Intervention de Thierry Breton

Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 18h15
Commission des affaires sociales

Thierry Breton, directeur général de l'Institut national du cancer :

Madame Mireille Robert, oui, l'emploi est une priorité. C'est un peu nouveau pour l'INCa, parce que nous sommes une agence sanitaire et scientifique, donc ce n'est pas notre champ de prédilection et de compétence directe. Nous avons décidé et pris l'initiative de nous organiser avec nos camarades du ministère du travail, de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et de l'association nationale des DRH. Nous allons travailler avec les organisations syndicales et patronales, il faut fédérer les acteurs essentiels autour de cette impulsion que nous portons.

C'est une priorité et c'est un travail de longue haleine. C'est aussi dans la persévérance, dans l'effort régulier et dans l'intelligence collective que nous y arriverons. Un point qui est central pour moi : nous n'arriverons à rien sans les entreprises. On peut critiquer à bon droit certaines entreprises qui ont effectivement des attitudes et des comportements qui ne sont pas acceptables. La plupart sont en réalité dans une situation pas évidente à traiter, avec des sujets qui sont compliqués à aborder, qui posent plein de questions. Notre propos est de les rassembler autour de nous et de les aider à faire face à ces situations.

Concernant la médecine génomique, madame la députée Corneloup, la position de l'INCa est claire et assez ancienne. Mes prédécesseurs ont mis en place des plateformes de génomique moléculaire, qui permettent à notre pays, à travers vingt-huit plateformes, de disposer d'un outil qui est très innovant, déjà accessible et qui, grosso modo, permet de tester 68 000 tumeurs par an. Ce sont les chiffres que j'ai en tête et qui permettent d'identifier les altérations particulières qui permettent de caractériser les tumeurs et d'apporter le traitement spécifique le plus adapté. C'est quelque chose qui existe. Notre ambition est d'aller vers une médecine qui soit non pas personnalisée mais de précision, pour arriver à identifier de manière de plus en plus précise la situation particulière pour pouvoir apporter une réponse qui soit la plus efficace thérapeutiquement. La France a décidé de se doter, à travers le plan de France médecine génomique, porté par l'alliance Aviesan et l'INSERM, d'une infrastructure extrêmement importante sur ces questions-là. Nous y travaillons, c'est un outil public qui est à la fois un outil de soins et un outil de recherche, nous y contribuons et il est en cours d'installation. Les deux premières plateformes ont été désignées.

S'agissant des outils et des tests qui peuvent exister et qui sont un peu légion sur le marché, je crois qu'ils posent une question collective aux régulateurs. Nous avons des tests qui sont en réalité des dispositifs médicaux, dans la plupart des cas, c'est-à-dire qu'ils ne passent pas les mêmes fourches caudines que celles de l'évaluation des médicaments. Nous sommes très attentifs sur la survenue de ces tests au regard de l'intérêt qu'ils peuvent porter mais nous sommes extrêmement vigilants sur leur efficacité car il y a, dans ces tests, des enjeux extrêmement importants – je passe les enjeux commerciaux, ce sont des enjeux d'efficacité. Les tests sont caractérisés par un certain nombre d'éléments, dont la valeur prédictive positive ou la valeur pronostique. Il faut que ces tests soient très efficaces pour qu'on puisse soutenir le fait qu'on les mette sur le marché. Il y a des tests qui existent aujourd'hui et qui ne le sont pas, qui peuvent conduire au fait qu'une équipe déciderait de ne pas administrer une chimiothérapie adjuvante à l'occasion d'un cancer du sein, après une chirurgien et qui pourraient décider ladite équipe, se fondant sur ce test, pour décider à mauvais escient, ce qui entraînerait une perte de chance pour la femme concernée.

Nous avons donc un sujet quant à l'évaluation de ces tests. Un récent rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) s'est plongé sur quelques-uns d'entre eux, dans une offre qui n'est pas nationale mais mondiale ; ce n'est donc pas évident.

