Intervention de Edouard Philippe

Séance en hémicycle du mardi 1er octobre 2019 à 15h00
Hommage au président jacques chirac

Edouard Philippe, Premier ministre :

Pour beaucoup, il fut un chef, un compagnon, un ami, pour d'autres un adversaire. Mais, au-delà des affiliations et des convictions partisanes, il me semble que nous pouvons tous saluer aujourd'hui l'engagement passionné d'un homme pour son pays. C'est cet engagement passionné qui lui avait gagné le coeur de nos concitoyens. C'est cet engagement qui lui donne aujourd'hui sa place dans l'histoire.

Jacques Chirac fut d'abord un grand parlementaire, qui siégea ici-même, pendant dix-sept ans sur les bancs des députés et pendant onze ans sur ceux du gouvernement. Neuf fois député, celui qu'on surnomma un jour « le samouraï de Corrèze » sut incarner cet équilibre entre son petit pays, la Corrèze, et sa grande nation, la France, qu'il aimait d'un amour également exigeant et généreux. La Corrèze et la France, en retour, lui donnèrent ses racines et son authenticité.

Pour rester fidèle à ce qu'il croyait juste, Jacques Chirac ne craignit jamais de se confronter ni à ses oppositions ni même, parfois, à sa propre famille politique. En 1974, avec Simone Veil, il s'engagea en faveur de l'IVG. En 1981, il fut l'un des rares députés de droite à voter pour l'abolition de la peine de mort.

Sur ces questions fondamentales, de la vie et de la mort, de la maladie et du handicap, il connaissait ses ports d'attache, ceux qu'on ne perd jamais de vue, même quand il faut temporairement changer son cap parce que des éléments contraires grossissent à l'horizon. Ses ports d'attache, c'étaient les droits de l'homme, l'attention aux plus vulnérables, dont la souffrance le révoltait. Ses grandes lois de 1975, de 1987 et de 2005 ont transformé notre regard sur les personnes en situation de handicap et commencé à faciliter leur quotidien. Ceux qui portent une part du malheur du monde l'arrêtaient, et le mettaient en action. Le cancer, le sida, la sécurité routière furent des priorités qu'il décida nationales.

Intransigeant sur les droits de l'homme, il fut aussi l'un des pionniers de la prise de conscience écologique. On lui doit, et on s'en souvient, de grands discours en la matière, mais on lui doit aussi, et on s'en souvient moins, les bases de notre droit de l'environnement avec les lois de 1975 et 1976, puis, en 2005, la Charte de l'environnement.

Homme de parti, chef de file de la majorité et de l'opposition, Jacques Chirac contribua inlassablement à la stabilité de nos institutions. Premier ministre, il eut à définir les premières règles de la cohabitation avec le président Mitterrand. Président, il eut le souci de moderniser la Ve République, avec la grande réforme constitutionnelle de 1995, qui élargit l'application du référendum et donna aux assemblées les moyens d'exercer, dans une session unique, leur mission de contrôle du gouvernement, puis, en 2000, avec l'instauration du quinquennat présidentiel.

C'était un réformateur, parfois contrarié, car toujours soucieux des équilibres. Mais sa vision portait loin, et portait juste. Cet homme pressé, mesdames et messieurs les députés, avait l'intelligence du temps long. C'est ce qui lui permit, pendant ses douze ans de mandat présidentiel, d'affirmer la place d'une France souveraine au sein d'une Europe réconciliée.

Comme ceux qui l'avaient précédé, Charles de Gaulle et Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, il était un bâtisseur de l'Europe, convaincu que la France ne pouvait envisager un horizon serein dans le repli et l'isolement. Le président Chirac était bien trop conscient des périls de l'histoire pour jouer le rôle du pacifiste béat. Il voulait que la France soit forte sur la scène internationale, grâce notamment à sa puissance militaire. C'est ce qui l'avait conduit à supprimer la conscription universelle, pour former une armée professionnelle, capable de se projeter sur tous les théâtres d'opération. C'est ce qui l'avait conduit à reprendre les essais nucléaires. C'est ce qui l'avait conduit à refuser les horreurs perpétrées en Bosnie-Herzégovine. Les accords de Dayton firent honneur à la France.

Jacques Chirac s'inscrivit dans la lignée des présidents de la République qui surent nous rendre fiers d'être Français, fiers de partir combattre pour nos valeurs, à l'autre bout du monde, ou fiers de retenir les armes, quand elles menacent la vérité et la justice.

Face aux complexités d'un monde où le sens, parfois, se dérobe, quand les conflits ou la maladie désunissent, il aimait contempler les lignes très pures d'un masque africain ou d'une statuette précolombienne. Il nous a légué le musée des Arts premiers, où l'humanité nous présente l'infinie diversité d'altérités qui nous intriguent et nous rassemblent.

Il était devenu – il ne l'avait pas toujours été – la personnalité politique préférée des Français. Son style, c'était celui d'un homme politique aux multiples facettes, d'un combattant dur, mais aussi celui d'un homme sincère, sincèrement amoureux de son pays et de ses concitoyens, un homme accessible, proche des gens, Français parmi les Français.

Aujourd'hui, mesdames et messieurs, en un dernier hommage, les Français expriment une tristesse et une nostalgie qui pourraient évoquer ces vers de Saint-John Perse, dont on sait que Jacques Chirac était un grand lecteur :

« Ainsi parlant et discourant, ils établissent son renom. Et d'autres voix s'élèvent sur son compte :

« ... Homme très simple parmi nous ; le plus secret dans ses desseins ; dur à soi-même, et se taisant, et ne concluant pas de paix avec soi-même, mais pressant,

« errant aux salles de chaux vive, et fomentant au plus haut point de l'âme une haute querelle... À l'aube s'apaisant, et sobre, saisissant aux naseaux une invisible bête frémissante... Bientôt peut-être, les mains libres, s'avançant dans le jour au parfum de viscères, et nourrissant ses pensées claires au petit-lait du jour...

« ... Et ce soir cheminant en lieux vastes et nus...

Bouche close à jamais sur la feuille de l'âme ! »

Ce poème, mesdames et messieurs les députés, s'intitule « Amitié du prince ». Jacques Chirac n'était pas prince. Il était président, président de la République française, et il nous a donné son amitié, à tous, qui que nous soyons. Et nous lui rendons, aujourd'hui, notre très haute considération.

2 commentaires :

Le 03/10/2019 à 13:15, Laïc1 a dit :

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"Jacques Chirac s'inscrivit dans la lignée des présidents de la République qui surent nous rendre fiers d'être Français,"

On se sent très fiers d'être français lorsqu'on vous dit que l'organisateur du Vel d'hiv, c'est vous, que le déporteur d'enfant juifs, c'est encore vous. Merci Chirac, pour ce moment de bravoure oratoire qui cherche à culpabiliser l'ensemble des Français de crimes qu'ils n'ont commis. S'il se sentait responsable et coupable de ces déportations, c'était son problème, il n'avait pas à faire de son cas particulier une généralité.

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Le 23/11/2019 à 14:22, Français du Nord a dit :

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Bel hommage rendu pas les représentant de la Nation !

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