Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Comme vous m'y invitez, je vais d'abord faire quelques remarques sur la situation européenne. Des élections qui viennent d'avoir lieu, je retiens cinq enseignements majeurs.

Premier enseignement : la hausse de la participation après vingt ans d'érosion continue. C'est le signe d'une prise de conscience, d'une forme de sursaut et d'appropriation. Les Européens ont compris l'importance des enjeux. Ils ont compris que l'Europe était un élément majeur de leur destin et qu'il fallait à tout prix éviter qu'elle ne se délite et ne sorte de l'histoire. C'est d'autant plus positif que la participation des jeunes a été importante.

Deuxième enseignement : la recomposition du paysage politique européen. Pour la première fois, le parti conservateur et le parti social-démocrate réunis n'auront pas la majorité. C'est la fin du bipartisme qui structurait la vie politique européenne et, inévitablement, cela va amener à de nouvelles alliances, de nouveaux compromis, une nouvelle donne dans le fonctionnement global du Parlement européen et dans l'instauration de majorités.

Troisième enseignement : à la faveur de cette restructuration, je pense que l'influence de la France au Parlement européen va se renforcer par le biais de Renaissance et d'autres groupes. J'en suis intimement convaincu. C'est aussi une nouvelle donne pour la France dans ce panorama.

Quatrième enseignement : la poussée des forces populistes existe et elle est même parfois assez spectaculaire comme en Italie et en Hongrie, mais elle est moins importante que l'on pouvait le redouter et ces forces sont divisées, notamment sur la manière d'agir au sein du Parlement européen.

Cinquième enseignement, et non des moindres, cette élection a montré l'importance que les Européens, en particulier les jeunes, attachent à l'écologie. Le vote écologiste progresse dans de nombreux pays, en particulier en Allemagne et en Irlande, mais aussi en France.

Sans faire de commentaires sur le Conseil européen qui va se tenir dans quelques instants à Bruxelles, je dirais néanmoins qu'il faudra faire en sorte que la France tienne toute sa place. Des discussions vont avoir lieu ce soir et une partie de la nuit. Elles reprendront lors du Conseil européen qui se déroulera les 20 et 21 juin. Nous espérons qu'elles aboutiront rapidement, sachant que le calendrier s'étalera jusqu'au 31 octobre puisque la nouvelle Commission européenne prendra ses fonctions le 1er novembre prochain.

J'en viens au Brexit. Le parti conservateur britannique a subi un véritable revers aux élections européennes. Comme elle s'y était engagée avant les élections, Theresa May va démissionner le 7 juin de ses fonctions de chef de parti et non pas de celles de Premier ministre. Selon la procédure, le groupe parlementaire devra désigner deux candidats, puis l'assemblée des militants conservateurs désignera le futur leader du parti qui deviendra le Premier ministre.

Il est un peu trop tôt pour spéculer sur les conséquences de cette décision. C'est un épisode supplémentaire dans l'imbroglio consécutif à la décision du peuple britannique de sortir de l'Union européenne, il y a maintenant trois ans. Nous constatons une espèce de contradiction entre deux légitimités : celle du vote du peuple britannique qui, par référendum, a décidé de sortir de l'Union européenne, une décision que nous regrettons mais que nous respectons ; celle du Parlement britannique, élu au suffrage universel, qui n'arrive pas à traduire cette décision du peuple en actes.

Cette contradiction rend le processus assez invraisemblable puisque des députés britanniques ont été élus au Parlement européen où ils sont supposés ne pas siéger. Sans préjuger de ce qui va se passer en Grande-Bretagne, je peux dire une chose : il est temps que cela se termine et se clarifie dans l'intérêt de tous, y compris celui des Britanniques. C'est sans doute ce qu'ont voulu manifester les électeurs britanniques en ne votant pas pour les deux partis qui ont marqué la vie démocratique en Grande-Bretagne depuis de nombreuses années.

