Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

Plusieurs questions ont porté sur InfoMigrants. Je reviens sur la genèse de ce projet. En 2015, avec plusieurs journalistes de France Médias Monde, nous n'en pouvions plus de rapporter les noyades de migrants en Méditerranée. Peter Limbourg, le patron de la Deutsche Welle, à qui j'en ai parlé, était dans le même état d'esprit. Nous avions une idée mais pas d'argent, aussi avons-nous pensé la soumettre à la Commission européenne. Mais nous nous sommes également dit que nous devrions y associer les Italiens, puisqu'ils se trouvaient en première ligne. L'agence de presse italienne, l'ANSA, nous a tout de suite emboîté le pas. Le projet a donc germé chez nous ; nous n'avons pas répondu à un appel d'offres de la Commission. Celle-ci nous a dit : « Banco ! », et elle nous a versé les fonds nécessaires à la réalisation d'un pilote. D'abord conçu en trois langues – le français, l'anglais et l'arabe –, le site s'est enrichi de deux langues afghanes, le dari et le pashto. Ces choix linguistiques nous permettent de couvrir une large zone, comprenant l'Afrique, l'Afghanistan ainsi que le Proche et le Moyen-Orient, marquée par des migrations de populations.

Le site reçoit 5 millions de visites par mois, et il en a reçu 37 millions au total en 2018. Ce succès très important s'explique par le fait que nous avons été présents sur tous les réseaux sociaux, car on sait que la dernière chose que gardent les migrants est leur téléphone, pour des raisons liées à leur mobilité. Point n'était donc besoin de concevoir un site lourd, fixe ; il fallait des applications mobiles susceptibles de les toucher. En outre, France 24 a recruté des observateurs parmi des personnes participant à des convois ou séjournant dans les camps, qui nous avaient adressé leurs candidatures. Nous avons ainsi pu recevoir des informations puisées à la source. Grâce à eux, nous avons pu mettre en ligne des articles pertinents et intéressants. Le bouche-à-oreille a ensuite fonctionné, ce qui était heureux, car nous ne disposions pas de budget marketing.

Dès le départ, la Commission a accepté de nous financer, à hauteur de 2 millions d'euros en 2018 et de 2,5 millions d'euros en 2019. Au passage, le changement de la Commission et du Parlement européens risque de faire baisser cette enveloppe en 2020 : il s'agit, en fait, d'une queue de budget, et la nouvelle Commission devrait proposer à nouveau notre projet dans le cadre de la mandature 2021-2027.

The Open University avait été choisie par la Commission pour évaluer notre programme. Elle nous a suppliés de rester dans ce projet, qui lui tenait à coeur, quoi qu'il advienne du Brexit. Elle a bien procédé à son évaluation, et c'est pour cette raison que les dotations ont été maintenues et qu'elles nous ont permis de monter en puissance avec les langues afghanes. Je n'ai personnellement pas eu communication de ces rapports d'évaluation, parce qu'ils étaient adressés directement à la Commission qui devait juger de l'intérêt de reconduire les financements qu'elle nous avait alloués. Ils existent néanmoins, et peut-être pourrais-je – car leur communication ne me semble pas interdite – vous les faire transmettre. The Open University nous a fait tout de même des remarques utiles, car elle souhaite nous voir réussir. Elle nous a indiqué la nécessité d'être présents sur tous les réseaux sociaux, de ne pas s'interdire la lueur d'une belle histoire, telle celle de cette jeune esclave, dont j'ai déjà parlé.

Il est vrai que le site InfoMigrants donne parfois un numéro de téléphone utile pour connaître ses droits et ses devoirs. Nous avons également épinglé des passeurs, débusqué des menteurs qui accaparent l'argent de pauvres gens sans avoir les moyens d'assurer leur passage. Pour autant, je ne crois pas du tout que ce site produise un appel d'air : certains récits terrifiants me semblent avoir un effet plus dissuasif qu'incitatif. Reste que, même si on le mesure mal vu de France, lorsqu'on est au désespoir, certaines belles histoires peuvent faire rêver. De toute façon, les jeunes Africains parlent de « suicide par la mer » : ils tentent le coup – certains films racontent cela magnifiquement.

