Intervention de Philippe Martin

Réunion du mercredi 10 juillet 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Martin :

Je reviens rapidement sur certaines questions, notamment celle de la stabilité normative. C'est un argument qui serait plutôt en faveur d'une stabilité des baisses de charges, et je l'accepte totalement.

Si l'on procédait à la bascule que l'on propose entre les impôts de production et les baisses de charges, il y aurait des perdants et des gagnants, qui ne sont pas les mêmes. Évidemment, toute réforme fiscale fait des perdants et des gagnants. Nous avons vérifié s'il y avait une corrélation entre ce que les entreprises vont gagner et ce qu'elles vont perdre et nous avons constaté une corrélation forte. Les PME, si elles sont affectées indirectement par la C3S, sont, évidemment, moins touchées directement par cet impôt que les grands groupes. De ce point de vue, la suppression de la C3S – il ne faut pas se le cacher– va être plutôt favorable aux grands groupes. À ce propos, si le législateur s'est arrêté dans la suppression de la C3S, c'est pour des questions d'économie politique. Quand vous prévoyez une baisse d'impôts programmée au cours du temps et que vous commencez par une baisse pour les petites entreprises, avant de l'élargir aux moyennes et aux grandes entreprises, il y a un moment où la pression politique empêche de continuer, parce que l'on ne veut pas faire de cadeaux aux grandes entreprises. D'ailleurs, les économistes ne sont pas très favorables à une baisse d'impôts qui porte d'abord sur les petites entreprises, puis les moyennes et les grandes, parce que l'on sait qu'à un moment, on va « caler ». J'assume complètement le fait que si l'objectif est un objectif de compétitivité et d'exportation – et je rappelle que les exportations sont très concentrées sur les grandes entreprises ; on peut le regretter mais c'est comme cela, en France comme dans tous les pays ce sont les grandes entreprises qui font les exportations – et si l'on souhaite augmenter les exportations et baisser le déficit commercial de la France, il faut baisser les impôts qui pèsent sur les grandes entreprises exportatrices et qui pèsent sur la compétitivité. Si nous avons un objectif de compétitivité et d'exportation, il faut se poser la question de la compétitivité des grandes entreprises.

Il y a eu une question sur les effets de trappe à bas salaires. C'est une question à approfondir et cette inquiétude est légitime d'un point de vue théorique. Cependant, empiriquement, les études n'ont pas établi de manière robuste d'effet de trappe à bas salaires lié aux baisses de charges. En revanche, il faut faire attention aux effets de seuil. Au moment où l'on va vouloir augmenter les salaires, cet effet de seuil peut être très élevé. Pour l'entreprise, une petite augmentation de salaire va être très coûteuse puisqu'elle va lui faire perdre le bénéfice des baisses de charges. De ce point de vue, nous disons toujours qu'il ne faut jamais créer d'effets de seuil. Il faut lisser les baisses de charges et c'est ce qui, à mon avis, est la chose la plus importante à faire pour éviter tout effet de trappe à bas salaires.

Le mécanisme du CICE a été mal compris par les entreprises. Je pense qu'il y avait un défaut d'origine sur ce crédit d'impôt et c'est bien pour cette raison que nous nous disons favorables à sa transformation en baisse de charges.

Quant à l'effet positif sur les seniors des baisses de charges au delà de 1,6 SMIC, c'est une question très intéressante. Pour être très franc, je crois que les économistes n'ont pas regardé spécifiquement cet effet sur les seniors. Je prends note de ce point.

Nous n'avons pas examiné les impôts sur les transmissions, mais ce ne sont pas en eux-mêmes des impôts de production. Il y aura une autre note, d'ailleurs, sur le problème des successions.

Jean-Noël Barrot posait une question sur le fait que les baisses de charges n'ont pas eu d'effet sur l'emploi. Sur les salaires intermédiaires, ce n'était pas l'objectif recherché. C'était clairement l'objectif des baisses de charges sur les bas salaires et l'on trouve bien un effet positif des baisses de charges sur l'emploi des bas salaires. Les baisses de charges sur les salaires relativement élevés, en particulier, ont eu un effet sur les marges. On peut dire que cela a été un effet positif puisqu'on se trouvait alors dans une période où les marges étaient très faibles. Remarquez que la bascule que nous proposons n'a, a priori, pas d'impact sur les marges, dès lors que les montants en jeu sont relativement similaires. Nous disons donc que cette baisse de charges – sur les salaires intermédiaires et élevés –ne semble pas très efficace au regard de l'objectif qui lui a été donné – l'exportation, pas l'emploi – et qu'un impôt, la C3S, a quant à lui un effet très négatif. De ce point de vue, nous proposons un exercice de simplification.

En ce qui concerne l'effet du CICE sur les rémunérations, certaines rémunérations ont augmenté, plutôt, justement, celles correspondant à des salaires intermédiaires ou élevés.

Le coût du pacte de responsabilité de 2016 s'établit autour de 2 milliards d'euros pour les hauts salaires, c'est-à-dire à partir de 2,5 SMIC, puisque le pacte de responsabilité étend jusqu'aux salaires de 3,5 SMIC les allègements de charges prévus en 2015.

S'agissant de la compétitivité hors coût, c'est une question évidemment extrêmement importante. Nous l'avions traitée dans une note dont j'étais co-auteur il y a trois ou quatre ans. Il est vrai que cette question est plus difficile à traiter que celle de la compétitivité coût. La compétitivité hors coût évolue beaucoup plus lentement. L'Allemagne est vraiment hors normes de ce point de vue. Quand on regarde les études sur la compétitivité hors coût, c'est-à-dire tout ce qui est lié par exemple à la qualité des produits et à la qualité des services qui viennent avec les produits exportés, ce n'est pas que la France fait très mal, c'est que l'Allemagne est très au-dessus des autres pays. Ma réponse est que ce résultat est d'abord lié aux marges des entreprises ; pour que les entreprises fassent de l'innovation, de la montée en gamme, il faut des marges. On peut relier le fait que la France et les entreprises françaises, en tout cas relativement aux entreprises allemandes, aient perdu en compétitivité hors coût au fait que, dans les années 2000 et au moment particulier de la crise, il y a eu une forte baisse des marges. Mais, par ailleurs, je pense que la stratégie à suivre pose clairement la question de la formation, celle de la flexibilité du marché du travail et celle de la flexibilité à l'intérieur des entreprises. Très clairement, c'est une stratégie qui est très différente des questions de fiscalité.

Vous posiez également la question du coût du capital. Nous n'avons pas comparé, dans cette note, le coût du capital pour les entreprises françaises à ce coût pour les entreprises d'autres pays, mais nous l'avons fait dans un autre rapport. J'en fais la publicité, c'est celui du Conseil national de productivité. Dans ce rapport, nous expliquons que le coût du capital en France n'est ni plus faible, ni plus élevé que dans les autres pays de l'Union européenne, ce qui d'ailleurs n'est pas très étonnant dès lors que le capital est mobile.

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