Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

On parle de budget, de subventions, d'aides, mais les agriculteurs ne veulent pas être aidés : ils veulent être payés pour leur travail. Et la clé, ce sont les prix, qui ont d'ailleurs été au coeur du long processus des États généraux de l'alimentation. C'était un pari, c'était une promesse. Or l'UFC-Que Choisir a montré, en analysant les données officielles sur le lait de consommation, la viande bovine et les filets de poulet, que cette promesse n'a pas été tenue. Prenons l'exemple du lait UHT (ultra haute température) : alors que, depuis 2017, le prix revenant à l'éleveur a diminué de 5 %, la marge des distributeurs a au contraire augmenté de 8 %, si bien que les consommateurs paient maintenant le lait 4 % plus cher. J'ai devant moi les données de FranceAgriMer : pour toutes les productions – les gros bovins, le lait de vache standard, le lait de chèvre standard, l'agneau –, le prix de vente est inférieur aux coûts de production. Et, pour un certain nombre de productions, il a même baissé depuis le discours de Rungis et les 144tats généraux de l'alimentation.

C'est un échec. On le lit à demi-mot dans le rapport de la commission d'enquête, présidée par notre excellent collègue Thierry Benoit : il explique que si les nouveaux dispositifs de la loi EGALIM vont certes dans le bon sens – ce dont je doute, à titre personnel – ils ne sont pas suffisants. Cet échec se vérifie au niveau des prix, mais aussi des processus de décision. Quand je demande aux agriculteurs de ma circonscription ce que la loi EGALIM a changé pour eux, ils me répondent : « Rien ». On peut se dire que ce sont des petits producteurs, qu'ils sont occupés par leur travail et qu'ils n'ont pas le temps de mettre le nez dans leurs papiers. Mais il se trouve que j'ai rencontré, au Sommet de l'élevage de Clermont-Ferrand, les représentants de la filière Limousine, de la Holstein, du mouton vendéen et du Charolais : eux me disent aussi qu'ils ne voient aucun changement. Rien n'a changé : ni au niveau des prix, ni dans le processus de décision.

On en est resté au stade des discours et cela a des conséquences dramatiques, pas seulement dans les films, comme Au nom de la terre, mais aussi dans les fermes. L'agriculture a besoin de régulation : c'est la croyance dans la loi, dont mon collègue M. Sébastien Jumel vient de parler. Il faut des prix plancher : 400 euros les 1 000 litres de lait, par exemple. Il faut des quotas de production, des quotas d'importation, il faut un coefficient multiplicateur. Vous êtes en train de vous dire que c'est le couplet classique de la gauche, qui réclame plus de loi, plus de régulation. Mais, pendant les États généraux de l'alimentation, M. Olivier Allain, qui en était le coordinateur et qui est un « Marcheur », disait qu'il était protectionniste, et même interventionniste et régulationniste. Sans régulation, rien ne changera pour les agriculteurs.

Je peux citer des témoignages plus surprenants encore : M. Serge Papin, lorsqu'il était le patron de Système U, est venu s'exprimer devant notre commission. Il a dit que si l'on veut sauver l'agriculture française et la rendre plus qualitative, il faut des prix minimaux garantis. On a besoin de régulation dans ce pays, et cela fait trente ans que l'agriculture est la variable d'ajustement dans la guerre des prix. Même M. Michel-Édouard Leclerc – qui a quelque chose du Janus à deux têtes, car il dit tantôt blanc, tantôt noir –, a dit que si la pauvreté de nos agriculteurs est une cause nationale, alors il faut fixer un prix minimum, un prix plancher. Sans cette garantie, nous ne pourrons pas aider les agriculteurs à sortir la tête de l'eau. Ils ont besoin de ce socle pour se projeter dans l'avenir. Pour nous, l'avenir, c'est davantage d'écologie, la sortie des produits phytosanitaires, ou en tout cas leur nette diminution, et la préservation du bien-être animal. Nous ne pouvons plus nous contenter d'accords-cadres fumeux, avec des prix indicateurs dont on ignore l'origine et un médiateur qui ne peut contraindre personne. Régulation, régulation, régulation !

Il existe une exception culturelle française : il faut désormais construire une exception agriculturelle française.

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