Intervention de Alain David

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David, rapporteur pour avis :

Il y a dix jours, plusieurs médias irakiens ont été attaqués suite à leur couverture du mouvement de contestation sociale qui touche l'Irak depuis le début du mois d'octobre. Des journalistes ont été menacés et plusieurs médias ont vu leur transmission coupée. Cette attaque intervient alors que la fermeture de l'émetteur de Chypre, utilisé par France Médias Monde pour diffuser en ondes moyennes au Proche-Orient, a été actée cette année, malgré les alertes adressées au Gouvernement. Cet outil garantissait pourtant une sécurisation de la diffusion de la radio Monte Carlo Doualiya (MCD) en ondes moyennes dans une zone à l'importance géostratégique incontestable où les relais FM peuvent être coupés brutalement.

Cet exemple illustre l'importance stratégique de notre audiovisuel extérieur, dont nous ne prenons pas toujours la mesure.

Comme vous le savez, nos médias doivent aujourd'hui faire face à une concurrence accrue ; parler, à cet égard, de guerre de l'information n'est en rien une exagération. Dans ce contexte, le rôle de notre audiovisuel extérieur n'en est que plus déterminant. Or, une nouvelle fois, les crédits alloués à l'action audiovisuelle extérieure sont en baisse, à rebours des choix opérés par nos principaux concurrents.

La dotation de FMM, qui regroupe France 24, Radio France internationale (RFI) et MCD, s'établit ainsi, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, à 255,2 millions d'euros, en baisse d'un million d'euros par rapport à 2019, et en retrait de 10 millions d'euros par rapport à la trajectoire initialement fixée dans le contrat d'objectifs et de moyens du groupe, trajectoire qui a été entièrement revue à l'été 2018. Pour rappel, le budget de BBC World, dont le modèle est régulièrement invoqué, s'élevait, en 2019, à 430 millions d'euros et celui de la Deutsche Welle à 350 millions d'euros, en hausse de 25 % depuis 2013. La dotation de TV5 Monde, après avoir connu une baisse d'1,2 million d'euros en 2019, est stabilisée en 2020, à hauteur de 76,2 millions d'euros.

Malgré ce contexte budgétaire plus que contraint, notre audiovisuel extérieur connaît des résultats très satisfaisants. Les chaînes de France Médias Monde ont touché, en 2018, 176 millions de personnes chaque semaine, en linéaire et en numérique, soit une progression de plus de 17 % par rapport à l'année précédente. Pour TV5 monde, dont la mesure d'audience ne peut être que partielle du fait de sa très large diffusion, on constate également une progression entre 2017 et 2018, avec 42,1 millions de personnes touchées par semaine.

Surtout, nos médias ont poursuivi leur développement. On peut citer, à propos de France Médias Monde, l'enrichissement de l'offre de contenus en langues étrangères, à commencer par la diffusion de France 24 en espagnol, qui a gagné 50 % de notoriété en quelques mois, après son lancement fin 2017. Le groupe a poursuivi la mise en oeuvre de sa stratégie numérique et renforcé sa coopération avec les opérateurs de l'audiovisuel public et ses partenaires européens, réalisant ainsi des synergies qui sont une source d'économies.

S'agissant de TV5 Monde, on peut souligner la poursuite de la mise en oeuvre du plan stratégique de la chaîne, grâce au développement éditorial et de la diffusion en Afrique, priorité essentielle pour la chaîne francophone, et à la poursuite de sa transformation numérique. Cette stratégie a porté ses fruits, puisque l'année 2019 a confirmé la forte croissance des audiences numériques de la chaîne amorcée en 2017.

Avec, d'un côté, des résultats toujours plus satisfaisants et, de l'autre, une succession de coups de rabots budgétaires, la tentation est grande de considérer qu'il ne s'agit là que d'une optimisation des moyens. Or, s'arrêter à cette conclusion, c'est s'enfermer dans une vision à court terme de notre diplomatie d'influence que nous risquons fort de regretter dans quelques années. TV5 Monde a déjà dû abandonner, faute de moyens, plusieurs des objectifs de son plan stratégique triennal et devrait perdre plus de 30 millions de foyers en 2020. Les chaînes de France Médias Monde devraient, quant à elles, perdre 8 millions de foyers l'année prochaine du fait des réductions des activités de distribution et de diffusion. Dans ce contexte, la direction du groupe comme les représentants du personnel sont très inquiets et déplorent une perte de sens dans les choix effectués par leur tutelle.

J'insisterai sur trois enjeux cruciaux pour notre audiovisuel extérieur.