Le Conseil européen des 20 et 21 juin sera l'occasion de faire un point sur l'évolution du processus de ratification britannique et sur le respect par le Royaume-Uni des conditions fixées dans les conclusions du 10 avril : la date butoir est le 31 octobre, c'est-à-dire la veille de l'entrée en fonction de la nouvelle Commission ; pendant cette période intermédiaire, le Royaume-Uni ne doit pas intervenir dans le processus de désignation et le mode d'organisation de la nouvelle législature. Nous pouvons espérer qu'il en sera ainsi.

Quant au Parlement européen, il doit se mettre en mouvement et répondre aux principaux thèmes et messages de la campagne électorale, qu'il s'agisse du climat, de l'Europe sociale, de l'asile et des migrations, de la défense ou de la modification de normes de concurrence.

Comme vous avez fait référence à l'OMC, madame la présidente, je voudrais vous faire part de ma grande préoccupation – que vous partagez – face à l'escalade des mesures tarifaires entre les États-Unis et la Chine. Les autorités américaines ont décidé de taxer fortement les produits chinois et les autorités chinoises ont réagi de la même manière. C'est très inquiétant. Il faut essayer d'aboutir à un dialogue, à un compromis, à une réforme de l'OMC. C'est l'un des objectifs du prochain sommet du Groupe des vingt – le G20 – qui va se tenir les 28 et 29 juin à Osaka. Les choses n'avancent que très lentement mais nous mettons tout en oeuvre pour trouver une régulation permettant aux échanges commerciaux internationaux de vivre d'une autre manière.

L'Union européenne n'est d'ailleurs pas épargnée par ces tensions commerciales. Le 17 mai, le président Trump a donné un nouvel ultimatum de 180 jours à l'Union européenne pour parvenir à un ajustement des exportations automobiles européennes et japonaises à destination des États-Unis. Faute d'accord, des mesures pourraient être prises à l'encontre de l'Union européenne. Notre position de principe est très ferme : d'une part, nous respectons les règles de l'OMC ; d'autre part, comme vous l'avez rappelé, nous lions les nouvelles négociations au respect, par les États-Unis, de l'accord de Paris sur le climat. Nous étions un peu seuls sur cette position mais, compte tenu du résultat des élections, je pense que nous allons trouver des alliés.

Le chantier de la régulation et du multilatéralisme, essentiel pour l'Union européenne, est toujours ouvert. Nous espérons progresser lors du sommet d'Osaka. Je ne suis pas encore certain que nous allons y parvenir. Le sujet sera aussi abordé lors de la réunion du Groupe des sept – le G7 – qui aura lieu du 24 au 26 août à Biarritz.

Sur les crises, je vais essayer d'être assez bref pour avoir le temps de répondre longuement aux différentes questions.

En ce qui concerne les crises liées au développement du terrorisme, vous avez rappelé le sacrifice de Cédric de Pierrepont et d'Alain Bertoncello lors de la libération de deux otages français au Burkina Faso. Cet exemple dramatique montre, s'il en était besoin, que la lutte contre le terrorisme n'est pas terminée. À Pâques, les attentats au Sri Lanka avaient déjà montré que la menace reste élevée et qu'elle prolifère en s'appuyant désormais sur de nouveaux réseaux, notamment en Asie. Du Sahel au Moyen-Orient, nous agissons pour endiguer les crises qui la nourrissent, en engageant nos forces sur le terrain, et en menant une action diplomatique résolue pour encourager la mise en oeuvre de solutions politiques préconisées par la communauté internationale.

Au Sahel, les événements liés à la libération des otages m'inspirent deux remarques. Tout d'abord, je voudrais souligner l'excellence, la force et la réactivité de notre dispositif militaire. Si les otages n'avaient pas été libérés à ce moment-là, nous aurions mis beaucoup de temps à pouvoir les repérer dans cet espace très vaste. Il fallait agir au moment de l'itinérance, ce qui a été fait en provoquant, malheureusement, deux victimes. Ensuite, ces événements rappellent la fragilité des pays du Sahel, en particulier du Burkina Faso où les attentats se multiplient – il y en a encore eu un hier, dont on a peu parlé. À présent, ces attentats ciblent des communautés chrétiennes.

