Intervention de Mathilde Delespine

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 15h05
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis :

Je rejoins mes collègues sur la formation : sage-femme depuis dix ans, j'ai vu une amélioration. De plus en plus d'étudiants témoignent qu'en stage, ils voient des professionnels faire du repérage systématique. Nous allons dans le bon sens, mais ce n'est pas assez puisqu'il y a encore beaucoup trop de femmes qui décèdent et que ces violences ont des conséquences dramatiques sur la santé des femmes et des enfants. Il faut diffuser massivement les récentes recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) qui recommandent le repérage systématique. Les deux fiches pratiques donnent des outils, notamment pour la rédaction des certificats médicaux.

Par rapport à mon champ de compétences, la périnatalité, il convient de renforcer les actions de prévention dès la grossesse, puisque nous savons aujourd'hui que les violences ont des conséquences sur la femme enceinte et sur l'enfant, même in utero. Pour ce faire, commençons par renforcer ce qui existe et notamment la protection maternelle et infantile. Aujourd'hui, beaucoup de centres ne peuvent plus suivre les enfants jusqu'à l'âge de six ans parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Il s'agissait pourtant d'un outil précieux pour repérer les violences et accompagner les enfants qui y sont exposés, ainsi que leurs mères. Dans les secteurs où nous ne parvenons à faire ce suivi que jusqu'à l'âge de trois ans, on assiste à une véritable perte de chance. La commission qui travaille sur les 1 000 premiers jours de vie pourrait se saisir du sujet des violences intrafamiliales. Nous savons que le contexte des violences a un impact sur l'épigénétique ; les professionnels doivent le savoir et être formés pour cela. Cela peut se faire en s'appuyant sur les réseaux de santé périnatale qui ont une mission de formation et qui sont en charge de l'animation du réseau.

Ainsi que je l'ai constaté, lorsque les structures s'emparent de ces sujets, on voit que les pratiques changent, notamment grâce à cette culture du réseau. En Seine-Saint-Denis grâce au réseau « Naître dans l'Est Francilien » (NEF), tous les personnels des maternités ont été formés et un repérage systématique a été mis en place. Les formations aux violences faites aux femmes doivent être financées dans le cadre du développement professionnel continu (DPC). Lorsqu'une sage-femme s'interroge sur la formation qu'elle va suivre, le fait que cette formation soit prise en charge – quand d'autres modules ne le sont pas – peut être un facteur d'incitation utile. Sur le terrain, on constate qu'il faut que tous les professionnels aient compris l'intérêt du repérage systématique et qu'ils y aient été formés. Cela demande des moyens, notamment d'interprétariat lorsque les patientes ne sont pas francophones. Or les moyens ne sont pas au rendez-vous. Il y a certes des violences conjugales dans tous les milieux socio-économiques, mais quand on ne maîtrise pas la langue française, on est dans une situation de plus grande vulnérabilité et de plus grande dépendance vis-à-vis de l'agresseur.

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous vous demandez s'il faut encourager les signalements par les professionnels de santé. Je répondrai évidemment positivement mais je pense qu'il faut clarifier deux points. Les professionnels de santé libéraux n'ont pas l'obligation de faire de signalement, il ne s'applique qu'aux fonctionnaires. Il faut changer cette règle. L'autre problème concerne le signalement pour les mineurs victimes de violences âgés de 15 à 18 ans. Pour cette catégorie, il n'y a pas d'obligation de signalement.

Plus généralement, la question du signalement se pose pour tous les professionnels. Les juristes ou les avocats ont peur de commettre une faute déontologique en signalant des faits. Je pense que nous avons besoin d'une règle claire précisant que faire un signalement n'expose à aucun risque déontologique ; cela rassurerait les professionnels. Il ne me semble pas qu'une telle précision existe de façon explicite pour les professionnels libéraux.

Aujourd'hui la sécurité sociale ne rembourse pas les psychothérapies des victimes de violences, alors même qu'elles en ont besoin. Nous le constatons à la Maison des femmes où nous accueillons des femmes de toute l'Île-de-France, les psychiatres de secteur ne sont pas formés au trauma complexe. Ils le reconnaissent d'ailleurs et nous disent ne pas avoir abordé ce sujet durant leurs études. Ils raisonnent surtout à partir de leur référentiel de psychose et ils sont très bien formés pour accompagner par exemple quelqu'un de schizophrène. Mais face à une personne ayant subi de l'inceste pendant quatre ans, pendant dix ans, ils ne savent pas vraiment faire.

