Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 2 juillet 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Madame Khattabi, les pays qui luttent le plus efficacement contre le chômage sont ceux qui accompagnent très fortement dès le départ les demandeurs d'emploi. Lorsqu'on est au chômage depuis six ou douze mois, on se décourage, on perd estime de soi et lien social, et on n'a plus confiance dans le marché du travail ; au chômage longtemps, on s'abîme. Si l'on est accompagné immédiatement, les chances de retrouver un travail, à même qualification et à même expérience, sont beaucoup plus fortes. Je me suis rendue à Nice, dans une agence de Pôle emploi qui a déjà expérimenté ce dispositif : tous les demandeurs d'emploi nous ont dit que cet accompagnement avait complètement modifié leur regard et qu'il leur avait permis d'avoir confiance en eux. Cette réforme que nous engageons part de l'expérience des conseillers de Pôle emploi en matière d'accompagnement. Pour les permittents aussi, l'accompagnement sera sur mesure.

Monsieur Perrut, non, ce n'est pas la fin du paritarisme de gestion. À ma connaissance, on n'a pas nationalisé l'Unédic. Comme Mme Elimas, vous dites que l'État reprend la main. En fait, depuis 1958, la loi prévoit que ce sont les partenaires sociaux qui définissent les règles et que, s'ils ne parviennent pas à un accord, l'État prend la responsabilité. C'est arrivé dans les années 1980, 2000, cela arrive aujourd'hui encore. Ce n'était pas notre souhait mais, après un an de concertation et de discussions des partenaires sociaux, dont il a repris certains éléments, le Gouvernement a dû prendre ses responsabilités, car la lutte contre le chômage ne peut pas attendre.

Vous me faites part de vos craintes en ce qui concerne les taux de séparation. Comment les entreprises pourront-elles ne pas payer de malus ? Elles auront beaucoup de solutions. D'abord, elles peuvent annualiser le temps de travail par la négociation. À cet égard, dans un même secteur, on peut voir deux entreprises aborder différemment l'emploi précaire : l'une y recourt massivement, l'autre pas ; l'une externalise en faisant peser toute la flexibilité sur le dos de l'assurance chômage, tandis que l'autre internalise grâce à des accords. C'est donc une question de dialogue social.

Il y a, ensuite, la solution des groupements d'employeurs, qui permettent à la fois d'apporter de la sécurité à la personne, qui est embauchée en CDI, et de donner de la flexibilité à l'entreprise puisque les salariés sont placés en tant que de besoin. Les groupements d'employeurs sont aujourd'hui plusieurs milliers en France, et nous allons encourager leur développement. Beaucoup ont été créés dans le secteur agricole, pour mutualiser le risque lié à l'embauche d'une personne en CDI, mais cela est possible dans tous les secteurs d'activité.

Il y a encore le CDI intérimaire, que la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a consolidé. J'ai assisté récemment à la signature du vingt-cinquième CDI intérimaire. Dans ce système, c'est la société intérimaire qui embauche une personne en CDI, la place en fonction des besoins et la forme entre deux missions.

S'il fallait inventer, demain, un dispositif qui réponde à la fois à la flexibilité et à la sécurité, nous le ferions, mais il existe déjà une palette importante d'outils. On ne peut donc pas parler de fatalité. D'ailleurs, de nombreux dirigeants d'entreprise et directeurs des ressources humaines nous ont dit avoir négligé le sujet jusqu'à présent mais qu'ils allaient désormais le traiter. Il est dommage de devoir instaurer un bonus-malus, mais si un tel système est efficace pour obtenir moins de précarité et plus d'emplois dans notre pays, il ne faut pas faire preuve de trop de pudeur !

En matière de dégressivité des allocations, il ne s'agit pas de faire de différence par catégorie, par niveau ou de stigmatiser qui que ce soit. Il s'agit de tenir compte de la réalité du chômage. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'un système assurantiel de solidarité doit d'abord aider davantage ceux qui en ont le plus besoin. Le taux de chômage des personnes sans qualification est de 18 % quand il est de 3,8 % pour les cadres. Nous sommes, de loin, le pays d'Europe où le niveau et la durée des allocations chômage sont les plus élevés. Alors qu'elles tournent autour de 2 000 euros par mois chez nos voisins belges ou allemands, nous allons conserver un niveau extrêmement élevé, puisqu'elles pourront atteindre jusqu'à 6 600 euros nets par mois dans notre pays, ainsi qu'une durée très longue. Mais lorsqu'il y a de l'emploi – et beaucoup – à ce niveau de qualification, il me paraît logique et juste de demander aux gens de reprendre un travail.