Les affrontements prennent des dimensions complexes. Des groupes terroristes, pour la plupart liés au djihadisme, agissent pour ménager leur trafic et pour récupérer des moyens financiers. Il y a aussi des affrontements communautaires où les Peuls occupent une place particulière et cela, dans plusieurs pays du Sahel : certains groupes mobilisent des Peuls, ce qui fait que cette population se sent particulièrement menacée. Il faut maintenant y ajouter des attaques répétées contre des communautés religieuses, en particulier les chrétiens. Au Burkina Faso, nous en sommes à la quatrième attaque contre des processions ou des églises. Au Niger, un pays où les forces sont pourtant aguerries, une attaque terroriste a entraîné la mort de vingt-huit soldats le 14 mai dernier.

Ce mélange rend perplexe et oblige les pays concernés à renforcer leurs mesures de sécurité interne et externe. C'est la raison pour laquelle, comme je le dis régulièrement devant vous, il est tout à fait essentiel que la force conjointe des pays du Sahel puisse progressivement prendre toutes ses responsabilités. Nous le souhaitons et nous aidons ces pays à le faire.

Au Mali, il y a eu un changement de Premier ministre : M. Boubou Cissé a succédé à M. Soumeylou Boubèye Maïga, et il a formé un gouvernement quasiment d'union nationale, ce qui lui donne plus de force. Ce Gouvernement devra appliquer les accords d'Alger sur lesquels il n'est pas question de revenir et qui doivent permettre le désarmement, la démobilisation et l'intégration de certains membres de groupes combattants. Ces accords prévoient aussi la décentralisation et la présence de l'État au nord et au centre du pays, ce qui est encore tout à fait improbable.

Nous espérons que l'esprit de dialogue va perdurer. C'est d'autant plus nécessaire que le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) doit être renouvelé fin juin. Ce n'est pas rien. Lorsque je présidais le Conseil de sécurité, j'ai été amené à organiser une réunion spécifique avec les chefs d'État et de gouvernement ou les ministres chargés des affaires étrangères de ces États du Sahel pour montrer leur mobilisation. Le Premier ministre malien était venu. Il s'agissait de faire valoir au Conseil de sécurité la nécessité de poursuivre l'action de la MINUSMA à un moment où les États-Unis voudraient faire des économies sur les opérations de maintien de la paix. Les Américains pourraient convaincre certains acteurs du côté un peu fragile des initiatives autour de la MINUSMA. Nous sommes très vigilants sur ce point et nous soutenons les pays du Sahel pour le maintien de la MINUSMA et pour la poursuite des opérations de formation dans le cadre de la mission européenne. L'opération Barkhane ne peut et ne doit pas tout faire, et elle n'a pas vocation à durer éternellement. Les pays concernés doivent prendre le relais, ce qui est en cours, et les Nations unies doivent jouer totalement leur rôle.

J'en viens à l'Irak et la Syrie, dont nous n'avons pas parlé depuis un certain temps.

Nous avons reçu récemment le Premier ministre irakien. La situation politique est relativement claire dans ce pays. Le Premier ministre Abdel-Mahdi, le président Barham Saleh et l'ensemble des acteurs manifestent leur volonté de faire en sorte que la réponse politique à la succession de crises majeures que connaît ce pays puisse être inclusive et puisse permettre à toutes les communautés de participer à la vie politique. La difficulté est qu'il existe toujours des réseaux dormants de Daech. Même si elle n'a plus de territoire, l'organisation n'a pas renoncé à agir et à exister sur le plan politique. Ses tentatives d'attentats, d'embuscades et d'assassinats visent régulièrement les représentants des institutions de l'État comme les populations civiles.

