Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 17h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

Je crois que l'exercice qui consiste à vous rendre compte de ce qui se discute au Conseil européen est utile. Je crois qu'il est également important que des députés comme vous puissiez être pleinement informés de ce qui ne ressort pas dans la presse ni des conclusions du Conseil elles-mêmes. C'est pourquoi je souhaite pouvoir vous donner le contexte de ces conclusions, ainsi que son sous-texte.

De nombreux sujets ont été abordés pendant ce Conseil. Les commentateurs ont surtout retenu l'enjeu des nominations, sur lequel je vais revenir. Mais il y a eu également – et c'est fort heureux – des progrès de fond et de substance sur d'autres enjeux.

Sur les nominations, vous savez que, lorsque, le 28 mai, les chefs d'État et de gouvernement se sont réunis, ils se sont mis d'accord sur une méthode. Mais ils se sont surtout mis d'accord sur un objectif, à savoir arriver à procéder à quatre nominations, outre la nomination à la tête de la BCE, qui puissent refléter à la fois le signal politique qui a été envoyé pendant les élections et la diversité de l'Union européenne. Car, d'une part, nous avons assisté à l'émergence d'un mouvement nouveau, centriste et pro-européen, qui regroupe à la fois des libéraux, des centristes et des Verts ; cela crée une situation politique nouvelle. D'autre part, la diversité de l'Union doit être prise en compte, tant en termes de géographie et de parité que d'affiliation politique.

Il avait été convenu que Donald Tusk mènerait des consultations et qu'il ferait avancer les choses, au Parlement. Car les traités sont très clairs : c'est sur proposition du Conseil que le Parlement doit trouver une majorité pour désigner un Président ou une Présidente de la Commission. À Bruxelles, jeudi, nous avons pu constater ce que ne voulaient pas les chefs d'État et ce que ne voulait pas le Parlement. Ce qui est apparu comme n'étant pas possible, c'est de créer une majorité, que ce soit au Parlement ou au Conseil, autour du nom de Manfred Weber, candidat poussé par le PPE, au titre du système des Spitzenkandidaten. Sa candidature ne semblait pas pouvoir réunir la condition essentielle, à savoir jouir d'une majorité à la fois au Parlement et au Conseil.

Cela étant posé, les principales familles politiques ont aussi constaté, pendant le Conseil, qu'il n'était pas possible non plus, à ce stade, de trouver une majorité pour Frans Timmermans ou pour Margrethe Vestager, qui étaient deux autres Spitzenkandidaten. Une nouvelle réunion aura donc lieu dimanche soir et lundi matin pour achever cette discussion. Du côté français, il nous semble important que ce soit une date butoir et que nous puissions aboutir, avant le début des travaux du Parlement européen, c'est-à-dire avant sa première session constitutive, qui commence le 1er juillet. Il s'agit de parvenir à une proposition claire sur la question de savoir qui est le Président de la Commission pour que le Parlement puisse ensuite, en connaissance de cause, prendre sa propre décision sur la question de qui peut être le Président du Parlement européen. En effet, nous pensons que, dans l'esprit des traités, les élections doivent être un signal qui permet de trouver d'abord un Président de commission et, ensuite, les Présidents des autres institutions.

Nous pensons qu'il est extrêmement important que nous avancions. Marquées par une participation plus forte, les élections européennes ont apporté un signal politique, en ce sens qu'elles ont fait émerger un paysage politique nouveau. Nous devons être à la hauteur de l'importance politique de ce moment. Il nous semble donc important que nous puissions conclure et ne pas créer de crise ou, en tout cas, de paralysie institutionnelle, en raison d'une incapacité à trouver des noms.

À cet égard, je pense qu'il est vraiment important que nous mettions bien l'accent sur les compétences et sur le projet que nous portons. Non sur les nationalités, sur une bataille de drapeaux ou sur une bataille d'influences nationales. Car, si on se positionne sur ce terrain, l'esprit européen lui-même est mis en danger. Le sujet n'est pas de savoir si M. Weber, M. Timmermans ou Mme Vestager sont de tel ou tel pays. Il s'agit plutôt de savoir s'ils peuvent constituer, autour d'un projet, une majorité. Les difficultés que j'ai relevées se posent dans ce cadre-là.