Je sais que ces sujets difficiles vous intéressent. Nous sommes d'accord pour vous présenter l'équipe. Vous êtes plus que les bienvenus si vous voulez venir discuter avec ceux qui sont sur le terrain. Nous parlons tous les matins avec nos collègues de Berlin et de Rome. Nous nous mettons d'accord sur tout : l'ordre du jour, le conducteur des journaux, les personnes qui vont partir en reportage, le choix des langues – parce qu'on ne fait pas exactement la même chose dans toutes les langues. Si certains d'entre vous le souhaitent, ils pourront venir assister à la conférence de rédaction que nous faisons chaque matin, par Skype, avec Rome et Berlin. C'est l'Europe en marche, l'Europe concrète et fraternelle, et c'est formidable.

Madame Piron, vous m'avez interrogée sur l'éducation aux médias et à l'information. Je pense que le nouveau projet piloté par France Télévisions, auquel nous participons, en lien avec l'Éducation nationale, sera très bien. Nous avons un autre projet en direction de la jeunesse, qui pourrait répondre au souhait de Mme Mörch de passer à une « échelle industrielle ». France Télévisions voudrait nous accueillir dans sa fondation, qui est tournée vers la jeunesse, ce qui permettrait de recueillir des fonds sous l'égide de la Fondation de France. Nous partageons les mêmes objectifs que France Télévisions et, avec nos soixante nationalités et nos quinze langues, nous pouvons toucher un public beaucoup plus large.

Madame Racon-Bouzon, vous m'interrogez sur le rôle que nous pouvons jouer en matière d'intégration. Le site RFI Savoirs participe au plan Bibliothèques du ministère de la Culture : les médiathèques et les bibliothèques françaises sont équipées d'un accès à nos méthodes d'apprentissage à partir des langues étrangères, notamment africaines. Nous travaillons, par ailleurs, à un programme qui permettra d'apprendre le français d'une manière ludique : il s'agit d'une série intitulée « Les voisins du 12 bis ». Cette fiction, qui mettra en scène des migrants qui s'intègrent, permettra d'apprendre le français, tout en combattant les stéréotypes.

Pour favoriser l'intégration, les pouvoirs publics ont également lancé, avec l'appui du CSA, une stratégie importante qui nous permet d'être présents en DAB+ (pour Digital Audio Broadcasting). Nous sommes déjà présents à Lille, Strasbourg et Lyon, notamment dans des banlieues multiculturelles, où il se passe aussi de belles choses et où les gens ont souvent découvert RFI dans leur pays d'origine. Nous serons bientôt présents à Toulouse, Bordeaux et Marseille, ce qui est fantastique pour nous.

Madame Cazarian, le journal télévisé en français facile fait un vrai carton. Je voudrais que nous développions également la pédagogisation autour d'émissions diffusées à la radio : c'est dans ce sens que nous travaillons à la refonte du site RFI Savoirs. Notre partenariat avec des radios africaines n'est pas une nouveauté. Il est vrai qu'on en compte neuf au Sénégal et il y a plus de cent radios partenaires pour le mandingue dans toute la zone mandingophone. Il est trop tôt pour mesurer l'impact de la diffusion en peul, car elle n'a commencé qu'au mois d'avril, avec une émission hebdomadaire, mais je peux vous dire que dans les zones mandingophones, l'audience de RFI a augmenté de 30 %. Les gens qui sont imparfaitement francophones commencent par écouter la radio dans leur langue maternelle, ce qui leur donne des clés pour comprendre le journal en français facile : on crée ainsi un continuum qui les amène au français.

Madame Dubois, vous m'interrogez sur nos partenariats avec d'autres médias européens. J'ai déjà beaucoup parlé de la Deutsche Welle, un grand groupe international qui nous ressemble. Le contexte du Brexit, qui dure depuis plus de deux ans, ne favorise évidemment pas la participation de la BBC à des projets financés par l'Union européenne. Cela étant, nous restons très liés à elle et nous la retrouvons au sein du DG7. Nous retrouverons également la BBC en décembre, avec la Deutsche Welle, les Américains, les Japonais, les Australiens et les Canadiens. Nous travaillons aussi avec les Italiens et notre ambition, avec le projet « Enter ! », qui est destiné aux jeunes, est d'avoir des partenaires dans tous les pays européens. Il faudra que nous contactions nos amis de la RTBF, mais aussi ceux de la Télévision suisse romande (TSR), car même si la Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne, elle est au coeur de l'union économique. Notre idée est de fédérer des influenceurs et des médias locaux pour faire exister l'Europe au quotidien auprès des jeunes. Ce n'est pas gagné, mais nous devons agir en ce sens.