S'agissant des intermittents du spectacle, les partenaires sociaux du secteur ont négocié depuis bien longtemps des règles particulières. Ils ne sont pas concernés par le système du bonus-malus, parce qu'ils ont déjà une sorte de malus collectif : les cotisations patronales d'assurance chômage représentent non pas 4,05 %, mais 8 % de la masse salariale. Ils ne sont pas non plus concernés par la taxation du CDDU, mais ils conservent une surcotisation pour ces contrats. Le système n'est donc pas le même, et cela depuis longtemps. D'ailleurs, dans les négociations, les partenaires sociaux n'avaient rien décidé en la matière, parce que ce n'était pas le coeur du sujet – aujourd'hui non plus.

Le budget de Pôle emploi représente 4,9 milliards d'euros sur les 35 milliards d'euros annuels. Si l'on se contentait de verser des indemnités sans accompagnement, je pense que beaucoup de gens ne retrouveraient pas d'emploi. Chaque année, un peu moins de 4 millions d'offres sont déposées à Pôle emploi ; 80 % trouvent preneur grâce à l'agence, qui fait ce travail d'intermédiation, de mise en relation. Il est normal que, dans un système assurantiel, des gens accompagnent les demandeurs d'emploi. Aussi ne me paraît-il pas choquant qu'une partie des cotisations soit consacrée au service d'accompagnement.

Madame Elimas, vous avez raison, il faut évaluer le bonus-malus. Les effets attendus sont l'allongement de la durée des contrats, et c'est ce que l'on mesurera. Ce système existe depuis longtemps aux États-Unis et il a donné d'excellents résultats. Là-bas, tous les gouvernements, quelle que soit leur sensibilité politique, ont conservé ce dispositif en raison de son efficacité sur le marché du travail.

L'évaluation du bonus-malus sera assurée par des chercheurs indépendants. L'indicateur clé sera l'évolution du taux de séparation dans les secteurs concernés, en comparant des entreprises de caractéristiques comparables dans un même secteur – on se doute bien qu'on n'évalue pas de la même façon des secteurs à activité économique de cycle long et de cycle court.

Monsieur Vallaud, vous dites qu'un demandeur d'emploi sur deux n'est pas indemnisé. Il s'agit, d'abord, et c'est logique, de ceux qui n'ont pas suffisamment travaillé mais qui s'inscrivent à Pôle emploi parce que c'est une formidable banque d'emplois et d'accompagnement. Il s'agit aussi de ceux qui ont un travail mais qui souhaitent en changer. Ceux-là ont droit aux services de Pôle emploi, car, je vous le rappelle, c'est une agence de placement, de mise en relation entre l'offre et la demande. Un demandeur d'emploi sur deux n'est pas indemnisé, non pas parce l'assurance chômage a coupé les indemnités – elle verse une indemnité à tous ceux qui ont travaillé – mais parce qu'elle offre un support dans l'accompagnement à la recherche d'un emploi à tous ceux qui le demandent. C'est pour cela que le champ est plus large.

Nous ne sommes pas d'accord – et pourtant nous devrions l'être – sur la meilleure manière de sortir de la pauvreté : c'est d'avoir un emploi stable et des capacités d'évolution. L'objectif des demandeurs d'emploi n'est pas de demeurer à l'assurance chômage, mais de trouver un emploi. Tel est l'esprit de la réforme. On ne peut pas dire qu'elle va précariser des gens, puisque tout est fait, au contraire, pour qu'ils soient plus nombreux à retrouver un emploi stable. Si 150 000 à 250 000 personnes parviennent à trouver un emploi, nous aurons fait oeuvre utile.

