Intervention de François Héran

Réunion du mardi 17 septembre 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire migrations et sociétés :

C'est une question intéressante.

Tous les migrants pensent qu'ils vont rester pour un temps, puis repartiront. Pendant ce temps, les enfants grandissent et les enfants ont une particularité : ils s'enracinent dans un milieu. Ensuite, il n'est pas facile de les rapatrier.

Nous avons des exemples très intéressants pour cela. Je pense aux quatre-vingts migrants turcs qui avaient été interrogés par Roger Establet. C'étaient des migrants des années 1970 qui étaient retournés en Turquie. Une partie non négligeable de ces migrants turcs a expliqué : « Mes enfants sont en train de devenir français. L'intégration fonctionne trop bien. Je ne voulais pas que mes enfants deviennent français. Je voulais qu'ils restent des Turcs et des musulmans. » Ils ont alors décidé de rentrer en Turquie, où leurs enfants ont découvert un milieu scolaire où il y avait encore des châtiments corporels et qui fonctionnait très mal. C'était au début des années 1980 et c'était un véritable désastre pour ces enfants de devoir s'insérer dans un système scolaire qu'ils n'avaient pas connu.

Le problème, ce sont les enfants. Il se trouve que le migrant n'est pas simplement une force de travail. C'est également quelqu'un qui appartient à cette entité très étrange qui a ses propres lois : la famille. Nous sommes bien obligés d'en tenir compte.

Quelques régimes migratoires ont interdit la migration familiale, mais ils sont rares. C'est le cas des pays du Golfe. Est-ce un modèle ? Un autre cas est de plus en plus étudié, notamment par les chercheurs allemands. L'Allemagne de l'Est, qui était de loin le pays communiste qui recevait le plus de migrants, surtout vers la fin, interdisait strictement le regroupement familial. Si une femme immigrée tombait enceinte, il fallait, soit qu'elle avorte, soit qu'elle reparte.

L'interdiction du regroupement familial serait contraire à l'État de droit, ce qui ne signifie pas qu'il faille exclure les systèmes que vous préconisez. Il faudrait miser de façon beaucoup plus ouverte sur la capacité « transnationale » des familles. Dans les milieux bourgeois, mais également dans les milieux populaires, nous avons des quantités d'exemples de familles qui sont totalement capables de s'intégrer dans deux sociétés à la fois. L'idée que la citoyenneté unique et exclusive est la seule façon de s'enraciner dans la société est dépassée.

Je voudrais revenir sur le débat « argument de la diversité » versus « argument du droit ». C'est une affaire de préférence personnelle de savoir s'il vaut mieux vivre dans un monde divers ou un milieu homogène. Je prends toujours l'exemple de l'orchestre de Vienne qui, pendant des décennies et des décennies, était exclusivement masculin, ce qui me faisait rager. L'argument pour engager des femmes dans les orchestres n'est pas qu'elles apportent de la diversité, mais qu'elles doivent avoir le droit d'y exercer leur art. C'est un argument de droit. Il est impossible de démontrer qu'avant le recrutement de femmes, l'orchestre de Vienne était moins bon ou au contraire meilleur. Il n'y a pas vraiment d'étude probante sur l'avantage économique qu'apporterait la diversité des origines de salariés. Bien sûr, L'Oréal recrute des Asiatiques pour percer sur les marchés asiatiques, mais ce n'est pas de la diversité, c'est du compartimentage, c'est mettre le même en face du même. Indépendamment de ces cas, il n'y a pas de démonstration empirique solide que la diversité serait vraiment profitable.

Il faut donc passer à une toute autre argumentation qui est stable, ne dépend pas de la conjoncture économique : est-ce un droit ou non d'être traité de telle ou telle façon ?

Je suis d'accord pour le maintien de la convention de Genève. S'agissant des réinstallations, 240 000 personnes au Niger ont reçu un enregistrement de « réfugiable » par le HCR et la réinstallation va en concerner une infime minorité, même pas 1 %. Un certain nombre d'associations redoutent qu'une généralisation ne supplante le système traditionnel de la demande d'asile dans le pays d'asile. C'est cela, la convention de Genève.

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