Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Cet exercice, classique en période de rentrée, est absolument indispensable ; il nécessite franchise et mesure. Les armées sont un ensemble complexe, singulier – j'y reviendrai – et souvent mal connu car cet univers est devenu quelque peu étranger aux Français. En effet, si la professionnalisation a amélioré la qualité opérationnelle et professionnelle de nos armées, elle les a également, hélas ! éloignées de nos compatriotes. Je vous parlerai donc clairement et franchement et je vous saurai gré de la qualité de votre écoute ainsi que de la discrétion dont vous saurez faire preuve concernant nos échanges, notamment lorsque je répondrai à vos questions, car je m'efforcerai de le faire en étant le plus direct possible.

Cet exercice est important parce que le projet de loi de finances pour 2018 est le dernier de la loi de programmation militaire (LPM) qui s'achève, avec un an d'avance, et que les travaux de la prochaine LPM, que nous avons lancés en tuilage avec ceux de la revue stratégique, appellent déjà toute notre attention.

La relation de confiance que nous allons nouer est, pour les armées, un atout majeur. Nous avons besoin de l'appui et de la compréhension du Parlement pour qu'il accompagne l'effort de redressement de nos capacités militaires. En effet, l'inflexion décidée par le président de la République manifeste très clairement la volonté de remonter en puissance et révèle une prise de conscience de la nécessité, pour la France, de conserver la garde haute et d'assurer la crédibilité de ses armées. L'ambition politique claire qui a été ainsi affirmée s'accorde, par ailleurs, avec la volonté d'assainir la dépense publique. Je mesure donc pleinement l'effort particulier qui sera consenti en faveur des armées. Cet effort, qui les consolidera et confortera leur place au sein de la Nation, me paraît non seulement nécessaire mais urgent.

Je n'entrerai pas dans le détail chiffré du projet de loi, mais je vous donnerai les éléments que j'ai aujourd'hui en ma possession. Plus importants me semblent être les enjeux du projet de loi de finances pour 2018, qui doit impulser la dynamique nouvelle que j'évoquais, laquelle doit assurer la cohérence la plus exacte possible entre les menaces, les ambitions et les moyens, et mettre un terme au déséquilibre actuel, qui use hommes et matériels.

Dans un premier temps, je vous rappellerai le cadre de notre action et vous exposerai, dans ses grandes lignes, mon analyse du contexte sécuritaire, avant de vous donner un rapide aperçu des opérations en cours. Puis j'aborderai le PLF 2018, en insistant sur ses caractéristiques essentielles. Enfin, j'évoquerai mes principaux sujets d'attention, au premier rang desquels la loi de programmation militaire 2019-2025, que nous commençons à bâtir.

Comme l'a dit le président de la République dans son discours d'ouverture de la conférence des ambassadeurs, la France se trouve aujourd'hui mise au défi, je cite, « de tenir son rang dans un ordre mondial profondément bousculé ». La force régulatrice des États et celle des pôles de sécurité collective sont contestées. Les foyers de tension se multiplient à notre périphérie et singulièrement sur les flancs sud et sud-est de notre continent. Les lignes qui, depuis 1989, dessinaient les contours du monde se sont brouillées sous l'effet combiné de trois facteurs principaux.

Le premier d'entre eux est la résurgence du recours à la violence comme mode de régulation des conflits, le retour de la guerre comme horizon possible. Jusqu'à très récemment, la communauté des pays occidentaux pensait être parvenue à délégitimer la violence. Cette « délégitimation », qui s'appuyait notamment sur la primauté reconnue à l'Organisation des Nations unies et sur un équilibre de fait entre les puissances nucléaires, nous l'avions fait admettre, bon gré mal gré, à l'ensemble des pays du monde. Or, nous sommes aujourd'hui obligés de constater que cette vision idéale des rapports de puissance entre les États était en réalité irénique et qu'elle était conçue, pensée et ressentie par un certain nombre de pays comme un déni de recours à la violence, non sans effet sur la conception même de la défense : dès lors que l'on réfute la violence comme un recours légitime, on s'enferme dans la certitude que l'on n'aura plus soi-même à y recourir.