Oui, l'Unédic est bien gérée, mais la réforme doit tenir compte du contexte. Aujourd'hui, la dette cumulée de l'Unédic atteint 35 milliards d'euros. Je ne connais pas d'autre régime assurantiel dont la dette est garantie par l'État. On n'est donc pas tout à fait dans un système purement assurantiel, sinon le système s'équilibrerait, comme le régime Agirc-Arrco. Si l'on ne profite pas de l'embellie actuelle sur l'emploi pour commencer à se désendetter, on n'aura plus la capacité d'augmenter encore davantage la dette dans un moment de crise, donc à bien accompagner cette crise. Il est donc de notre responsabilité collective de ne pas laisser une dette aussi importante à la génération suivante. Aussi me paraît-il indispensable d'intégrer que l'on résorbe progressivement une partie de la dette lorsque l'emploi repart.

Madame Firmin Le Bodo, la question des chômeurs de longue durée est l'une des deux priorités du plan d'investissement dans les compétences. Il s'agit, en grande partie, de personnes qui ont un très faible niveau de qualification ou qui sont en situation de handicap. De façon générale, ce sont des gens qui ont eu des accidents de la vie de différents ordres. Il faut leur remettre le pied à l'étrier, les accompagner. C'est pour cela que nous avons prévu de développer l'insertion par l'économique, l'entreprise adaptée. Voilà pourquoi la réforme est systémique et qu'elle allie à l'indemnisation l'accompagnement par le PIC et la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Nous allons ouvrir, avec les partenaires sociaux, une concertation sur les seniors pour que davantage d'entre eux puissent continuer à travailler. Il est exact qu'ils subissent une éviction du marché du travail. De fait, ils pâtissent d'une représentation mentale des employeurs, dont il faudra les aider à se débarrasser, peut-être en forçant un peu. Nous sommes l'un des rares pays dans le monde à évincer autant les jeunes et les seniors du marché du travail. C'est une particularité de l'inconscient français que de rendre difficile l'accès au travail aux deux extrémités de l'âge. Le taux de chômage des jeunes, même s'il a baissé – il est de 18 %, contre 20 % lorsque nous sommes arrivés aux affaires –, est encore monstrueux. Comment peut-on dire à notre jeunesse qu'on n'a pas besoin d'elle ? C'est l'autre grand combat du PIC, avec l'apprentissage. Pour en revenir aux seniors, nous avons décidé d'ouvrir les appels à projets du PIC à cette question. Ce dispositif permet, en effet, de conduire avec succès de très bonnes opérations d'inclusion de nombreuses populations en difficulté, mais très peu concernent des seniors. Nous allons donc agir activement dans ce sens.

Madame Dubié, vous parliez d'une dure reprise en main par l'État. Il n'en est rien. D'abord, ce n'est pas la première fois que l'État intervient. Depuis 1958, le principe est que les partenaires sociaux définissent les règles, mais que, quand ils ne le peuvent pas, c'est à l'État qu'il revient de le faire. Rien n'a changé de ce point de vue.

Depuis la constitution de l'assurance-chômage, jamais le Parlement n'en a défini les règles, cela a toujours été l'affaire des partenaires sociaux ou de l'État. C'est mieux quand les partenaires sociaux décident, nous en sommes tous d'accord, mais quand ce n'est pas possible, c'est à l'État de le faire – par défaut, si j'ose dire. D'ailleurs, sans son intervention, il n'y aurait pas eu de débat parlementaire puisque les partenaires sociaux auraient passé une convention entre eux. Vous auriez organisé des auditions pour vous former un avis, mais vous n'auriez pas eu à voter de texte.

Monsieur le député Adrien Quatennens, vous semblez nier qu'il y ait une dynamique de création d'emplois. Cela m'étonne beaucoup, parce que c'est complètement factuel. Comme je le rappelais, 470 000 emplois nets ont été créés depuis deux ans. Je vous engage à vous reporter au site de Pôle emploi. Chaque jour, les offres d'emploi disponibles y sont publiées : ce matin, il y en avait 677 385, la semaine dernière, 688 000, et la semaine d'avant, 650 000. Le flux est extrêmement dynamique. Il faut savoir qu'il y a 37 millions d'embauches dans le pays par an.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.