Nous devons pouvoir avancer autour de personnalités expérimentées et crédibles, capables d'assumer des missions à haut niveau, de porter la voix de l'Union et d'envoyer un message clair, vis-à-vis des citoyens européens, quant à l'idée qu'on recrée une forme de proximité, grâce à une capacité de l'impétrant à parler non seulement aux cercles européens et gouvernementaux, mais aussi à parler à ces mêmes citoyens. La définition de ces enjeux doit permettre de constituer cette « équipe d'Europe » que le Président de la République appelle de ses voeux, une équipe qui soit à la hauteur de nos besoins. Parmi ces enjeux, il y a notamment la parité. Cet enjeu a été rappelé par le Président de manière explicite : il faut que, sur ces quatre postes, nous ayons bien deux hommes et deux femmes. Voilà ce que je pouvais vous dire sur cette partie du Conseil européen consacrée aux nominations.

J'en viens à ce qui a également été discuté longuement et fermement, c'est-à-dire le programme stratégique 2019 à 2024. L'enjeu de cette discussion était de fixer les domaines prioritaires sur lesquels l'Union devra concentrer ses efforts. Ce programme servira de base à la feuille de mission, ou feuille de route, du prochain Président de la Commission. Car il devra, sur la base de ce programme stratégique, produire lui-même sa feuille de route.

Quatre grandes priorités ont été identifiées. Premièrement, il s'agit de protéger les citoyens et les libertés ; cela concerne notamment tous les enjeux liés aux frontières et à la défense. Deuxièmement, il convient de mettre en place une base économique solide et dynamique ; c'est tout l'enjeu de la prospérité et de la réforme de l'union économique et monétaire à même de nous faire retrouver, notamment en termes de politique industrielle et de politique de la concurrence, une base économique solide et dynamique amenant de la création d'emplois sur le continent. Troisièmement, il s'agit de construire une Europe neutre pour le climat, verte, équitable et sociale. J'insiste sur le mot « social », car ce mot a fait débat. La France a trouvé qu'il était important de l'écrire en tant que tel, plutôt que de recourir à des périphrases ou à certains mots initialement avancés, comme celui d' « inclusif ». On peut assumer pleinement le terme d'Europe social. Quatrièmement, il faudra promouvoir les intérêts et les valeurs de l'Europe à l'extérieur de l'Union et sur la scène mondiale. Cette quatrième priorité recouvre tous les enjeux de relations extérieures. Vous savez que nous tenons fortement à être un partenaire pour l'Afrique. Nous tenons également à ce que notre politique de voisinage, notamment du côté oriental, soit plus lisible ou, en tout cas plus efficace.

Ce programme stratégique fixe un cap clair qui correspond pleinement aux priorités portées par la France. Comme vous le savez, nous aurons un rôle très particulier, au cours de ces cinq prochaines années, puisque nous assumerons, au 1er semestre 2022, la présidence tournante de l'Union. Cette présidence arrivera ainsi à mi-mandat de la nouvelle législation européenne. Nous pensons qu'il était important, dans le cadre de cette présidence à venir, que le programme de travail corresponde aussi à nos priorités.

Nous avons demandé que le Conseil puisse rediscuter, en octobre, de ce programme stratégique, pour essayer d'aller plus dans le détail, en présence du nouveau Président ou la nouvelle Présidente de la Commission. Car il faudra que nous puissions nous concerter sur les moyens dont il lui faut disposer pour mettre en oeuvre, concrètement, cet agenda, avec les commissaires qui seront dans son équipe et en liaison avec le Parlement.

