Intervention de Jacques Mézard

Réunion du mercredi 18 octobre 2017 à 16h30
Commission des affaires économiques

Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires :

En quelque sorte !

Profondément attaché au Parlement, je suis de ceux qui considèrent que nous avons le devoir de venir expliquer devant vous la politique que nous menons et de vous écouter.

Avec le secrétaire d'État Julien Denormandie, nous avons un ministère très transversal, doté de compétences larges allant du logement à la politique de la ville en passant par l'aménagement du territoire, même si ce n'est pas nous qui sommes en charge des collectivités locales mais le ministre d'État, ministre de l'intérieur, ce que je rappelle à nombre d'interlocuteurs.

Nous avons présenté, le 20 septembre dernier, la stratégie logement du Gouvernement. « Stratégie » car elle ne concerne pas seulement les axes essentiels du projet de loi sur le logement mais aussi certaines orientations que nous considérons comme indispensables dans ce secteur.

Notre but n'est pas de donner nos noms à une loi mais de chercher à déterminer ce qui peut être amélioré et par quels moyens nous pouvons procéder. Construire dans notre pays demande trop de temps et coûte trop. Nous le constatons sans pour autant faire le procès des politiques qui ont pu être menées jusqu'ici car cela ne sert à rien.

La présentation de cette stratégie a été précédée d'une phase de concertation qui a duré plus de deux mois. Nous avons reçu et écouté les professionnels et les non-professionnels et avons collecté à ce jour plus de 2 500 contributions de citoyens via une consultation en ligne.

Le constat auquel nous avons collectivement abouti ne vous a certainement pas échappé.

Notre société, dans tous les secteurs, a connu de profonds changements et traverse une phase de mutations accélérées dans tous les domaines – je ne sais si nous aurons le temps d'aborder les mutations technologiques liées au développement de l'intelligence artificielle et à la domotique.

La France, comme nombre de pays européens, est marquée par des modifications de la structure familiale de sa population, par une augmentation – pas toujours suffisante – de la mobilité des ménages, par une évolution démographique aux caractéristiques propres, par des changements d'emplois plus fréquents, par une demande d'autonomie croissante aux différents âges de la vie et par un besoin collectif de s'engager davantage dans les transitions écologique et numérique.

Notre politique du logement – et c'est une responsabilité collective – a été trop longtemps et trop souvent pensée par rapport à la société d'hier et pas assez par rapport à la société d'aujourd'hui. À titre d'exemple, l'importance croissante de la monoparentalité a des conséquences que vous constatez tous dans vos circonscriptions.

À travers cette stratégie, nous voulons promouvoir une politique du logement qui s'adresse à tous les citoyens, à tous les territoires et à tous les professionnels, notamment ceux de la construction avec lesquels nous avons beaucoup travaillé. Nous le savons tous, l'évolution est toujours difficile à faire accepter ; elle implique de renoncer à certaines situations acquises, parfois à des facilités intellectuelles.

Cette stratégie comporte un volet législatif, un volet fiscal et un volet réglementaire et contractuel. Elle ne doit s'analyser que d'une manière globale et non secteur par secteur.

Il faut savoir faire preuve d'humilité car cette stratégie porte sur un domaine complexe, éminemment technique. Nous serons bien sûr ouverts, lors du débat parlementaire sur la loi relative au logement qui aura sans doute lieu au mois de février, à toutes les propositions que vous ferez pour améliorer ce qui doit l'être et ajouter votre pierre à l'édifice, si j'ose dire.

Quel est le constat initial ? Les dépenses publiques en matière de logement représentent près de 40 milliards d'euros, sous forme soit d'aides directes, soit de dépenses fiscales, et la France compte 4 millions de mal-logés. Nous connaissons de lourds problèmes en zones tendues, où le besoin de logements se fait durement ressentir, mais aussi en zones détendues, où l'offre est souvent suffisante mais où la demande est faible, ce qui conduit au phénomène de la vacance qui touche particulièrement certains centres-bourgs et les centres de villes moyennes.

Autre préoccupation forte du Gouvernement : les quartiers de la politique de la ville et les difficultés sociales, patrimoniales, urbaines auxquelles ils sont exposés. Nous y porterons une attention particulière.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure en réponse à une question au Gouvernement, la politique de la ville ne remonte pas à cet été mais relève de la responsabilité collective de la République depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui, la situation de quelques dizaines de communes et de quartiers relève de l'urgence. Il y a un impérieux besoin de réagir pour éviter que ne s'aggravent les dérives qui ont commencé à se manifester de manière inquiétante. Et je m'écarte ici des éléments de langage fournis par mon cabinet…

Le premier pilier de notre stratégie est de construire plus, mieux et moins cher.

Cela suppose en premier lieu de libérer du foncier dans les zones tendues. La fiscalité foncière actuelle encourage la rétention du foncier car, pour échapper à l'imposition des plus-values, les propriétaires de terrains à bâtir ont tout intérêt à les conserver le plus longtemps possible. Nous allons encourager les ventes en instaurant un abattement fiscal ou en appliquant un taux réduit d'imposition sur les plus-values sur la vente de terrains à construire. Pour les particuliers, dans les zones tendues, un abattement exceptionnel sera appliqué sur les plus-values résultant de la cession de terrains à bâtir ou de terrains bâtis en cas de promesse de vente conclue avant fin 2020 en vue de la construction de logements neufs. Cet abattement sera de 100 % pour les cessions réalisées afin de construire du logement social, de 85 % pour le logement intermédiaire et de 70 % pour le logement libre, sous condition de densification.