Monsieur Testé, je ne suis pas sûre que la langue française perde de l'influence à l'international. Depuis que je travaille, on m'explique que le français régresse. Vous avez vous-même rappelé que le nombre de personnes parlant le français progresse en Afrique, ce qui est vrai, mais il ne faut pas se gargariser de ces 700 millions de francophones. Comment vont-ils faire, les pauvres, pour se nourrir, se former et trouver un métier ? De nombreux pays de langue latine demandent à faire partie de l'Organisation internationale de la francophonie, parce qu'ils sont fascinés par l'idée du plurilinguisme. Il est vrai qu'au sein de l'Union européenne, on parle plus volontiers l'anglais que le français, comme au G7, parce que c'est le plus petit dénominateur commun, mais tous les vrais échanges se font en français, qui est la langue de coeur pour de nombreux anglophones. Les Américains qui connaissent notre langue adorent la parler dès qu'ils en ont l'occasion, comme les Britanniques – même s'ils s'excusent toujours de ne pas être au niveau.

Ne soyons pas trop pessimistes. La France a une vraie influence internationale : notre succès en témoigne. Quand le slogan des prochains Jeux olympiques de Paris a été rendu public – « Made for sharing » –, le ministère des Affaires étrangères a reçu de nombreux télégrammes déplorant qu'il n'y ait pas un mot en français, ne serait-ce que : « Bienvenue en France ». En réalité, il n'y a pas de perte de rayonnement de la France à l'international, mais on nous reproche à nous, Français, d'être un peu mous du genou !

Monsieur Claireaux, vous m'avez interrogée sur notre partenariat avec la chaîne TV5 Monde. Ce partenariat est une évidence, mais TV5 Monde est, par essence, la chaîne multilatérale francophone et il importe que nous ne soyons pas exactement sur le même terrain. Nous sommes, comme elle, membres de l'association des médias francophones publics. Nous faisons des choses ensemble, nous diffusons des programmes qui sont coproduits sur les antennes de RFI, nous partageons des sujets, nos équipes se voient chaque année et il existe des groupes de travail communs, en radio et en télé, sur tous les sujets : la fiction, la jeunesse, le numérique, l'information… Nous sommes très proches de TV5 Monde, mais elle reste la chaîne généraliste multilatérale francophone et nous essayons de faire des choses complémentaires.

Madame Provendier, vous m'avez demandé quels étaient nos besoins en termes de budget. C'est une question qui fait rêver mais, depuis deux ans, j'ai appris qu'il fallait aussi tenir compte des contraintes budgétaires et de notre déficit global. Ce qui est compliqué, pour nous, c'est que nous n'avons pas d'alternative privée, mais j'ai bien conscience que tout le monde souffre dans le secteur public audiovisuel. La Deutsche Welle a des moyens supérieurs aux nôtres, puisque son budget, qui était de 325 millions d'euros en 2018, est passé à 350 millions en 2019. Nous, nous avons un budget de 267 millions d'euros, dont 256 millions proviennent de la contribution à l'audiovisuel public. J'ose à peine vous donner le budget de la BBC World News : 420 millions d'euros ! Même si j'adore nos amis de la Deutsche Welle, je suis fière de dire que nous avons de meilleurs résultats avec un plus petit budget. Quant à la BBC, elle a des résultats extraordinaires, mais son budget l'est aussi. Je vous propose de tenter l'expérience : donnez-moi, pendant un an, le même budget que la BBC, et nous verrons quels sont nos résultats ! Je vais voir si je peux négocier cela avec notre ministre de l'Action et des comptes publics…