Or, nous avons face à nous des compétiteurs stratégiques toujours plus nombreux qui considèrent que le recours à la violence est consubstantiel à l'ordre du monde. En outre, ces compétiteurs trouvent leurs prétentions facilitées par l'accessibilité technologique, qui leur permet d'acquérir et de maîtriser des systèmes d'armes et des modes d'action à fort pouvoir nivelant. Le président de la République dresse le même constat lorsqu'il déclare, le 19 septembre dernier, devant l'Assemblée générale des Nations unies, que « le multilatéralisme peine à faire face au défi de la prolifération nucléaire, ne parvient pas à conjurer des menaces que nous pensions à jamais révolues ». Il nous faut donc être conscients de cette compétition de plus en plus vive et veiller aux perspectives qu'elle nous réserve.

À ce premier facteur de déstabilisation, fondamental, s'ajoute un deuxième facteur : le fait qu'une large partie du monde demeure à l'écart du mouvement de rééquilibrage de la puissance et de l'économie. Il s'agit, pour l'essentiel, du continent africain. Cette marginalisation a des causes que nous identifions bien : l'explosion démographique dans un très grand nombre de pays, les tensions climatiques, environnementales ou hydriques, ainsi que la pression foncière. Elles contribuent à créer une spirale de la pauvreté. Ce constat est, du reste, partagé par l'Agence française du développement, qui consacre désormais plus de 50 % de son activité à l'Afrique.

Le cumul de ces handicaps favorise l'instabilité, l'insécurité et la pression migratoire qui s'exerce avec toujours plus de force, en particulier sur le continent européen.

Je ne vous l'apprends pas – en tout cas, pour moi, c'est une conviction profonde –, nous partageons avec l'Afrique une part d'histoire commune et une communauté de destin. Nous avons conscience de nos intérêts partagés et de nos devoirs vis-à-vis d'un espace et d'une population avec lesquels nous avons partie liée.

Au-delà de l'Afrique, et même si les déterminants sont quelque peu différents, le Proche et le Moyen-Orient sont également, à nos portes, en proie à des logiques d'affrontement extrêmement inquiétantes qui sont loin d'être exclusivement d'ordre religieux.

Le troisième et dernier facteur de déstabilisation du monde, ce sont les agissements désespérés de la frange la plus extrême et radicale de l'islam. La fuite en avant d'une petite minorité qui s'estime directement menacée par les conceptions sociétales du monde contemporain conduit à l'explosion du fait terroriste.

Face à cette situation, la meilleure réponse est celle de la force, entendue dans son sens le plus large. La force militaire, bien sûr, mais pas seulement. Je pense aussi à la force de nos convictions et de nos valeurs, à celle de notre droit et de nos règles, et à celle de notre détermination à agir collectivement sur toutes les racines du mal qui ronge certaines parties du monde et menace nos concitoyens. Nous n'avons plus le choix, notamment à cause de la proximité géographique de cette menace.

Aujourd'hui, l'engagement s'impose à nous comme à toute nation libre qui souhaite le rester. Cet engagement peut prendre plusieurs formes. En premier lieu, le risque d'une confrontation entre États-puissances ne peut être raisonnablement écarté. Ce type de confrontation requiert évidemment la mobilisation de l'appareil industriel ainsi qu'une organisation institutionnelle et sociale structurée autour du fait guerrier. Des États semblent, à certains égards, prêts à se lancer dans cette voie. Impensable il y a quelques années encore, cette menace doit être désormais prise en compte pour le dimensionnement de nos armées et la préparation de notre outil de défense.

Pour y faire face, nous devons être en mesure d'opposer une gamme complète de capacités, y compris au plus haut du spectre. Nous devons ainsi pouvoir disposer de notre dissuasion, de blindés, d'avions, de bâtiments, de systèmes d'information et de communication qui soient au standard de performance le plus élevé.

Nous devons également veiller à cultiver le plus haut degré d'interopérabilité avec les armées des pays amis et alliés et maîtriser ce qui fait le propre de ce type de guerre, c'est-à-dire l'aptitude à gérer une très grande complexité. Cette exigence structure nos armées en profondeur au plan technologique, industriel et doctrinal, mais également en termes de formation et d'entraînement.

