Intervention de Jean François Mbaye

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean François Mbaye, rapporteur pour avis :

Notre commission étudie chaque année, dans le cadre du projet de loi de finances, les objectifs, les instruments et les modalités de la politique menée par la France dans ce domaine. L'examen du budget est l'occasion de réaliser un gros plan sur les actions conduites par la France à l'échelle européenne mais aussi internationale en matière de protection de l'environnement. Cette année, j'ai choisi de consacrer mes travaux à la question de la préservation et de la restauration des forêts mondiales.

Comme l'a dit Jacques Chirac en 2002, lors du quatrième sommet de la Terre, à Johannesburg, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Cet été, les terribles feux de forêts qui ont ravagé l'Amazonie ont tout de même servi de signal d'alarme : ils ont permis de sensibiliser l'opinion publique mondiale au devenir de nos forêts. Nous devons maintenant regarder en face ce problème, qui expose l'humanité à des risques lourds. Il faut entrer résolument dans le temps de l'action. La France, notamment grâce à son réseau diplomatique et au levier de son aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser et peser de façon décisive sur la scène internationale pour que des mesures concrètes et globales soient réellement prises en faveur du couvert forestier mondial.

Les forêts constituent un espace vital pour l'humanité. Elles abritent une biodiversité exceptionnelle – près de la moitié de la flore et de la faune connues dans le monde se trouve dans les forêts tropicales. Les forêts jouent aussi un rôle déterminant en ce qui concerne la fertilité des sols, la qualité des eaux et la régulation du climat. Elles représentent un abri pour certaines populations autochtones et fournissent de nombreuses matières premières à l'humanité – du bois, de la viande de brousse ou encore des plantes médicinales. Par ailleurs, les forêts représentent depuis toujours un patrimoine culturel et une source de réflexion métaphysique et d'inspiration esthétique pour les civilisations humaines.

Malgré de nombreux bénéfices écosystémiques qui sont indispensables à notre survie et au bon équilibre écologique de la planète, l'humanité s'ingénie à détruire les forêts. Voici une carte qui montre les gains et les pertes de couvert forestier dans le monde au cours de la période 1990-2015 :

S'agissant des régions tempérées et boréales, on a observé une régénération des forêts qui résulte des programmes de reboisement et de la recolonisation naturelle de terres abandonnées par l'agriculture. Cependant, il faut garder à l'esprit qu'il n'est ici question que de la couverture forestière, qui est un élément quantitatif et non qualitatif. Une forêt riche et diversifiée offre une infinité d'habitats et peut abriter une communauté animale importante, alors que les monocultures artificielles constituent de pauvres environnements pour l'accueil de la faune. Par ailleurs, les forêts secondaires sont plus sensibles aux maladies et aux parasites, qui y trouvent une homogénéité favorable à leur propagation.

Les zones les plus fortement menacées sont les forêts tropicales, en Amazonie, dans le bassin du Congo et en Asie du Sud-Est – je reviendrai plus en détail sur ce sujet tout à l'heure.

Le processus de destruction des forêts mondiales a débuté avec l'invention de l'agriculture, mais il s'est aggravé très significativement au cours des deux derniers siècles, et il y a eu une nette accélération des atteintes portées aux forêts depuis vingt ans.

Le graphique suivant illustre l'aggravation du problème.

Les bâtons orange montrent l'évolution annuelle de la déforestation, qui se compte en milliers de kilomètres carrés, tandis que la droite en haut, de couleur violette, fait apparaître la réduction continue du couvert forestier mondial depuis l'an 2000. Au rythme actuel de dégradation et de destruction, ce qu'il reste des espaces forestiers mondiaux aura diminué de moitié dans cent cinquante ans.

Plus d'un quart de la déforestation observée dans le monde au cours de la période 2000-2017 est définitive, du fait du changement durable d'affectation des terres au profit de l'agriculture ou de l'urbanisation. La disparition définitive des forêts a principalement lieu dans les zones tropicales, qui enregistrent la plus forte perte nette de couverture arborée au niveau mondial. Les forêts tropicales sont victimes de l'exploitation massive de leur bois et de leur conversion en terres agricoles – des plantations de soja en Amérique du Sud, d'arbres à caoutchouc dans le bassin du Congo et de palmiers à huile en Asie du Sud-Est, ou bien des élevages bovins en Amérique du Sud.

Les cartes qui suivent montrent les principales causes de la déforestation en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est.

Le phénomène le plus important est la déforestation due aux produits de base. Une étude d'impact réalisée en 2013 par la Commission européenne a montré que le soja représentait 60 % des importations de produits à risque au cours des années 1990-2008, l'huile de palme 12 % et le cacao 8 %. Ces matières premières constituent, à elles seules, 80 % des importations pouvant générer une déforestation dans les pays producteurs. Notre consommation alimentaire a un impact direct et importantissime sur la déforestation dans les zones tropicales. Les pays européens sont responsables de plus d'un tiers de la déforestation liée au commerce international de produits agricoles. Pour cette raison, j'estime qu'il est essentiel de développer des actions pédagogiques à destination du grand public, et plus particulièrement des plus jeunes, en ce qui concerne l'impact de notre consommation sur l'état des forêts mondiales.