Bien sûr, au-delà de ce programme stratégique, d'autres sujets ont été évoqués pendant le Conseil, tel que le cadre financier pluriannuel. Le Conseil européen a salué les progrès réalisés sous la présidence roumaine et le fait qu'elle ait présenté une boîte de négociations. Nous pensons que cette boîte reflète l'équilibre apparu au cours des discussions qui ont pu avoir lieu pendant les six derniers mois. Le Conseil européen a également invité la présidence finlandaise à poursuivre ses travaux, à affiner cette boîte de négociation et à sortir de la politique pour livrer désormais plus de chiffres, plus de contenu et plus de concret. L'idée est de pouvoir avoir un nouvel échange de vues sur ce sujet en octobre prochain, dans la perspective d'un accord avant la fin de l'année, ce qui nous permettrait de finaliser les choses, en première partie de l'année 2020 ou, du moins, le plus tôt possible en 2020, pour que nous puissions ensuite nous préparer à être pleinement opérationnels au 1er janvier 2021.

La lutte contre le changement climatique a été un autre enjeu largement discuté. Je peux vous assurer que les échanges ont été intenses et longs. Nous souhaitions poser le fait que la neutralité carbone est à atteindre pour 2050. Certains États membres voient cependant toujours une opposition entre la transition climatique et la compétitivité de leur appareil industriel. Ils font valoir des circonstances nationales et, du coup, empêchent que l'unanimité puis se créer.

J'ai pu moi-même m'entretenir avec mes homologues au Conseil Affaires générales mardi dernier. Cela me laisse penser qu'il y a des moyens et des méthodes pour parvenir à dépasser ces oppositions qui sont, pour certaines d'entre elles, fondées sur des diagnostics légitimes quant au chemin à parcourir dans ces pays pour atteindre la neutralité climatique. Nous avons réussi à faire que, à l'unanimité, tous les pays reconnaissent l'importance de rehausser les efforts d'ici 2030 et que, à l'unanimité, tous les États membres reconnaissent qu'il est important que la neutralité carbone soit atteinte. En outre, en annexe des conclusions, nous avons réussi à ce que soit indiqué que 24 des 28 États membres considèrent que cette neutralité doit être atteinte pour 2050.

Concrètement, cela va permettre à la Commission de travailler sur des scénarios permettant d'atteindre cette neutralité. Comme 24 États ont indiqué qu'ils voulaient l'atteindre à horizon 2050, elle devra présenter des options ou, en tout cas, un scénario d'actions permettant d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Sur cette base, il y aura des débats au Conseil et des débats au Parlement, débats soumis à la règle de la majorité. D'une certaine manière, nous avons donc quand même réussi à formellement mandater la Commission pour que nous puissions travailler concrètement à la réalisation de ces objectifs.

Je pense que le travail à poursuivre maintenant est bien sûr de continuer à convaincre les quatre pays qui se sont opposés à cet objectif. L'un d'entre eux fait partie des pays baltes, c'est l'Estonie. Les trois autres sont membres du groupe de Visegrád, ou V4, auquel appartiennent la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Cette dernière a fait le choix politique de rejoindre les 23 autres pays. Je pense que ce tableau offre l'exemple d'une situation où la France a réussi à proposer et à rassembler. Au mois de mars, il n'y avait en effet que quatre pays qui étaient d'accord sur cet objectif ; à Sibiu, ils étaient huit avant le Conseil, neuf à son issue ; avant la réunion de la semaine dernière, on était passé à un chiffre oscillant entre 12 et 15 États membres ayant donné leur accord sur le principe ; à l'issue de cette réunion elle-même, nous sommes 24. Voilà comment, en trois mois, on arrive à progresser vers l'unanimité de manière substantielle.

Ont aussi été évoquées les questions de financement. Ainsi, il est écrit explicitement que nous demandons à la Banque européenne investissements d'intensifier son activité en faveur de l'action climatique, ce qui fait écho à notre proposition d'instituer ensuite une banque européenne pour le climat, pour réaliser des investissements à hauteur de 1 000 milliards d'euros dans les prochaines années. Nous voyons là un enjeu extrêmement important pour la crédibilité européenne sur la scène internationale. Car, le 23 septembre prochain, António Gutteres a demandé qu'au sommet Action climat de New York un point formel de l'ordre du jour soit consacré à l'avancée de l'Accord de Paris. Nous pensions donc qu'il était important de pouvoir porter une voix commune sur ce sujet.