Il n'y aura pas de véritable victoire contre Daech en Irak sans reconstruction des zones libérées et sans réconciliation nationale. Le processus est complexe, difficile. Les nouvelles autorités irakiennes, issues des élections du mois de mai, ont pris toute la mesure de la situation. Il y a quelques jours, nous avons signé avec le Premier ministre Abdel-Mahdi une feuille de route bilatérale, un accord de coopération qui prévoit que nous allons apporter notre aide aux forces irakiennes en matière de formation, de conseil et de renseignement. Il prévoit aussi une coopération dans le domaine de la reconstruction matérielle et économique du pays, afin que l'Irak redevienne un pôle d'équilibre au Moyen-Orient. Les autorités irakiennes agissent dans cette direction, non sans difficultés. Je me réjouis de voir une bonne mobilisation française autour de sujets tels que la reconstruction de Mossoul, y compris de la part des régions et des collectivités territoriales. L'état d'esprit est très positif mais nous devons mobiliser tous les acteurs pour que l'Irak retrouve une existence et une force perdues depuis près de vingt ans. C'est la volonté de ces acteurs et je pense que nous pouvons continuer à les soutenir dans cette tâche.

En Syrie, nous nous heurtons toujours à l'absence de règlement politique et à des difficultés majeures dans deux zones, celle d'Idlib et celle du Nord-Est syrien.

Au fur et à mesure de la reconquête par le régime de Bachar al-Assad d'espaces qui étaient hors de sa maîtrise, la région d'Idlib a réceptionné divers groupes terroristes, certains liés à Hayat Tahrir al-Cham, c'est-à-dire à al-Qaïda, d'autres liés à Daech, d'autres – qui ne sont pas tous terroristes – liés directement ou non à la Turquie. Ils se retrouvent tous dans une poche où vivent 3 millions d'habitants dont un million de réfugiés, non loin de la frontière turque, en situation de forte déshérence. Au milieu des 3 millions d'habitants, il y a quelque 30 000 combattants en tous genres, dont certains ne sont pas terroristes. Il est très difficile de maintenir un minimum de régulation et de maîtrise dans cette poche.

À l'automne 2018, le président Poutine et le président Erdogan avaient signé un accord visant à éviter que cette situation ne devienne une bombe à retardement. C'est une bombe à retardement parce que l'accord n'est pas vraiment respecté. Il n'est pas exclu que le régime al-Assad reprenne l'offensive sur une partie d'Idlib, en utilisant même des armes chimiques – nous avons quelques indices préoccupants en ce sens – ce qui entraînerait un exode considérable de la population.

Cette situation épouvantable représente une menace insupportable pour la stabilité de la région et, indirectement, pour notre propre sécurité. C'est la raison pour laquelle notre diplomatie insiste sur le respect du cessez-le-feu et sur la prise de mesures de lutte contre les groupes terroristes. Je vais me rendre à Ankara dans quelques jours pour aborder cette question avec les autorités turques qui sont directement concernées et qui se sentent un peu menacées et angoissées par rapport à cette évolution.

Dans le Nord-Est syrien, dans la dernière zone occupée par Daech où ont eu lieu les combats de Baghouz, la situation est aussi très compliquée. Des camps ont été créés où s'entassent des prisonniers et des réfugiés qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Le camp al-Hol était prévu pour 15 000 réfugiés et il en compte actuellement 70 000. La maîtrise de la zone est assurée par les Forces démocratiques syriennes – FDS –, dominées par les Kurdes. Les FDS assurent la sécurité de la frontière.

Les Turcs ont heureusement renoncé à l'offensive qu'ils avaient annoncée, à un moment donné, sur cette partie de la Syrie. Les forces loyalistes voudraient la récupérer. La tension est grande et le statu quo reste fragile dans cette région où Daech conserve aussi des éléments dormants qui ont repris les attentats, notamment à Raqqa. Le combat n'est pas fini et il importe de rester vigilant, quasiment jour après jour, face à cette situation dramatique.