Les forêts tropicales occupent 12,5 millions de km2. Elles ne représentent qu'une petite partie – 9,8 % – de l'ensemble des terres émergées, mais les écosystèmes qu'elles abritent sont d'une richesse et d'une diversité considérables. Alors que ces forêts représentaient 48 % des forêts mondiales en 1990, leur superficie s'est réduite de 5,5 millions d'hectares par an en moyenne, et elles ne constituaient plus que 44 % des forêts mondiales en 2015. Ces espaces ont subi, en moyenne, 90 % des pertes annuelles de forêts naturelles depuis le début des années 1990. C'est en 2016 qu'on a enregistré la plus forte perte annuelle de surface dans les forêts tropicales – juste devant 2017, qui a vu l'abattage de 10 milliards d'arbres dans ces zones.

Les forêts mondiales sont mal protégées. La gouvernance internationale se caractérise en la matière par l'absence de traité spécifiquement consacré aux forêts. Jusqu'à présent, l'existence d'un clivage entre les pays développés et ceux en développement a fait obstacle à l'établissement d'un véritable instrument multilatéral contraignant dans ce domaine. Les pays du Nord font habituellement valoir que les forêts constituent un patrimoine d'intérêt mondial qui nécessite, en tant que tel, des dispositions internationales. Les pays du Sud arguent, de leur côté, du fait que les forêts sont des ressources naturelles, et ils mettent en avant leur souveraineté sur ce qui constitue un potentiel de développement économique pour eux.

L'opposition à l'adoption d'un cadre unifié a conduit en 1992, lors du sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio, à un éclatement des problématiques environnementales relatives aux forêts entre la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la convention sur la diversité biologique (CDB) et la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD).

L'absence de cadre juridique international unifié et contraignant s'accompagne, depuis une vingtaine d'années, d'un foisonnement d'initiatives internationales et régionales. Certaines d'entre elles produisent des résultats satisfaisants et peuvent présenter, dans certains cas, l'avantage de faciliter les échanges entre les acteurs locaux. Cependant, la prolifération des initiatives a pour effet de diluer la mobilisation générale pour les forêts et d'affaiblir la visibilité de cette problématique sur la scène internationale.

Les forêts mondiales méritent d'avoir une préservation à la hauteur de leur importance pour l'intégrité écologique de notre planète. Dans le contexte des graves menaces qui existent actuellement, une convention-cadre des Nations unies permettrait d'apporter un niveau de protection plus important, dans un cadre cohérent et unifié qui bénéficierait d'une meilleure visibilité.

Il ne serait pas réaliste de vouloir transposer le régime ambitieux de protection qui a cours en Antarctique. Les forêts sont des espaces qui abritent des populations nombreuses et qui représentent, d'une manière ou d'une autre, un fort potentiel de développement économique. Toutefois, un équilibre permettant d'arriver à une gestion raisonnée des forêts mondiales peut et doit être trouvé. Il faut inscrire cette ambition en haut de notre agenda diplomatique pour les mois et les années à venir, en se fixant comme objectif l'adoption d'une convention-cadre sous l'égide des Nations unies.

La France, comme elle l'a fait par le passé à propos de la question climatique, doit jouer un rôle de chef de file. Nous avons plusieurs atouts en la matière. Notre pays jouit d'une véritable légitimité puisqu'il dispose d'un important couvert forestier tempéré, en métropole, mais aussi tropical, en Guyane, où 90 % du territoire est occupé par la forêt amazonienne. La France a une expertise reconnue, notamment au travers des actions menées par l'Office national des forêts international (ONFI) et l'Agence française de développement (AFD). Nous sommes également le premier pays à avoir élaboré et adopté, en 2018, une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) – elle est très ambitieuse.

Les mois qui viennent seront riches en opportunités pour agir concrètement, au plan européen mais aussi mondial, en faveur de la gouvernance des forêts. Une négociation est en cours à l'échelle du continent européen en vue d'aboutir à un accord juridiquement contraignant à l'horizon 2020. Nous devons continuer à soutenir résolument cette démarche, qui pourrait préfigurer, en cas de succès, l'élaboration d'un accord plus large sous l'égide des Nations Unies. Le Congrès mondial de la nature qui se tiendra à Marseille en juin prochain sera, par ailleurs, une occasion exceptionnelle de mobiliser les chefs d'État et de Gouvernement, la communauté scientifique mondiale et l'opinion publique internationale sur cette thématique qui mérite vraiment une attention particulière.

La mobilisation de la France est réelle, comme le montrent les initiatives engagées lors de la dernière réunion du G7 et en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier. Notre diplomatie se met en ordre de bataille avec détermination pour promouvoir l'émergence d'une gouvernance mondiale en faveur de la préservation et de la restauration des forêts.

Afin que notre diplomatie environnementale puisse disposer de moyens lui permettant de mener à bien ses missions, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables pour 2020.

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