergence des politiques économiques, fiscales et sociales, et le rapprochement de nos sociétés.

Les traités de l'Élysée et d'Aix- la-Chapelle, qu'il faut nommer désormais dans un seul souffle, forment les vecteurs juridiques et politiques de l'action de l'Allemagne et de la France, en Europe et dans le monde. Le traité d'Aix-la-Chapelle constitue notre feuille de route commune pour nous permettre, ensemble, Français et Allemands, de converger et de progresser sur la voie d'une Europe unie, démocratique et souveraine.

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