À côté de ce risque de confrontation entre États, subsiste la menace terroriste, qui, sous un terme générique embrasse des réalités très différentes.

Tout d'abord, la menace terroriste s'exprime sur le territoire national ; elle est, à ce titre, un défi de sécurité intérieure et de protection des populations. La réponse à ce défi relève en priorité de la police et du pouvoir judiciaire, qui possèdent les moyens adaptés et peuvent s'appuyer sur un travail de renseignement spécifique. Vous savez cependant, et l'actualité nous le montre, que le recours à l'action militaire s'avère parfois nécessaire, en particulier lorsqu'il s'agit de s'opposer à des individus ou à des groupes d'individus qui, parce qu'ils recourent à des modes opératoires particuliers et ciblent des objectifs précis, ne sont plus de simples délinquants de droit commun mais des terroristes qu'il convient de neutraliser par des modes d'action spécifiques.

La menace terroriste doit être également traitée dans les zones refuge et les zones grises à partir desquelles elle se finance, se structure, se prépare, s'entraîne, agit. Je pense à une organisation comme Daech, capable de se structurer au point de donner naissance à un proto-État qui a pu contrôler un territoire entier, dispose de ressources économiques importantes et qui est capable de nous contraindre à un combat, certes déséquilibré, mais que nous ne pourrons mener qu'avec des forces aguerries.

Lorsque sur le territoire d'États faillis ou dans des zones grises, nous sommes confrontés à des groupes armés terroristes, mobiles et très légers, nous devons pouvoir compter sur la souplesse et la fulgurance des forces spéciales, un renseignement réactif et fiable et un appui aéroterrestre suffisant.

Enfin, la troisième hypothèse d'engagement correspond aux opérations de stabilisation, qui ont pour finalité de créer les conditions du retour à la paix.

Du point de vue militaire, cette stabilisation comprend plusieurs modes d'action qui vont de la prévention à la coercition. Nos armées doivent ainsi être capables à la fois de mener des opérations offensives pour lutter contre des mouvements insurrectionnels qui fragilisent les États et d'agir en appui et en accompagnement des forces locales, en cherchant à combiner au maximum les effets de ces interventions avec celles des acteurs du développement et de l'appui à la gouvernance. Pour conclure sur ce point, la revue stratégique que nous rendrons demain à la ministre des Armées et qui sera présentée le 13 octobre au président de la République soulignera cette complexité.

Dans cet environnement complexe, nos armées sont engagées à un niveau qui dépasse largement les contrats opérationnels du Livre blanc ; on estime que ce dépassement est de 30 % depuis maintenant une dizaine d'années.

Cet engagement passe d'abord par la dissuasion nucléaire. Strictement défensive, elle protège la France de toute agression d'origine étatique contre ses intérêts vitaux, d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la nature. C'est la première mission de nos armées et notre ultime assurance.

Nos armées sont également engagées à travers les postures permanentes. La posture permanente de sûreté aérienne qui garantit le respect de la souveraineté de la France dans son espace aérien. La posture permanente de sauvegarde maritime qui concourt directement à la protection des approches du territoire, dans un milieu où l'activité des États-puissances est croissante, sans omettre les flux liés aux migrations, aux trafics et au terrorisme. La posture de protection terrestre, enfin, qui a été renforcée à mesure que la menace sur notre territoire, en métropole et outre-mer, s'est faite plus pressante et plus directe.

Les armées sont ensuite engagées en opérations extérieures et intérieures, que je vais présenter rapidement. En ce qui concerne le Sahel, l'opération Barkhane est actuellement dans une phase importante d'appui à la montée en puissance de la force conjointe « G5 Sahel ».

Au Levant, la situation évolue de plus en plus rapidement, comme en témoignent l'accélération des combats et, surtout, l'effondrement de Daech, qui va se replier dans la moyenne vallée de l'Euphrate. J'ai, ce matin, une pensée particulière pour l'adjudant-chef Stéphane Grenier du 13e Régiment de dragons parachutistes et pour tous les hommes qui risquent quotidiennement leur vie là-bas, et sur tous les théâtres où nous sommes engagés.