À ce stade, je rappelle notre position concernant le sort des combattants étrangers – notamment français – que se trouvent dans la zone d'Idlib et le Nord-Est syrien. Sur plusieurs milliers de combattants étrangers, il y a une centaine de Français dans la zone d'Idlib et entre 400 et 450 autres dans le Nord-Est syrien. Certains de ces combattants étrangers sont dans des camps, d'autres sont prisonniers. Il y a des enfants. Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, nous n'avons pas changé de logique en la matière. Nous sommes toujours sur la même ligne, je le répète, et nous n'en bougerons pas : les combattants doivent être jugés là où ils ont commis leurs crimes ; les enfants pourraient être rapatriés en France s'ils sont orphelins ou si, d'aventure, leur mère l'autorisait. Nous avons commencé ces rapatriements et nous les poursuivrons. L'orientation est claire et nous n'envisageons aucune modification.

Revenons à la situation globale en Syrie, au-delà de ces deux zones particulièrement compliquées. La solution ne peut être que politique et nous savons quelle est la marche à suivre : réforme de la Constitution, mise en oeuvre d'un processus électoral, début de la reconstruction, élections libres auxquelles doivent participer ceux qui sont restés sur place mais aussi les réfugiés et les déplacés. Pour l'instant, nous n'en sommes pas encore arrivés au premier point car la constitution du comité constitutionnel fait l'objet de discussions qui n'aboutissent pas. Nous en sommes là. Les discussions portent sur trois ou quatre noms. Cette situation est l'objet de l'attention permanente de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies, M. Geir Pedersen dont nous soutenons l'action.

En Libye, la situation est extrêmement préoccupante. Les affrontements qui se poursuivent dans les faubourgs de Tripoli ont déjà fait plus de 500 morts et 75 000 déplacés. Des milices islamistes radicales et des individus sanctionnés par le Conseil de sécurité ont investi une partie de la capitale. Les forces du maréchal Haftar sont à proximité de la capitale. Pour l'instant, nous sommes dans une forme de statu quo. Il n'est dans l'intérêt de personne – et certainement pas dans celui des Libyens qui sont les premières victimes de cette situation – que le statu quo demeure. Nous faisons des efforts de persuasion pour obtenir une solution politique qui commence par un cessez-le-feu sans condition.

Le maréchal Haftar dit qu'il veut bien arrêter le combat si les groupes islamistes qui appuient le président al-Sarraj se retirent. Et le président al-Sarraj dit qu'il veut bien donner un ordre d'arrêt des combats si le maréchal Haftar se retire. Dans ces conditions, nous n'en sortirons pas. Le Président de la République a récemment reçu le président al-Sarraj et le maréchal Haftar, et je l'ai accompagné dans sa démarche. Il y a des solutions puisque les deux parties se sont mises d'accord, à Abou Dhabi, sur une méthode et un contenu qui entraînent un processus électoral. Mais, pour l'instant, la situation est un peu tendue.

Précisons que l'Italie est sur la même ligne que la France en ce qui concerne la Libye. À un moment donné, il y a eu des dissensions et des divergences d'interprétation et d'analyse, mais ce n'est plus le cas. J'ai pu constater cette convergence de vue lors d'une récente rencontre à Florence avec mon homologue italien et le président Conte. C'est la vision européenne qui est aussi, d'une certaine manière, celle des Russes et des Américains. Il faut donc accentuer la pression internationale et nous allons essayer de le faire au sein du Conseil de sécurité pour aboutir à une solution politique sur laquelle il y avait un accord des deux parties quand elles se sont retrouvées, fin février, à Abou Dhabi.

Je voudrais maintenant faire le point sur un sujet majeur pour la sécurité collective : l'Iran. Le premier anniversaire de la sortie américaine du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), le 8 mai, a été marqué par une déclaration du président Hassan Rohani et par une lettre de mon homologue, M. Mohammad Javad Zarif, à la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini. Ils annoncent vouloir passer à une application partielle du JCPoA dans un délai de deux mois. Cela signifie qu'à partir du 8 juillet, l'Iran pourrait ne plus respecter certaines normes de l'accord de Vienne, notamment les limites relatives aux stocks d'uranium faiblement enrichi et aux stocks d'eau lourde. Dans le même courrier, ils demandent la reprise des exportations de pétrole au même niveau que par le passé et formulent des menaces.

