Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du mardi 24 octobre 2017 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

Madame la présidente, madame la ministre des solidarités et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, chers collègues, depuis soixante-douze ans maintenant, la Sécurité sociale, cette formidable et généreuse idée fondée sur la solidarité et la répartition, née des esprits fertiles et éclairés du Conseil national de la Résistance, fait partie de notre identité. Le ministre du travail Ambroise Croizat en fut le principal architecte. Ouvrier d'usine à treize ans, militant syndical et politique, il a mesuré pleinement tout l'enjeu de la mise en place d'un régime général de couverture sociale qui mutualise une part de la valeur produite par le travail, mais surtout qui en confie la gestion aux travailleurs eux-mêmes. Ce choix d'une société de partage et de solidarité fut longtemps un modèle pour les gouvernements progressistes du monde entier.

Or c'est en cette soixante-treizième année que votre gouvernement, madame la ministre, porte un coup terrible à l'essence même de ce qu'est la Sécurité sociale en proposant dès 2018 de supprimer les cotisations sociales au profit de la CSG – la contribution sociale généralisée – , fiscalisation injuste et inefficace, impôt non progressif qui frappe d'abord les revenus les plus faibles. Ambroise Croizat avait lui-même alerté que si les cotisations sociales disparaissaient au profit d'un impôt, ce serait la fin de la Sécurité sociale.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 s'inscrit parfaitement dans la logique et la stratégie des gouvernements précédents, poursuivant dans la voie engagée, reprenant les politiques antérieures mises en place, notamment par la loi hôpital, patient, santé et territoires, dite loi Bachelot, et par la loi de modernisation de notre système de santé, dite loi Touraine, et renforçant les attaques contre notre système de sécurité sociale solidaire.

La poursuite de ces politiques est lourde de conséquences pour les professionnels, mais aussi pour les usagers placés dans un cadre d'inégalité sociale, économique, territorial et institutionnel. Dans une période où tous les établissements de santé tirent le signal d'alarme sur leurs conditions de travail, alertent sur le manque de moyens et s'inquiètent de l'augmentation constante des actes de maltraitance institutionnelle, vous proposez des économies sans prendre en compte l'urgence de leurs demandes.

Je vous rappelle qu'en une année, quatorze soignants se sont donné la mort sur leur lieu de travail. Vous en avez marre que je vous parle constamment de ces quatorze soignants ? Mais on ne peut en aucun cas banaliser la mort, encore moins quand elle intervient par suicide. Nous ne connaissons pas le nombre de soignants qui ont mis fin à leur vie en dehors de leur lieu de travail, ni le nombre de tentatives de suicide ; nous n'avons pas de chiffres sur les changements de vocation et encore moins sur les burn-out. En revanche, j'ai une certitude : toutes et tous ici, nous avons reçu des témoignages de la part des soignants, des patients et des familles ; dans toutes les circonscriptions françaises, tous les personnels soignants du public et du privé souffrent.

Il y a trois mois, notre groupe vous a interpellée en rappelant les quatorze besoins fondamentaux non respectés. Vous avez ouvert une mission flash sur la condition d'accueil des personnes âgées dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD – , ce qui nous avait conduits à penser que notre interpellation avait fonctionné. En outre, une mission d'information va commencer début décembre. Toutefois, aucun moyen supplémentaire ni aucune avancée en matière de conditions de travail et d'accueil ne sont prévus dans ce PLFSS.

Madame la ministre, soyez rassurée : je suis très attentive. J'ai donc bien remarqué la ligne budgétaire de 100 millions d'euros pour les EHPAD, mais elle correspond à la création de 5 000 lits supplémentaires. Je vous répète donc que vous ne donnez pas de moyens supplémentaires aux EHPAD existants. J'appelle aussi votre attention sur le fait que les mauvaises conditions de fonctionnement ne concernent pas que les EHPAD : hôpitaux, cliniques, instituts, bref, tous les établissements de santé sont touchés.

Les dispositions de ce projet de loi confirment que ce sont encore les plus modestes qui en subissent les conséquences. Avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie – ONDAM – à 2,3 % et plus de 4 milliards d'euros d'économies sur l'assurance maladie, après plus de 10 milliards sous les précédents gouvernements, l'objectif politique consiste encore et toujours à faire supporter le poids des économies à nos concitoyens, plus particulièrement aux plus modestes.

L'adaptation des dépenses aux recettes dans une recherche constante de gains de productivité inscrite dans les contrats pluriannuels constitue de fait un cadeau aux actionnaires des grands groupes privés. La branche famille en est un bon exemple. Il est aussi évident que le chômage de masse fragilise le système par l'absence de cotisations sociales et patronales. Le maintien des bas salaires, la précarité, les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ont, eux aussi, leur part de responsabilité dans la situation de la protection sociale.

Chers collègues, savez-vous qu'en 2017 des enfants enterrent leur maman des suites d'un cancer ? Pas par manque de prévention, non : par manque d'argent. Eh oui, en 2017, il existe des témoignages troublants : par exemple, une femme découvre qu'elle souffre d'un cancer du sein, mais son mari étant en fin de droits, elle ne peut pas arrêter de travailler et donc perdre la moitié de son salaire pour se faire soigner. Elle recule donc l'échéance des soins, jusqu'à ce qu'enfin elle commence les traitements, mais il est trop tard. Eh oui, en 2017, des enfants en bas âge se retrouvent orphelins parce que leur mère n'a pas les moyens financiers de s'arrêter de travailler pour se soigner. La course effrénée à la rentabilité financière et à la marchandisation des besoins sociaux, dont ceux de la santé, a conduit à la catastrophe économique et sociale.

Il est nécessaire de cesser d'administrer la potion libérale à l'hôpital public, de s'émanciper de ce poison qu'est la logique comptable imposée. Les personnels ne doivent pas être la principale cible ni la variable d'ajustement pour réduire les déficits budgétaires de nos hôpitaux. Il faut sortir des conséquences néfastes de la politique des groupements hospitaliers de territoire – les GHT – et de la mise à mort des hôpitaux de proximité. Pour lutter contre la désertification médicale, il est au contraire urgent de développer un réseau de centres de santé publics rattachés aux hôpitaux de proximité, avec des médecins et des personnels salariés. Cette solution permettrait de répondre à deux objectifs : une juste répartition des ressources humaines sur le territoire et la fin des dépassements d'honoraires grâce à la généralisation du tiers payant intégral. Mes collègues de la France insoumise et moi-même le souhaitons ardemment.

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