S'agissant du territoire national, il convient de mentionner l'opération de secours des populations aux Antilles, qui se poursuit aujourd'hui. L'effectif engagé a atteint 1 600 hommes ; un bâtiment de projection et de commandement est encore présent aux Antilles et devrait rentrer à partir du 13 octobre. Nous avons par ailleurs lancé, notamment avec les Hollandais et les Britanniques, l'opération multinationale Albatros destinée à coordonner l'appui logistique de l'ensemble des secours. Il s'agit, là encore, d'une illustration de la capacité exceptionnelle de nos armées à réagir rapidement, en urgence et en complément des moyens interministériels.

Nous avons, avec cet exemple, un condensé de la plus-value apportée par les armées face à des situations exceptionnelles : capacité à intervenir massivement et en urgence, complémentarité des moyens terrestres, maritimes et aériens, capacité à agir en interministériel, interopérabilité avec les alliés et pertinence de nos dispositifs d'alerte et du pré positionnement de nos forces.

Concernant le volet « territoire national », je souhaite, également, vous dire quelques mots de l'évolution en cours de l'opération Sentinelle décidée par le président de la République. L'objectif de cette évolution est de gagner en efficacité en termes d'emploi des armées dans la lutte contre le terrorisme. La montée en puissance de la « nouvelle génération » de l'opération Sentinelle est en cohérence avec le processus de sortie de l'état d'urgence et l'entrée en vigueur de la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme. Avec la mise en place de trois échelons distincts, l'opération va gagner en souplesse. L'échelon de manoeuvre, qui vise à renforcer le dispositif par des renforts planifiés pour certains grands événements, va permettre d'engager, ponctuellement, davantage de forces qu'actuellement.

Afin que nos armées puissent conserver, sur chacun de ces fronts, un même niveau d'efficacité opérationnelle, nous devons leur garantir qu'elles disposeront des moyens nécessaires et suffisants. Cette cohérence entre les missions et les moyens relève de ma responsabilité de chef d'état-major des armées, en appui de la ministre des Armées dans l'élaboration du projet de loi de finances. Dans ce combat pour la cohérence, l'examen par le Parlement constitue l'ultime étape où des réorientations sont encore possibles et c'est pourquoi il est aussi important.

J'en viens au projet de loi de finances pour 2018 qui traduit la volonté du président de la République d'assurer la crédibilité de nos armées. Le budget va être porté à 34,2 milliards d'euros de crédits budgétaires, soit une augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2017. Cette progression est salutaire ; elle était indispensable et doit donc être saluée.

Avant d'aborder plus en détail le PLF pour 2018, je souhaiterais formuler trois remarques.

En premier lieu l'annulation de 850 millions d'euros de crédits. Décidée au mois de juillet dernier, elle fait partie de toute une série d'annulations qui ont concerné l'ensemble des ministères, dans un esprit de solidarité visant à redresser les comptes publics.

Elle se décompose, dans un premier temps, en mesure de trésorerie représentant la moitié de la somme considérée. Si ces provisions ne font pas défaut dans l'immédiat, il faudra cependant les reconstituer au cours des prochaines années, pour permettre aux structures internationales de pilotage des programmes en coopération, comme l'OCCAr (Organisme conjoint de coopération en matière d'armement) et la NAHEMA (North Atlantic Treaty Organization Helicopter Management Agency) d'assurer le paiement de nos factures à compter de 2019.

L'annulation de crédits comprend ensuite des mesures de décalage d'opérations d'armement. Ces mesures ont été prises avec le souci de ne pas atteindre l'efficacité opérationnelle des armées. Il s'agit également de ne céder en aucun cas sur l'impératif de protection que nous devons à nos soldats. Elles portent évidemment sur des opérations d'armement que nous pouvons reporter sans coûts relatifs aux dédits. Ainsi, l'accélération de la livraison d'armements légers d'infanterie, décidée dans le cadre des travaux d'actualisation de la programmation pour 2017 pour porter le total d'armes à livrer, en 2018 et en 2019, de 16 000 à 24 000, est décalée : nous reportons d'un an la livraison de 8 000 armements individuels du fantassin (AIF). De la même manière, la commande de 20 missiles Exocet mer-mer 40 (MM40 B3C), qui devait être passée en 2017 afin d'augmenter la dotation globale des frégates multi-missions (FREMM) et des frégates de défense aérienne – il s'agissait de revenir sur la réduction temporaire de capacités que nous avons consentie lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019 –, va être décalée d'un an ; ce report permet la réalisation d'une économie de 13 millions d'euros pour la période 2017-2018. Le troisième exemple concerne l'hélicoptère EC725 Caracal. Nous devions passer une commande cette année pour compenser la perte d'un Caracal de l'armée de l'air survenue fin 2014 au Burkina-Faso et porter la totalité du parc à 19 machines. Nous allons décaler cette commande d'une année en économisant ainsi 17 millions d'euros pour la période 2017-2018. J'insiste sur le fait que ces mesures, bien sûr, ne sont pas sans conséquences – un décalage est un décalage –. Cela dit, elles ne pèsent pas sur la conduite des engagements opérationnels en cours. Aucune de ces opérations d'armement n'est annulée ; elles sont, je le répète, décalées.

