Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du jeudi 3 octobre 2019 à 9h00
Coopération et intégration franco-allemandes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Le 22 septembre 1984, il y a tout juste trente-cinq ans, à Verdun, devant l'ossuaire de Douaumont, en hommage aux morts de 1914-1918, de manière imprévue, François Mitterrand et Helmut Kohl se sont pris la main. L'image inattendue de ces deux chefs d'État, unis dans le souvenir de guerres fratricides pour sceller une réconciliation et une amitié retrouvée, doit nous inciter à beaucoup d'humilité.

Nous devons comprendre que c'est ensemble que nous avancerons dans un monde en perpétuelle mutation, soumis aux menaces économiques, financières et sécuritaires. Ensemble, cela veut dire l'Allemagne et la France, à travers des traités de coopération comme celui dont il est proposé d'autoriser la ratification aujourd'hui, mais cela veut dire aussi une Europe forte, porteuse de valeurs, d'unité et d'avenir.

Le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer ont acté la réconciliation de nos deux pays en 1963. Le geste de François Mitterrand et de Helmut Kohl a ouvert l'ère de l'amitié. À nous de poursuivre l'engagement de ces illustres prédécesseurs. À nous de continuer à faire vivre ce réseau sans précédent de relations bilatérales entre les sociétés civiles de nos deux pays et entre leurs pouvoirs publics, à tous les niveaux.

Face aux défis auxquels la France et l'Allemagne, mais aussi l'Europe, sont confrontés au XXIe siècle, il est nécessaire de faire converger nos économies et nos modèles sociaux, de favoriser la diversité culturelle et de rapprocher nos sociétés et nos citoyens. Ce n'est pas un voeu pieux, mais une ambition qui peut devenir réalité si nous ratifions ce traité et le mettons rapidement en oeuvre. C'est la raison pour laquelle, vous l'aurez compris, le groupe Libertés et territoires est favorable à ce projet de loi autorisant la ratification du traité d'Aix-la-Chapelle.

Ce renforcement mutuel est d'autant plus nécessaire qu'il rejaillira sur l'Europe, au moment où elle se fragilise. Autour d'elle se dessinent des blocs de plus en plus puissants : la Chine organise son expansion avec les routes de la soie ; l'Inde progresse de manière constante dans la maîtrise des nouvelles technologies ; la Russie tente de reconquérir des postes avancés à l'Est. Je n'oublie pas les États-Unis et leur retour au protectionnisme, qu'il soit douanier ou érigé en mur de la honte.

Pour mettre en oeuvre ce traité, une liste de quinze projets prioritaires a été établie. Parmi eux figure notamment le renforcement de la coopération bilatérale de haut niveau en matière d'énergie et de climat. Le groupe Libertés et territoires se réjouit qu'une telle orientation ait été retenue étant donné l'urgence de la situation. En octobre 2017, le directeur du Programme des Nations unies pour l'environnement a déclaré qu'il existait « un écart catastrophique » entre les engagements pris par les États pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et les efforts qui sont nécessaires pour respecter l'accord de Paris. Cette mise en garde nous oblige, et nous devons être les premiers en Europe à engager une bataille décisive, salvatrice pour l'humanité.

Nous devons nous donner les moyens de réaliser cette transition énergétique. Nous avons pour nous l'expérience du passé ; nous avons déjà su trouver en commun les ressources nécessaires pour aller de l'avant. Rappelons-nous : le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl n'ont-ils pas su, en six mois, créer une banque pour financer la transition des pays sous influence soviétique après la chute du mur de Berlin ? N'avons-nous pas su investir rapidement et radicalement dans la recherche pour inventer Airbus et Ariane ? Et nous disposons déjà de la Banque européenne d'investissement.

Alors pourquoi ne pas créer une banque européenne du climat et remettre la finance au service du bien commun, en scellant un pacte européen climat-emploi dont nos deux pays seraient les moteurs ? La France et l'Allemagne seraient-elles prêtes à prendre une telle initiative, à montrer la voie à l'Europe ?

Le couple franco-allemand devra surmonter un autre obstacle : le Brexit. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne va accroître le poids de nos deux pays : ils représenteront près de 50 % du PIB de la zone euro et près d'un tiers de la population de l'Union. Faisons de ce changement de situation un atout pour l'Europe, grâce au dynamisme du couple franco-allemand.

Par ailleurs, alors que le monde d'aujourd'hui est de plus en plus complexe, notamment d'un point de vue sécuritaire, nous ne devons pas oublier les conséquences de nos ventes d'armes sur les désordres du monde. Selon un rapport publié par le ministère des armées, nos ventes d'armes ont augmenté de 30 % en 2018 pour atteindre 9,1 milliards d'euros.

L'article 4 du traité dispose que la France et l'Allemagne « élaboreront une approche commune en matière d'exportation d'armements en ce qui concerne les projets conjoints ». Cependant, il semble que nos deux pays aient des approches différentes en matière d'exportation d'armements. Ainsi, l'Allemagne a suspendu ses exportations d'armes vers les pays participant directement au conflit au Yémen, tandis que la France semble moins vertueuse en la matière. C'est pourquoi je souhaite que ce traité, qui prévoit des projets conjoints en matière de vente d'armes, nous conduise à plus de prudence et de respect des droits de l'homme.

Dans un autre domaine, je souhaite souligner notre soutien à la création du fonds citoyen commun, destiné à appuyer les projets conjoints d'acteurs de la société civile, notamment les initiatives citoyennes et les jumelages de communes. En commission, la rapporteure nous a assuré avoir obtenu du Quai d'Orsay la certitude qu'il y aurait bien, dans le prochain projet de loi de finances, une ligne budgétaire pour ce fonds citoyen institué par le traité. Nous serons extrêmement vigilants sur ce point, car ce traité ne doit pas être un catalogue de bonnes intentions ; il doit déboucher sur des mesures concrètes et financées.

Ce fonds citoyen est important : il facilitera l'aboutissement de petits projets portés par les citoyens français et allemands dans une démarche de coopération locale renforcée. Il faut faire confiance aux territoires et à ceux qui y vivent, à leur capacité d'initiative, à leur bon sens, à leur intelligence du coeur. Toutes les idées issues du terrain qui pourront se réaliser grâce à cette coopération décentralisée seront comme une moisson que l'on récolte pour le bien commun de nos deux pays.

Cet accord bilatéral ouvre des chantiers immenses et porteurs d'avenir. Notre détermination doit être à la hauteur de cette immensité. En autorisant la ratification de ce traité, nous prenons l'engagement de poursuivre « la grande entreprise, ambitieuse, pacifique et fraternelle » dont parlait Jacques Chirac le 3 octobre 2000, il y a tout juste dix-neuf ans, dans un discours prononcé à Dresde pour l'anniversaire de la réunification de l'Allemagne.

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