Madame Rilhac, nous travaillons quotidiennement avec l'outre-mer et lui consacrons chaque jour des tranches de radio. Les radios diffusées outre-mer travaillent pour nous, nous avons des liens étroits avec elles et elles interviennent dans nos journaux quand il se passe quelque chose d'important. S'agissant de la télévision, nous n'avons aucun correspondant en France, ni dans l'hexagone, ni en outre-mer. Un accord passé avec France Télévisions nous donne accès à tous les sujets du groupe, notamment ceux qui concernent les outre-mer. Nous avons un programme intitulé « Une semaine en France », dans lequel il nous arrive de reprendre des sujets relatifs à l'outre-mer, mais nous voudrions aussi développer un programme spécifique, que nous appellerions « Une semaine dans les outre-mer », avec des dossiers thématiques sur l'économie, la culture, le développement durable, les initiatives locales, etc. Nous avons commencé à y travailler : nous n'avons pas de budget à consacrer à ce projet, mais nous avons des idées de sponsors et de parrainages. Si nous arrivons à boucler notre plan de financement en travaillant avec des gens venus, par exemple, de France Ô, nous devrions pouvoir diffuser ce programme dès 2020. Nous ne sommes plus sur la TNT, mais nous sommes très présents outre-mer, puisque nous couvrons tous les foyers câblés. De plus, nous sommes diffusés sur Franceinfo la nuit – mais c'est le jour dans les outre-mer.

Madame Mörch, vous m'avez interrogée sur les moyens de lutter contre les fausses images et les stéréotypes. J'ai déjà évoqué l'émission « Pas 2 quartier », qui est diffusée sur Franceinfo, et je répète que nous pourrions développer des projets avec France Télévisions, au sein de sa fondation.

Monsieur Le Bohec, je salue le fait qu'un homme se soit spécialement déplacé, comme vous l'avez fait, pour évoquer la question de l'émancipation des femmes. Il est essentiel qu'il y ait des femmes dirigeantes. Lorsqu'il n'y a plus de femmes au sommet, la dynamique est cassée – mes collègues Delphine Ernotte, Sibyle Veil et Véronique Cayla font très attention à cela, elles aussi. Il faut commencer par faire en sorte que le comité exécutif soit paritaire. Quand certains posent la question du vivier, on leur répond que c'est une bonne blague et qu'on doit bien pouvoir trouver autant de femmes incompétentes que d'hommes incompétents – selon les bons mots d'un élu.

À FMM, Les femmes représentent désormais 50 % des effectifs et sont de plus en plus nombreuses dans des fonctions d'encadrement – 44 % – du fait d'une politique volontariste. Elles sont payées autant que les hommes. Si l'on constate un petit écart de rémunération, c'est parce que les hommes ont un peu plus d'ancienneté et parce que nombre de femmes sont employées à mi-temps, et non du fait d'une inégalité salariale. Nous sommes très militants à l'antenne, parce que nous ne supportons pas ce que nous voyons dans le monde. Je parlais tout à l'heure des féminicides : neuf femmes sont tuées chaque jour au Mexique. En Amérique latine, le féminicide est un sport et il est naturel de battre les femmes. C'est pour cette raison que notre chaîne France 24 a un immense succès auprès des femmes : elles représentent 55 % de son audience, ce qui est rare pour une chaîne d'information. À l'antenne, nous nous battons contre ces violences, où qu'elles aient lieu dans le monde, et contre l'homophobie et les discriminations.

Nous avons 49 % de femmes à l'écran et nous devons continuer dans cette voie. La priorité, c'est d'augmenter le nombre d'expertes : RFI a franchi, en 2018, la barre des 33 % d'expertes, que l'on considère comme un seuil symbolique. Dès lors qu'il y a plus d'un tiers de femmes sur un plateau, cela casse l'idée selon laquelle elles expriment un point de vue sexué, qu'elles parlent en tant que femmes. Il faut que nous ayons davantage d'expertes éclairées, capables d'exprimer un discours universel. Sur France 24, nous n'avons encore que 27 % d'expertes, parce que la couverture des guerres et du terrorisme est encore dominée par les hommes. S'agissant du monde politique, vous êtes en train de nous montrer, mesdames, qu'il n'y a pas de fatalité et que des avancées sont possibles. Au total, je répète que nous avons 49 % de femmes à l'écran, et l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui a fait une enquête sur plusieurs années, a estimé que France 24 et RFI étaient parmi les meilleures chaînes de ce point de vue. Je conclurai là-dessus, et je me rends compte, monsieur le président, que mon temps de parole est écoulé depuis longtemps.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.