Après la question de l'annulation de 850 millions d'euros de crédits, le deuxième point important que j'entends aborder est celui concernant le surcoût des OPEX et des OPINT.

Avant toute autre chose, je tiens à réaffirmer, devant vous, mon attachement à la solidarité interministérielle. Ce principe vaut pour les annulations de crédits ; il doit valoir aussi pour les éventuels surcoûts OPEX et ce d'autant plus que les engagements s'imposent à nous. Il serait, par conséquent, illusoire de prétendre anticiper exactement le budget nécessaire à la conduite des opérations de l'année suivante. Pour autant, il est important de trouver un bon niveau de soclage afin de ne pas avoir à faire appel à une solidarité gouvernementale qui désorganiserait l'ensemble du budget de l'État, avec des conséquences négatives sur les budgets des autres ministères ; conséquences que nous dénonçons nous-mêmes. De ce point de vue, la clause de sauvegarde inscrite en LPM et prévoyant un financement interministériel pour couvrir les surcoûts OPEX au-delà de la provision prévue en LFI 2017, est un mécanisme vertueux : elle évite aux armées d'avoir à supporter les surcoûts des opérations en rognant, par exemple, sur les programmes d'armement, l'entretien programmé des matériels, la condition du personnel ou la préparation de l'avenir.

Nous sommes l'armée de la Nation et non l'armée du ministère des Armées. La clause de sauvegarde consacre le principe de contribution de la Nation tout entière à l'effort que suppose tout engagement militaire en opération, sous le contrôle du Parlement.

Pour en revenir à la fin de gestion 2017, restent à couvrir 352 millions d'euros de surcoûts OPEX et OPINT (hors surcoût de l'engagement des armées après le passage du cyclone Irma dans un esprit d'assistance et de solidarité nationale). Une prise en compte interministérielle seulement partielle des surcoûts OPEX et OPINT ne manquera pas d'avoir des effets d'éviction préjudiciables.

Le troisième et dernier point concerne le report de crédits : 700 millions d'euros de crédits ont été gelés en 2016 et reportés sur 2017. Ils sont toujours gelés aujourd'hui alors qu'ils sont nécessaires à la réalisation des équipements programmés. J'attends que ces crédits puissent être consommés avant l'entrée en vigueur de la prochaine LPM de façon à ne pas peser négativement sur le report de charges.

J'en viens à présent au projet de loi de finances pour 2018.

Ce texte est conforme à la LPM actualisée, augmentée des besoins reconnus par le conseil de défense d'avril 2016. Il consacre un effort supplémentaire pour la protection de nos forces à hauteur de 200 millions d'euros ainsi qu'un rebasage des surcoûts OPEX à hauteur 200 millions d'euros. J'observe que les trois priorités rappelées par la ministre des Armées sont consacrées par le texte.

La première consiste à soutenir l'engagement de nos forces et leur préparation opérationnelle. En la matière, le PLF prévoit une hausse de la ressource avec un effort particulier au profit de l'entretien programmé des matériels ; une augmentation de 13 % traduit la dynamique de régénération rendue indispensable par le surengagement de nos forces déjà évoqué.

