Intervention de Fabrice Leggeri

Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 11h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) :

Je vais commencer par la question sur la répartition des 16 000 migrants et celle qui a suivi sur les droits fondamentaux. Les 16 000 migrants qui ont été sauvés en mer en 2019 par l'Agence ont été débarqués conformément à notre plan opérationnel dans les pays hôtes des opérations, à savoir la Grèce, l'Italie et l'Espagne.

Il n'y a pas eu de discussion, parce que, tout simplement, l'Agence est un acteur de droit public qui travaille avec les gouvernements. Elle se conforme aux règles officielles et à celles qui s'appliquent notamment en fonction du droit de la mer, notamment sur la manière de conduire des opérations de secours en mer. À aucun moment nous n'avons eu des difficultés à trouver un port sûr puisque notre mandat est également de contribuer aux sauvetages en mer.

En ce qui concerne les droits fondamentaux et les rapports qui ont été établis par l'officier des droits fondamentaux de l'Agence, il a été question d'informations soumises par des ONG, par différents acteurs et parfois des témoignages individuels de migrants qui ont été auditionnés, mais en d'autres endroits que dans les lieux qui avaient été incriminés. Il s'agit des frontières hongroises – la Hongrie a été mise en cause dans ces rapports et dans une campagne de presse menée au début du mois d'août –, grecques et croates.

L'agence n'est pas présente aux frontières terrestres entre la Grèce et la Turquie et entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. En Hongrie, elle dispose de huit personnes qui couvrent 350 000 kilomètres, essentiellement sur les frontières officielles. Elles n'ont pas en charge la surveillance de la frontière verte.

Il est très important de comprendre que ces rapports font état de témoignages directs ou indirects mais ne font absolument pas état de violations des droits fondamentaux qui se seraient produites dans le cadre de nos opérations. Il s'agit d'un élément très important pour contribuer à la bonne information des parlementaires et du public en général.

Nous avons, en 2018, selon notre bilan annuel, contribué à l'arrestation d'environ un millier de trafiquants ou de passeurs. Malheureusement, je ne suis pas toujours en mesure de tirer le bilan des suites judiciaires qui ont pu être données. Notre mission consiste bien à transmettre ces dossiers aux autorités qui vont effectuer les enquêtes.

En ce qui concerne les réseaux de prostitution, les enquêtes sont menées par les services de police à l'intérieur des États. Cependant, nous sommes tout à fait sensibles au fait qu'il y ait des personnes vulnérables et des victimes sur ces moyens de transport qui sont parfois indignes. Notre préoccupation est de faire en sorte qu'il y ait une attention particulière aux personnes vulnérables. Cela fait aussi partie de notre manière de faire en sorte que les droits fondamentaux soient respectés dans le cadre de nos opérations. Les femmes sont souvent victimes à des fins de prostitution et peuvent être instrumentalisées. Les enfants sont également dans des situations de grande détresse.

L'idée, en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, des hotspots ou des plateformes de débarquement était présente dans les conclusions du Conseil européen de juin 2018. Cette idée est de nouveau présente dans la déclaration commune faite par la France, l'Allemagne, la présidence finlandaise, Malte et l'Italie il y a deux jours. Il s'agit d'une chose qui est évidemment délicate et qui doit appeler notre attention afin de ne pas déstabiliser les pays de transit et pays tiers qui font eux aussi face à des vagues migratoires qui peuvent parfois devenir très difficiles à gérer chez eux.

Dans le Sahel, il n'y a pour le moment pas de hotspots ou de lieux dans lesquels seraient examinées les demandes d'asile. L'hésitation tient d'abord au fait que peu de pays veulent les accueillir. Il faut aussi veiller à ce que des pays, par exemple le Niger, coopèrent extrêmement bien avec l'Union européenne. Dans le même temps, nous ne pouvons pas installer précipitamment une plateforme qui pourrait déstabiliser ces pays.

L'impact du Brexit pour Frontex est atténué par le fait que le Royaume-Uni n'est pas membre de Schengen. L'Agence ne compte pas réellement de contributions britanniques.

En revanche, j'anticipe deux impacts. D'abord, si les Britanniques sont soumis à ETIAS, il y aura des dizaines de millions de demandes supplémentaires qui vont intervenir au moment du lancement du système. Il s'agit d'un impact très fort.

De plus, à la frontière physique de l'Eurostar, il est possible que la France, peut-être la Belgique et les Pays-Bas, demandent le soutien de Frontex et du corps européen. Lorsqu'il s'agira d'une frontière extérieure, lorsque le Royaume-Uni aura quitté l'Union européenne, Frontex aura à répondre aux demandes de ces pays si elles sont formulées.