Ce ne sont pas des décisions, mais des annonces, destinées à faire pression sur nous. Ce qui est curieux, c'est que l'Iran fait pression sur les États européens, qui continuent pourtant de respecter l'accord de Vienne. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) publiera à la fin du mois de mai sa seizième communication : on découvrira alors les conclusions de sa mission de vérification, mais tout nous donne à penser que l'Iran respecte ses engagements.

Parallèlement, les États-Unis ont adopté la stratégie de la pression maximale. D'abord, ils ont décidé de ne pas renouveler les exemptions dont bénéficiaient jusqu'ici certains des pays qui achètent du pétrole à l'Iran, comme la Chine, l'Inde, l'Italie ou la Grèce. Ensuite, ils ont procédé à l'envoi sur zone de forces militaires. Enfin, mon homologue Mike Pompeo s'est rendu à Bagdad et a fait une visite surprise à Bruxelles pour nous rencontrer, nous faire part de son inquiétude et nous dire qu'il fallait continuer de faire pression sur l'Iran. Nous sommes en désaccord avec lui. Nous n'avons pas changé de logique et nous voulons simplement que les autorités iraniennes se rendent compte qu'elles doivent rester dans l'accord. Si elles en sortaient, nous ne pourrions pas y rester, et cela ne serait pas favorable aux Iraniens.

Cela ne nous empêche pas d'être très exigeants sur les questions que soulèvent les autorités américaines, comme le risque de déstabilisation de l'ensemble de la région par l'Iran ou le transfert de missiles en direction d'un certain nombre de groupes armés, notamment les houthis et le Hezbollah. Nous faisons preuve de fermeté sur ces sujets, mais nous estimons que l'enjeu de la prolifération nécessite de préserver les accords de Vienne. Nous poursuivons les discussions avec les uns et les autres pour garantir l'ensemble de nos engagements, y compris grâce à l'Instrument of Trade Exchanges (INSTEX), auquel vous avez fait allusion, madame la présidente.

Ce dispositif, qui a son siège en France, associe l'Allemagne, qui assure sa présidence, et les Britanniques. C'est un outil financier qui permet d'éviter les sanctions américaines extraterritoriales. L'Europe s'est engagée fortement et nous attendons maintenant que l'Iran adopte un dispositif miroir pour commencer à échanger par ce système. Nous estimons que les Russes et les Chinois doivent eux aussi trouver un dispositif pour assurer la pérennité de l'accord de Vienne et permettre aux Iraniens de bénéficier des retombées commerciales et financières de celui-ci.

La situation, vous le savez, est extrêmement tendue : il y a eu les attentats contre quatre bateaux dans le golfe arabo-persique et l'attaque au drone sur un pipeline en Arabie saoudite, à proximité de Riyad. La tension s'est encore accrue avec l'envoi supplémentaire de 1 500 soldats américains il y a trois jours. Personne ne dit vouloir la guerre et je pense que personne ne la souhaite vraiment, mais la situation est extrêmement tendue et, dans un contexte marqué par les provocations, un accident est vite arrivé : nous devons donc rester extrêmement vigilants.

Je voudrais clore mon propos en évoquant trois pays qui font l'objet d'une attention toute particulière et qui connaissent actuellement un processus de transition démocratique : la République démocratique du Congo (RDC), l'Algérie et le Venezuela. En RDC, où je me suis rendu la semaine dernière, j'ai pu constater avec plaisir que l'alternance était effective. En effet, le jour de mon arrivée, le président Félix Tshisekedi a nommé un Premier ministre, qui n'était pas celui que voulait lui imposer M. Joseph Kabila. Le même jour, il a permis le retour, après trois ans d'exil, de l'opposant principal, Moïse Katumbi. Il a également pris une série de mesures garantissant les libertés publiques. La vie internationale étant souvent triste et lugubre, nous pouvons nous réjouir de ces nouvelles. L'Est du pays connaît cependant une nouvelle épidémie d'Ebola, notamment dans le Nord-Kivu et l'Ituri : c'est la dixième épidémie, et la plus grave. Elle est d'autant plus grave que, dans cette partie du pays, des groupes armés, qui existaient déjà du temps de Joseph Kabila, perturbent l'administration des soins et empêchent même les humanitaires d'intervenir.