La deuxième priorité fixée par la ministre est la poursuite de la modernisation de nos équipements et de l'amélioration des conditions de vie. Ainsi, l'an prochain, seront livrés trois Rafale, un avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR), cinq hélicoptères Tigre, dix hélicoptères NH90, deux avions A400M, une frégate multi-missions, un bâtiment multi-missions pour l'outre-mer et cinq cents véhicules légers terrestres tactiques polyvalents… La liste de ces livraisons, qui n'est évidemment pas exhaustive, montre bien que la poursuite de la modernisation des équipements reste assurée. Parallèlement, nous allons fournir un effort important concernant l'infrastructure avec une augmentation considérable de 28 % : 327 millions d'euros supplémentaires seront en effet investis, après des années de sous-dotation budgétaire qui ont conduit, pour respecter les contraintes des grands programmes d'armement, à consentir des dégradations des conditions de vie et de travail de nos soldats, de nos marins, et de nos aviateurs.

Troisième et dernière priorité : la cyberdéfense, le renseignement et la protection des forces. Le PLF prévoit une hausse de 20 % des crédits consacrés aux trois services de renseignement. Il est également prévu de consolider la cyberprotection des systèmes d'information et des réseaux.

Ainsi sont pris en compte les besoins immédiats liés à l'ambition renouvelée de notre pays, à l'engagement accru de nos armées, à la nécessité d'enrayer le phénomène d'usure de notre potentiel matériel et humain. Le PLF 2018 marque donc une première étape essentielle sur le chemin de la régénération et de la modernisation de nos armées. Il crée les conditions de la réussite de la prochaine LPM et amorce une dynamique qui sera celle des sept prochaines années.

Cela m'amène à ma troisième et dernière partie consacrée à la LPM en cours d'élaboration et le moral et la condition du personnel.

Le modèle de notre armée sera structuré par les deux prochaines LPM. Nous sommes en train de mettre la dernière main, je l'ai évoqué, aux conclusions de la revue stratégique qui permettra d'orienter le contenu de la LPM en définissant une nouvelle ambition opérationnelle – je préfère en effet l'expression « ambition opérationnelle » à celle de « contrat opérationnel ». Cette ambition sera définie par le président de la République à partir de propositions que nous lui présenterons. Elle comprendra un socle cohérent, fondé sur les engagements actuels et prévisibles à court et moyen terme, ainsi que sur des volets opérationnels plus innovants, indispensables si nous voulons peser dans le nouveau contexte stratégique. Je pense ainsi à la posture permanente de sûreté cyber ou à la posture permanente de renseignement stratégique. Sur la base de cette ambition, nous déterminerons ensuite les formats des armées et les adaptations du modèle, qui devra rester complet et équilibré – et pas seulement un modèle cohérent –, c'est-à-dire à large spectre, à même de répondre à l'ensemble des menaces. Évidemment, ces formats capacitaires devront être en cohérence avec les trajectoires relatives aux ressources financières et aux effectifs.

Pour être crédible, cette ambition opérationnelle doit pouvoir être soutenable dans la durée, sans épuiser le capital humain et matériel. Il y a une vraie différence entre le volume de forces en action et le format des armées. C'est l'épaisseur organique des armées qui leur permet de durer, de s'entraîner et de se régénérer. La soutenabilité complète ne sera évidemment pas accessible immédiatement. Mais la trajectoire financière de la prochaine LPM, telle qu'elle se dessine, devrait permettre de l'atteindre progressivement, à l'horizon 2030.

Dans le premier temps de la prochaine LPM, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une restauration de notre modèle déjà engagée en 2018. Un modèle usé par plusieurs années de sous-dotation et de sur-engagement (30 % au-delà de ce qui avait été envisagé par le Livre blanc). Cette phase, non exclusive de l'effort de modernisation, est absolument indispensable pour revenir à un fonctionnement plus équilibré et plus sain et envisager la préparation de l'avenir. Dans un second temps, à partir de 2023, il faudra accroître l'effort de modernisation de nos armées. La courbe ébauchée par le projet de LPFP devra permettre d'atteindre l'objectif fixé par le président de la République de 50 milliards d'euros hors pensions et à périmètre constant, soit 2 % du produit intérieur brut.