Madame Elimas, vous m'avez posé deux questions sur la stratégie et sur la pédiatrie. Je distinguerai deux choses. Il y a la préparation de la stratégie décennale de lutte contre les cancers qui pour nous est la prochaine stratégie et qui couvre l'ensemble des sujets. Encore une fois, merci de votre confiance et de la mission qui nous est confiée, qui nous tient à coeur et sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler. Cela fera l'objet d'une proposition qui sera transmise au Gouvernement pour une annonce de la prochaine stratégie. Nous travaillons pour cela en interne avec l'ensemble de nos partenaires, les agences régionales de santé, les cliniciens, les praticiens... C'est un travail de conception que nous sommes en train de faire et qui reprend les trois orientations que je vous ai données et les trois ambitions.

Sur la pédiatrie, un groupe a été mis en place : c'est une task force pédiatrie avec les associations, là aussi à l'issue de vos propositions et de la décision de madame la ministre Frédérique Vidal, d'abonder de 5 millions d'euros supplémentaires la recherche en cancérologie pédiatrique. Nous sommes en train de travailler avec les associations pour identifier les actions prioritaires sur ces questions. Dans les enjeux que nous avons identifiés, l'un, me semble-t-il, pourrait être qualifié de structuration et qui porte beaucoup sur notre capacité à faire venir de jeunes chercheurs sur ce champ de la recherche. Le sujet des jeunes chercheurs est un point important ; nous essayons de voir comment on peut organiser le fait qu'ils ne soient pas uniquement français et faire en sorte qu'il y ait un peu de mobilité pour les associer, les faire venir sur cette discipline. Il y a un sujet de connaissance, de cartographie et d'informations sur ce que permet la recherche sur les progrès, sur les essais cliniques. C'est un petit sous-ensemble, il existe via des outils qui seront proposés aux familles pour une meilleure information.

Nous identifions aussi un enjeu de recherche et de partage des données. C'est un point qui est particulièrement crucial. Vous disiez qu'on devrait connaître un peu mieux l'histoire naturelle de la maladie ou en tout cas mieux comprendre comment la maladie survenait. Je pense que c'est une question qui est très importante à laquelle nous pouvons espérer répondre au niveau national. Je crois que nous pouvons y répondre encore moins difficilement au niveau international. Le nombre de cancers pédiatriques est très important mais malgré tout relativement faible – il y a environ 2 500 nouveaux cas de cancer par an, d'enfants et de jeunes. Il faut qu'on partage les données : c'est ce qui nous permettra, avec cette cartographie et notamment notre travail avec nos collègues américains, de mieux comprendre quelles sont les conditions et ce qui peut causer la survenue des cancers.

Mme la députée Sanquer, sur la vaccination HPV, oui, nous la prônons. La HAS a émis récemment une recommandation sur la vaccination à partir de 30 ans. C'est pour nous une façon très claire de s'attaquer au sujet du cancer du col de l'utérus et d'autres cancers, en réalité, avec l'espoir, comme on peut le voir se dessiner dans d'autres pays, de l'éradiquer.

Sur l'Institut de Polynésie, nous sommes à disposition, dans la limite de nos moyens qui, vous l'avez compris, sont assez modestes, de l'Institut et des autorités polynésiennes pour travailler. Il y a quelques semaines, j'ai reçu le ministre de la santé de Polynésie pour permettre à des professionnels de Polynésie de se former et de découvrir les plateformes de génétique moléculaire. On peut tout à fait imaginer une coopération pour aider l'Institut dans ces questions-là.

Monsieur le député Dharréville, la transformation des modes de vie est un sujet vaste et compliqué. Il est extrêmement important de rechercher les causes ; ceci étant, on en connaît les principales, aujourd'hui en tout cas. Quand j'énumérais tout à l'heure les résultats sur le tabac, sur l'alcool et sur le surpoids, aujourd'hui ce sont des chiffres internationaux qui sont très clairs : la consommation de tabac, ce sont 45 000 décès par cancer – il y a d'autres pathologies, je vais y revenir –, l'alcool 16 000. Nous avons une très bonne connaissance des principaux facteurs de risques qui sont liés à des modes de vie, à des habitudes de vie qui sont malheureusement marqués aussi par des inégalités fortes.