Il faut encourager les prises en charge holistiques comme celles que nous proposons à la Maison des femmes. Il n'est pas possible de créer en six mois des maisons des femmes dans tous les départements. Mais il existe partout des centres médico-psychologiques (CMP) sur lesquels on peut s'appuyer. Avançons sur la prise en charge spécialisée mais formons aussi les professionnels de secteur.

La création du national de ressources et de résilience (CNRR) et des dix centres de soins en psychotrauma est évidemment une très bonne initiative mais je regrette qu'ils ne comprennent pas de somaticiens qui interviendraient avec les psychiatres et les psychologues. Avoir des médecins généralistes, des gynécologues, des sages-femmes,… aux côtés des psychiatres et des psychologues spécialisés serait vraiment très complémentaire et cela éviterait de morceler, encore une fois, ces victimes qui le sont déjà par la violence.

À la Maison des femmes de Saint-Denis, des plaintes sont prises dans notre structure par des policiers que nous avons formés. Cela évite aux femmes d'aller dans les commissariats, les plaintes sont beaucoup mieux prises – c'est vraiment à encourager – et en plus, nous avons pu former les policiers qui sont venus. Même pour des procédures où les femmes n'ont pas déposé plainte chez nous, cela facilite les choses, parce que nous nous connaissons et nous avons appris à travailler ensemble. Peut-être qu'il serait intéressant de développer des formations continues où on mélange les professions. Ce n'est pas aux femmes de faire ce lien entre nous : elles ont à résister aux violences, à des violences terribles, à protéger leurs enfants et c'est déjà suffisant. Il faut améliorer la circulation de l'information : des femmes obtiennent parfois des ordonnances de protection sans que le commissariat dont elles dépendent n'en soit informé ! De même, le juge aux affaires familiales n'est pas forcément informé d'une audience pénale. Je pense qu'Édouard Durand vous a parlé de cette complexité.

La Maison des femmes de Saint-Denis étant une structure hospitalière, nous pouvons nous appuyer sur les compétences de l'hôpital en addictologie, en infectiologie quand les femmes ont été exposées à des violences sexuelles, et nous pouvons mettre en place des consultations de médecine légale sans réquisition. Je pense que c'est vraiment l'avenir de la médecine légale, c'est-à-dire commencer par le soin et la prise en charge médicale, réaliser les prélèvements nécessaires et ensuite seulement envisager le dépôt de plainte. Il est vraiment regrettable que les compétences de médecine légale ne soient réservées qu'à la minorité des victimes qui déposent plainte. Seulement 20 % des victimes des violences conjugales déposent plainte, le taux est de 10 % pour les violences sexuelles. Il y a quelques services aujourd'hui en France de médecine légale qui offrent cette possibilité d'être reçu sans réquisition, et nous voyons l'effet positif sur les victimes. Parfois, elles étaient opposées au dépôt de plainte et, en se sentant prises en charge, en lisant le certificat, en se sentant crues, en voyant qu'elles disposent de preuves matérielles, elles vont aller vers la plainte sous 15 jours, sous trois mois. S'il n'y avait pas eu ce constat médical, je pense que cela aurait mis beaucoup plus de temps.

Des gendarmes qui travaillent sur la mallette d'aide à l'accompagnement et l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS) pour tous les professionnels des urgences centrales gynécologiques afin qu'ils puissent faire un examen de victimes de violences sexuelles dans les règles de l'art. Cela me paraît être une initiative à développer.

Quand nous allons former les professionnels dans les centres de protection maternelle et infantile ou que nous intervenons dans les maternités, les professionnels nous disent avoir besoin d'outils concrets. Il y a une brochure assez magnifique, dédiée aux parents, qui s'appelle « la santé des enfants exposés aux violences conjugales », qui a été éditée par le département des Hautes-Alpes et reprise par deux autres. L'État pouvait s'en saisir et la diffuser car elle est très bien faite.

Le département de la Seine-Saint-Denis a mis en place des outils pour aider les professionnels de la petite enfance, notamment les pédopsychiatres et les psychologues de l'enfant, à dispenser des soins pratiques pour les enfants exposés aux violences conjugales. C'est aussi à diffuser au niveau national parce qu'une psychologue qui demain voudrait prendre en charge des enfants exposés aux violences conjugales pourrait s'appuyer sur des outils déjà développés par des spécialistes. Il s'agit de diffuser ce qui fonctionne et ce qui a fait ses preuves pour gagner du temps.

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