La libération du foncier concerne aussi les terrains appartenant à des acteurs publics – État, SNCF, collectivités –, c'est un débat qui ne date pas d'hier. Le président de l'Association des maires d'Île-de-France m'a rapporté qu'il s'apprêtait à signer pour l'acquisition d'un ancien hôpital abandonné depuis 2004, au terme d'une négociation avec l'État qui aura duré treize ans. C'est beaucoup trop long ! Des efforts ont été consentis ces dernières années pour accélérer les procédures mais il est anormal que de telles ventes prennent autant de temps.

Autre question à prendre à compte, celle des droits à construire. Nous avons besoin de développer un urbanisme de projet permettant de faciliter la construction, de régler en amont toute une série de problèmes administratifs à travers des projets partenariaux d'aménagement et des opérations d'intérêt national. L'idée est très simplement de remettre l'urbanisme de projet au coeur du débat public local et de privilégier la contractualisation avec les collectivités.

Nous devrons surmonter un autre blocage : les prix de la construction en France sont parmi les plus élevés d'Europe et ils ont connu une augmentation significative ces dernières années alors qu'ils restaient stables chez nos voisins. Un des facteurs fondamentaux expliquant ce phénomène est la surréglementation dans le bâtiment. Elle repose sur une logique de prescription de moyens qui sclérose l'innovation. J'ai pu le constater récemment en visitant une usine de production de dérivés du chanvre. Nous devons passer à une logique de résultats. L'État ne doit plus dire aux professionnels tout ce qu'ils doivent faire, mais fixer des objectifs à atteindre et faire confiance à ceux qui construisent. Cela ne veut pas dire faire n'importe quoi en matière d'environnement et de sécurité. À la suite de l'incendie de la tour Grenfell à Londres en juin dernier, nous avons confié au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) un rapport d'évaluation sur la réglementation incendie en France afin de la modifier, le cas échéant, mais sans l'alourdir inutilement. Nous avons procédé en toute transparence puisque j'ai demandé que ce rapport soit publié sur le site internet de cet organisme.

Simplifier les normes implique de faire une pause réglementaire pendant ce quinquennat afin de faire baisser les coûts de construction, par exemple pour les normes sismiques, qui peuvent être trop sévères dans certaines zones.

Nous avons aussi, dans un dialogue apaisé avec l'Association des paralysés de France (APF), abordé la question des normes d'accessibilité. Nous voulons atteindre un objectif de 100 % de logements évolutifs dans les constructions neuves, en gardant 10 % de logements accessibles aux personnes en situation de handicap.

Un autre objectif lié à la réduction des coûts est de mettre un terme aux recours abusifs. Nous sommes un État de droit mais l'abus de droit y existe aussi… Le maire de Toulouse, président de la métropole, M. Jean-Luc Moudenc m'a expliqué que, dans sa ville, 60 % des permis de construire faisaient l'objet d'un recours. Et ce n'est pas une exception. Aujourd'hui, la construction de plus de 30 000 logements serait bloquée par des recours. Bien évidemment, tous les recours ne sont pas abusifs mais il ne faut pas perdre de vue que nombre d'entre eux n'ont pas d'autre but que d'obtenir un chèque. Ces procédures, qui peuvent s'étaler sur un très grand laps de temps – huit, neuf, dix ans –, freinent parfois les initiatives.

Nous voulons non pas empêcher le droit au recours, qui est un droit constitutionnel, mais sanctionner davantage les recours abusifs et accélérer les procédures. Pour ce faire, nous proposons de rendre obligatoire la cristallisation des moyens qui n'était que facultative auparavant : les auteurs de recours devront faire une présentation complète des moyens qu'ils invoquent au lieu de les égrener au fil des mois ou des années pour faire durer la procédure. Cela figurera dans le projet de loi.

J'aborderai maintenant les dispositifs de défiscalisation, qui suscitent toujours des interrogations : la réduction d'impôt au titre de l'investissement locatif « Pinel » et le prêt à taux zéro (PTZ). Nous avons voulu donner aux constructeurs de la visibilité afin qu'ils sachent à quoi s'en tenir à moyen terme au lieu de se demander chaque année ce qui les attend au mois de septembre.

Le dispositif Pinel sera prolongé pendant quatre ans dans les zones tendues, A, A bis et B1, et connaîtra une phase de transition en zone B2. Le prêt à taux zéro sera prolongé de quatre ans pour l'achat d'un logement neuf dans les zones A, A bis et B1 et de deux ans dans les zones B2 et C ; pour l'achat d'un logement ancien à rénover, il sera reconduit pendant quatre ans dans les zones B2 et C.

Je termine en évoquant la prise en compte des besoins.

Si, pour le logement en général, nous n'avons pas fixé d'objectifs chiffrés, pour le logement des jeunes, nous avons pris l'engagement d'en construire 80 000 lors du quinquennat, dont 60 000 pour les étudiants, dont on connaît les besoins en la matière.

En outre, pour faciliter l'accès à la formation, à l'emploi, aux stages, nous créons un bail mobilité d'une durée d'un à dix mois. Nous savons que certaines personnes refusent un emploi faute de pouvoir se loger.

Enfin, nous souhaitons accroître la mobilité au sein du parc social, en prévoyant un réexamen tous les six ans pour s'assurer que le logement attribué est toujours adapté à la situation des ménages.

J'ai avant tout abordé la stratégie logement mais je suis bien sûr prêt à répondre à toutes vos questions concernant la politique de la ville et les territoires ruraux que je n'oublie pas, pour y avoir, en tant qu'élu, consacré plusieurs décennies de ma vie.

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