Néanmoins, je comprends que vous posiez la question, plutôt sur le sujet de l'environnement et du travail. Aujourd'hui ce que l'on peut voir, si je prends l'environnement, on estime qu'environ 3 % des cancers sont liés à des facteurs environnementaux. C'est notre connaissance d'aujourd'hui, compte tenu de ce que nous avons mis en place et des moyens d'observation que nous avons mis en oeuvre ; ce n'est pas une vérité absolue. Ces questions sont extrêmement délicates et difficiles à appréhender, au sens où les expositions environnementales et la survenue des cancers sont difficiles à établir. Les expositions peuvent être faibles, de longue durée, elles peuvent être des poly-expositions, elles peuvent être cumulées avec un facteur de risque dit « principal » qui peut accroître, aggraver ou faciliter la survenue du cancer. Nous avons besoin – et c'est un point qui est important pour nous dans la prochaine stratégie – de travailler au moins comme guide idéal, autour de la notion d'exposome que vous connaissez, c'est-à-dire comment s'organiser pour déjà mesurer les expositions, observer les expositions et ensuite essayer de trouver, si ce n'est une causalité, une corrélation de quelques éléments d'indices qui soient mobilisables et qui nous permettent d'approfondir l'acte de recherche. C'est un sujet qui est devant nous et qui occupera une place importante, à côté des autres facteurs de risque qui sont déjà bien identifiés.

Nous contribuons à la formation des praticiens, notamment sur la cartographie des formations.

Nous sommes évidemment très sensibles au prix du médicament. Pour les dernières techniques mises à disposition, les prix sont relativement élevés. Ils posent clairement des questions de soutenabilité. Je crois que dans le prix du médicament, il faut arriver à regarder ce qui est ou pas de l'innovation, ce qui apporte une amélioration du service médical rendu nette ou pas. C'est vraiment le rôle de la HAS, avec laquelle nous travaillons.

Je crois aussi qu'il y a un équilibre à trouver dans la réflexion que nous avons sur l'innovation. Je crois qu'il y a une petite course à l'innovation et aux nouveaux médicaments qui, parfois, n'est pas la bonne solution. Parce qu'on peut effectivement constater que, sans doute, ce sont des segments qui ont plus de valeur pour certaines entreprises que les médicaments plus anciens, malheureusement, qui sont pourtant très efficaces. Je voudrais vous citer un exemple dans une des leucémies de l'enfant où le progrès et l'innovation n'ont pas résidé dans la survenue et l'élaboration d'un nouveau médicament mais dans l'ajustement des doses et du protocole thérapeutique des médicaments déjà présents sur le marché. Je crois qu'il faut qu'on ait cela aussi à l'esprit : c'est une façon de ne pas faire une course à l'échalote sur l'innovation des médicaments.

Madame Dubié, la démocratie sanitaire était l'un de mes enjeux importants. On a mis en place un comité de démocratie sanitaire que l'on réunit trois à quatre fois par an. On lui soumet toutes nos propositions importantes, sur lesquelles il émet un avis. Il a un ordre du jour et des travaux qu'il peut engager lui-même. Cela vaut pour le parcours, pour ce qu'on appelle le dispositif d'annonce, pour la recherche aussi. Il peut élaborer des propositions. Il travaille avec nous dans la réflexion sur l'élaboration de la stratégie. Nous avons aussi lancé une concertation citoyenne pour fonder un peu les orientations stratégiques que je vous ai proposées tout à l'heure, via une enquête et donc avec un appel à contributions, car il est important d'être bien au fait et de bien percevoir ce que sont les attentes de nos concitoyens. Nous continuerons bien sûr dans les prochains mois. J'ajoute que tous nos groupes d'évaluation et la plupart de nos recommandations associent un représentant des patients pour participer et faire valoir la voix des patients dans l'ensemble de nos activités. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que nous sommes arrivés à l'objectif que je m'étais fixé en 2014, avec une très bonne intégration des représentants de patients, dans ce travail-là.

Sur l'informatique, vous avez lu mon curriculum vitæ avec attention et je vous en remercie. C'est un champ important, il y a un changement numérique, autour de la transformation numérique et de l'évolution du service, qui est déjà en cours. La prochaine évolution majeure, déjà à l'oeuvre, c'est l'intelligence artificielle. Au sein de l'INCa, nous avons constitué une plateforme de données qui s'appelle la plateforme de données Cancer. Nous avons énormément de données et nous travaillons avec des équipes de recherche pour utiliser au mieux ces données afin d'apporter un meilleur service aux patients.

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