Tout d'abord, à quelques mois du débat parlementaire sur le projet de loi de réforme de l'audiovisuel public, nous devons nous préparer à être extrêmement vigilants sur la prise en compte des spécificités de l'audiovisuel extérieur dans cette réforme. Le projet annoncé de holding de l'audiovisuel public suscite des inquiétudes au sein de France Médias Monde, où l'on redoute d'être relégué au second rang, derrière les opérateurs à vocation purement nationale. Du fait de son organisation multilatérale, TV5 Monde, ne fera pas partie de la holding, non plus que Arte. En revanche, France Médias Monde sera intégrée à cette nouvelle structure, dotée d'un contrat d'objectifs et de moyens commun qui admettra, chaque année, de nouveaux arbitrages entre opérateurs et dont le conseil d'administration ne comportera qu'un seul siège pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ce qui apparaît comme une garantie bien maigre pour notre action extérieure et le rayonnement de notre diplomatie.

Deuxièmement, et c'est étroitement lié, nous devons pleinement reconnaître la valeur stratégique de notre audiovisuel extérieur. Dans un contexte de guerre de l'information, où certains concurrents n'hésitent pas à recourir à la désinformation au profit de discours souvent radicaux, simplistes ou antidémocratiques, l'audiovisuel extérieur constitue un rempart essentiel. En effet, c'est d'abord par une information indépendante et de qualité que passe la lutte contre les fausses informations. Au-delà de cet objectif permanent, notre audiovisuel extérieur est pleinement mobilisé contre ces fausses informations, comme en témoignent des programmes dédiés tels que « Info ou Intox » sur France 24, « Les dessous de l'Infox » sur RFI ou « À vrai dire », module de vérification des faits développé par TV5 Monde. La lutte contre la désinformation est également un des axes de la coopération avec la Deutsche Welle, avec le lancement du programme « Infos Migrants » et l'élaboration d'un projet ciblé sur la jeunesse, dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, qui prévoit la création d'une plateforme numérique franco-allemande. Enfin, FMM participe à des projets d'éducation aux médias et à l'information dans plusieurs langues.

Le rôle stratégique de notre audiovisuel extérieur passe par une information qui n'est pas la voix de la France en tant qu'État mais qui promeut les valeurs que notre diplomatie culturelle dans son ensemble cherche à diffuser. Face aux offensives des médias russes ou chinois, nous devons faire le choix politique d'un audiovisuel extérieur fort, doté de moyens suffisants. Pour reprendre les mots de l'actuel ambassadeur de Roumanie en France, M. Luca Niculescu, ancien journaliste à RFI Romania, RFI a été, en Roumanie, où je me suis rendu cette année, à la fois un vecteur de démocratie et de francophonie.

La promotion de la francophonie est en effet l'un des autres objectifs prioritaires de notre audiovisuel extérieur. C'est la raison d'être de TV5 Monde et une mission quotidienne pour France Médias Monde, dans le cadre d'une politique de langues qui promeut le multilinguisme et la diversité culturelle.

Troisièmement, les débats à venir sur l'audiovisuel public seront l'occasion de réaffirmer le lien très étroit entre l'audiovisuel extérieur et l'aide publique au développement. Canal France international (CFI), opérateur du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui est devenu une filiale de FMM en 2017, illustre parfaitement ce lien. Ce rapprochement a permis de constituer un pôle d'expertise médias, et des projets ont été lancés en coopération avec l'Agence française de développement (AFD), notamment dans la zone stratégique du Sahel. Au-delà du travail remarquable effectué par CFI, nous devons mener une véritable réflexion sur le lien stratégique entre audiovisuel extérieur et aide publique au développement, pleinement pris en compte par la BBC ou la Deutsche Welle.

Pour conclure, j'aimerais revenir sur la Roumanie, où j'ai choisi de me déplacer cette année. RFI Romania m'a été décrit par tous mes interlocuteurs, à commencer par les journalistes roumains, comme un média de référence, loué pour sa qualité et sa neutralité dans un contexte où de nombreux médias nationaux restent liés aux partis politiques. En Roumanie, les médias indépendants, dont fait partie RFI Romania, ont joué un rôle central pour stopper les risques de dérives antieuropéennes.

Par ailleurs, la présence de RFI et de TV5 Monde en Roumanie contribue à renforcer la position de ce pays en tant que principal bassin francophone en Europe orientale. Comme souvent, notre audiovisuel extérieur s'inscrit dans un cercle vertueux de la diplomatie culturelle, avec l'apprentissage du français et la consommation de contenus culturels français.

Compte tenu du décalage entre ces nombreux enjeux stratégiques et les moyens alloués à notre audiovisuel extérieur, j'émets un avis défavorable sur les crédits consacrés à celui-ci.

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