Enfin, nous avons demandé un effort sur la désinformation (fake news) et la résilience des démocraties, de façon à améliorer la capacité de l'Union à réagir à des menaces hybrides et cyber. Il s'agit de renforcer la résilience et la culture de sécurité de l'Union européenne, pour mieux protéger ses réseaux d'information et ses processus décisionnels contre des actes de malveillance. Vous avez sûrement observé que la cyberguerre avait formellement commencé… Elle existe désormais pour de vrai. C'est pourquoi il nous semble important que l'Union européenne puisse se doter de mécanismes de protection.

Sur le plan des relations extérieures, un certain nombre de priorités ont été rappelées. D'abord au sujet du partenariat entre l'Union et l'Afrique, que la France appelle à développer davantage. Le Conseil européen voit bien qu'il y a là des enjeux de stabilité, de sécurité et de prospérité des pays de la rive sud de la Méditerranée. Ces questions étaient également au coeur du sommet des deux rives qui s'est tenu en début de semaine, faisant suite au Med 7 ou EuroMed 7, cette réunion qui rassemble les pays du pourtour méditerranéen membres de l'Union européenne.

Le Conseil a également décidé de renouveler, pour six mois supplémentaires, les sanctions sectorielles appliquées à la Russie. Ces sanctions ne sont pas une fin en soi, mais sont un moyen d'encourager le règlement pacifique du conflit au Donbass. Vous savez à quel point nous sommes extrêmement attachés à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Or nous n'observons malheureusement, à ce stade, aucune avancée dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. Vous savez également que l'effort diplomatique français vis-à-vis de l'Ukraine est extrêmement intense en ce moment. Le Président de la République a reçu le nouveau Président ukrainien. Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères, était en Ukraine fin mai. J'y ai été moi-même, le 20 mai, pour l'investiture du nouveau Président. Ainsi, nous essayons de créer des liens extrêmement forts avec ce pays et, surtout, d'arriver à avancer sur une résolution de cette crise extrêmement difficile.

Un sommet de la zone Euro a également eu lieu vendredi matin, en présence de Mario Draghi et de Mário Centeno, Président de l'eurogroupe, dans un format inclusif, c'est-à-dire dans un format à 27. Ce sommet visait à faire le bilan du travail effectué après l'accord franco-allemand de Meseberg de juin 2018 et l'accord des chefs d'État de décembre 2018 sur la manière de renforcer et approfondir l'union économique et monétaire. Bien sûr, les chefs d'État ont salué les progrès réalisés par l'eurogroupe sur la révision du traité du mécanisme européen de stabilité (MES), révision qui vise à faciliter l'utilisation ce mécanisme en cas de crise. Ils ont également salué la création d'un instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité de la zone euro. Cet instrument pose les bases, en termes de gouvernance et d'existence, de ce fameux budget de la zone euro que nous appelons de nos voeux. Le concept doit encore, bien sûr, continuer à être clarifié, amélioré et renforcé quant aux enjeux de gouvernance et de financement. Car il nous faut un budget de taille suffisante, crédible, doté d'une gouvernance spécifique et qui ne puisse pas se confondre avec une ligne budgétaire des 28 États membres.

J'en terminerai par la discussion en format « article 50 » qui a été organisée, à l'issue du Conseil européen, pour évoquer les évolutions, relativement au retrait britannique, depuis le sommet du 10 avril. Les 27 chefs d'État et de gouvernement ont d'abord fait part de leur disponibilité à travailler avec le prochain premier ministre britannique. Somme toute, ce n'est que normal au sein d'une union où chaque démocratie s'organise par ses propres moyens. Mais le Conseil a bien rappelé l'approche de l'Union quant aux négociations, c'est-à-dire qu'il n'est pas envisageable de rouvrir l'accord de retrait, lequel reste la seule option pour assurer un retrait ordonné du Royaume-Uni. Le Conseil a également indiqué être tout à fait prêt à travailler sur la déclaration politique relative aux relations futures, si la position britannique venait à évoluer de manière consensuelle. Car il nous manque, jusqu'à maintenant, une majorité à Westminster pour soutenir une nouvelle déclaration.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.