J'en viens aux effectifs, deuxième enjeu. Les déflations massives d'effectifs imposées depuis une dizaine d'années par les réformes successives ont mis les armées, directions et services, sous forte tension, d'autant plus que nous avions consenti d'importantes déflations d'effectifs et d'importantes réductions de format qui devaient s'accompagner d'une réduction de l'engagement des armées. Dès lors que cet engagement n'a cessé d'augmenter, la tension s'est révélée difficile à soutenir. Je rappelle qu'entre 2008 et 2017, ces déflations ont représenté un volume de l'ordre de 50 000 militaires sur un total de 250 000 environ en 2008, soit une diminution de près de 20 %. Les soutiens sont particulièrement concernés par ce phénomène. Le cadrage à plus 1 500 équivalents temps plein de la LPFP marque un début de prise en compte de cette situation. Les armées sont conscientes de l'effort que cela représente au moment où la fonction publique doit supporter des déflations mais j'insiste sur le fait que les armées ont subi des déflations trop importantes lors des deux LPM précédentes au regard de l'engagement que la Nation leur demande de soutenir. L'effort prévu par la LPFP est important, je le mesure, il est pourtant aujourd'hui inférieur aux besoins exprimés par la ministre des Armées et il va contraindre, en l'état, notre effort de régénération. Nous devrons donc apporter une attention particulière à la reconnaissance des besoins en effectifs sur les plans quantitatif et qualitatif au-delà de l'horizon de la LPFP et à partir de 2023.

Autre facteur important pour la régénération du modèle : l'infrastructure. Je l'ai évoqué, ce domaine a été négligé par la LPM 2014-2019. Il faut par conséquent faire un effort important en 2018. Reste que ce sous-investissement a eu des conséquences des plus négatives sur les conditions de vie et de travail des militaires, de même que sur la programmation, et j'attends de la prochaine LPM qu'elle prenne en compte le besoin de réhabilitation qui concourt directement à la régénération du modèle. Il s'agit bien de préserver l'épaisseur organique d'un modèle d'armée qui doit pouvoir durer.

Troisième enjeu, la préparation de l'avenir. Cette priorité définie par la ministre des Armées se traduit par l'objectif, à terme, de consacrer un milliard d'euros aux études amont pour la modernisation des armées, tout en maintenant un équilibre avec le déroulement des programmes en cours.

Je sais que la ministre des Armées est attentive à ce que la dynamique de la prochaine LPM que nous élaborerons avec vous, ne soit pas affectée par certaines dispositions. Pour ce qui est du rebasage progressif des OPEX, j'insiste, nous devrons rester attentifs à atteindre un seuil qui permettrait de ne pas désorganiser la réalisation du budget de l'État. Néanmoins, il faut absolument conserver la clause de sauvegarde que j'ai déjà évoquée – ce sera l'un des enjeux de la future LPM.

Autre point : la résorption des reports de charges ne doit pas remettre en cause la programmation actuelle et pour cela ne pas être trop rapide – elle ne doit pas trop contraindre les dépenses d'équipements et nous permettre de garder des marges de manoeuvre suffisantes.

Pour en finir sur ce sujet, je salue par avance les efforts que font nos concitoyens pour répondre à la dynamique volontariste insufflée par le président de la République et pour donner à leurs armées les marges et les moyens nécessaires. C'est un signe fort de l'attachement du pays à ses armées, de la confiance qu'il place en elles. C'est le signe d'une prise de conscience de l'évolution du cadre stratégique que j'ai décrit tout à l'heure. Les hommes et les femmes de nos armées sont conscients que ces efforts les obligent et je puis témoigner que nous mettons tous un point d'honneur à être à la hauteur de cette confiance.

J'en viens à un sujet qui me tient à coeur : la spécificité militaire. Rien n'est pire que la banalisation. Le président de la République, les parlementaires et nos concitoyens commencent à mesurer l'importance de conserver une armée qui fonctionne selon un mode et un statut particulier, des valeurs singulières, lesquels en font une composante essentielle et particulière de la Nation. Cette spécificité militaire est indispensable à l'équilibre de notre culture collective et indispensable également à l'efficacité des armées. Vous connaissez bien cette citation du général de Gaulle : « La défense ! C'est là, en effet, la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. » J'en suis moi-même persuadé. Je constate que cette citation est affichée dans cette salle…

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