Les drones sont des matériels à vocation civile. Ils ont été testés par nos équipes dans des conditions réelles opérationnelles, notamment en Grèce. Nous avons conclu qu'ils étaient tout à fait pertinents pour effectuer de la surveillance maritime à des fins civiles, avec, dans certains cas, des secours en mer. Selon sa doctrine d'emploi, à partir du moment où l'Agence détecte une situation de détresse en mer, elle transfère l'information aux centres de coordination du secours maritime présents dans la région.

Dans certaines régions, il peut y avoir potentiellement plusieurs centres de coordination maritime. C'est notamment le cas de la Méditerranée centrale. Dans les situations où l'autre rive de la Méditerranée est plus proche, pour sauver des vies, la seule solution opérationnelle est de transmettre l'information à d'autres centres qui ne sont pas dans l'Union européenne. La pratique de l'agence Frontex est de toujours veiller à ce que l'information arrive et soit communiquée aux centres de coordination de secours maritime du côté européen, en l'occurrence l'Italie et Malte en méditerranée centrale, l'Espagne et la Grèce respectivement dans les différentes zones.

En ce qui concerne la situation en Libye, la coordination avec l'opération EUNAVFOR MED Sophia a commencé dès le début de l'opération, sous un angle d'échanges d'analyses des risques et d'échanges d'officiers de liaison. Nous accueillons dans notre centre de situation à Varsovie un officier de liaison déployé par EUNAVFOR MED. Un officier de liaison était également présent à Rome. Il reprendra sa mission lorsque l'opération EUNAVFOR MED Sophia aura de nouveau des bateaux à la mer.

Les rapports de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) font état de la situation réservée aux migrants en Libye. Évidemment, ce sont des conditions qui sont préoccupantes, comme cela a été souligné aussi par les autorités de l'Union européenne et de ses États membres.

Il y a une vraie prise de conscience sur l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il y a également besoin d'un véritable investissement sur les moyens, notamment de modernisation de l'administration en charge de l'éloignement des étrangers. Dans la plupart des États membres, j'observe que ce ne sont pas toujours des services qui ont été dotés avec les meilleurs moyens et qui travaillent, parfois, très isolément.

Nous sommes également en train de mettre en place des possibilités d'échanges d'informations au niveau européen pour informer, par exemple, que des possibilités d'éloignement existent, qu'un vol retour se prépare, ou qu'un nombre déterminé de ressortissants de certains pays est prêt à être éloigné dans un futur proche. À ce moment-là, nous pouvons organiser, au niveau européen, les retours en travaillant un peu moins à l'aveugle et un peu moins à tâtons.

Le risque pour des personnes éloignées qui reviennent dans l'Union européenne a été prévu par le législateur européen. Sous peu, dans le système d'information Schengen, les autorités nationales auront l'obligation de signaler les décisions d'éloignement. Si une personne éloignée demande un visa dans un consulat Schengen ou si une personne éloignée se présente à la frontière, et peut-être demain demande une autorisation ETIAS, nous saurons immédiatement que cette personne a déjà fait l'objet d'un éloignement par un État de l'Union européenne. La question dépasse le cadre des opérations de Frontex et se pose à l'échelle de l'Union européenne, puisqu'il s'agit du seul niveau pertinent dans un espace de libre circulation, ne l'oublions pas. C'est donc à cette échelle qu'il faut gérer la problématique de personnes qui reviendraient.

J'estime qu'aujourd'hui le champ des missions de l'Agence est très important. Son mandat a déjà été étendu en 2016 avec la création du corps européen qui va entrer en vigueur. Je pense qu'il est important de stabiliser le champ des missions de l'Agence de façon à ce qu'elle puisse absorber la croissance de ses ressources en termes budgétaires. Nous devons pouvoir construire des modèles opérationnels qui soient efficaces du point de vue de l'Agence et qui puissent répondre aussi aux besoins des États.

Je préconise d'attendre la prochaine évaluation qui est prévue en 2023-2024. Elle portera sur la mise en oeuvre du corps européen et du nouveau mandat. Il est très important de gérer la croissance de l'Agence en termes de budget et de ressources, mais aussi en termes d'effectifs. Il faut veiller à mettre en place quelque chose qui soit solide, durable, qui fonctionne de façon compatible avec les principes de bonne administration et qui soit aussi un élément qui aide et qui soutienne les États membres. Il ne faut pas que ce soit un élément d'incertitude qui viendrait déstabiliser le fonctionnement des forces ou des administrations nationales.

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