J'en viens à l'Algérie. Cela fait maintenant trois mois que la contestation a commencé dans ce pays et, après plusieurs semaines de manifestations pacifiques, le président Abdelaziz Bouteflika a présenté sa démission le 2 avril. Cette démission a été reçue par le Conseil constitutionnel. Le Parlement algérien s'est réuni en Congrès et a désigné un président par intérim, dans l'attente d'une nouvelle élection, qui devrait normalement avoir lieu le 4 juillet. Mais, pour qu'il y ait une élection, il faut qu'il y ait des candidats. Or, à cette heure, le Conseil constitutionnel n'a reçu que deux candidatures.

La situation est assez particulière. D'un côté, les manifestations se poursuivent et la population exprime une profonde aspiration au changement et la volonté d'ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire de l'Algérie. D'un autre côté, les autorités militaires veulent que la Constitution s'applique, et c'est pourquoi M. Ahmed Gaid Salah, le chef d'État-Major de l'armée algérienne, veut faire en sorte que les élections aient bien lieu le 4 juillet. Il y a deux voies parallèles, vous le voyez, et nous souhaitons que les Algériens trouvent ensemble le chemin de la transition démocratique. C'est ce que nous voulons pour l'Algérie et c'est ce que nous espérons, compte tenu des liens profonds qui nous lient à ce pays. Dans ces moments, nous continuons de nous tenir auprès des Algériens, dans le respect de l'amitié qui doit toujours présider à nos relations.

Je voudrais dire un mot, pour finir, du Venezuela. Ce pays a connu une tentative de soulèvement militaire le 30 avril, et les manifestations qui ont suivi ont fait l'objet d'une répression violente, qui a contribué à exacerber les tensions. La tendance est à la polarisation et à l'affrontement et il faut éviter d'entrer dans la spirale de la violence. Les événements du 30 avril et du 1er mai ont confirmé, une nouvelle fois, que la solution de cette crise ne pouvait être que politique, pacifique, démocratique et vénézuélienne.

Nous condamnons fermement, aussi bien la répression violente des manifestations que la violation des droits de l'homme dont ont été victimes plusieurs élus : le président de l'Assemblée nationale, M. Edgar Zambrano, a été placé en détention et une dizaine de parlementaires ont trouvé refuge dans des ambassades. Nous appelons à la libération immédiate des prisonniers politiques, mais nous sommes également très attentifs aux droits et à l'intégrité physique du président Juan Guaidó. Nous condamnons, enfin, toute tentative d'opération par la force.

La France participe à un Groupe de contact international (GCI), qui parle aux différents interlocuteurs et dont le but est de trouver une solution politique, c'est-à-dire d'organiser des élections libres et démocratiques. Nous poursuivons cet engagement avec tous les réseaux que nous pouvons mobiliser. À cet égard, j'ai rencontré hier le Premier ministre du Chili : nous essayons d'agir ensemble, dans le cadre à la fois du groupe de Lima et du Groupe de contact international. Mais, pendant ce temps-là, 24 % de la population vénézuélienne, soit 7 millions de personnes, ont besoin d'une aide humanitaire et, chaque jour, 5 000 personnes environ quittent le pays, ce qui cause des problèmes dans les pays voisins, en particulier en Colombie. À ce rythme, cet exode pourrait concerner 7 millions de personnes d'ici la fin de l'année prochaine, et le mouvement de réfugiés du Venezuela est d'ores et déjà le plus important au monde : il est plus massif que celui qu'on a connu dans l'ensemble du Moyen-Orient.

Voilà, madame la présidente, les quelques mots que je pouvais vous dire sur quelques crises. Il faut reconnaître que le monde n'est pas calme…

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