Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 18h00
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Merci de vos questions, qui témoignent de votre intérêt pour la mission Travail et emploi.

Contrairement à ce que certains ont pu dire, le nombre de chômeurs baisse, à chaque trimestre, puisque le taux de chômage est passé de 9,6 % à 8,5 % – un chiffre encore trop élevé, mais le plus bas depuis dix ans. Nous devons continuer notre action dans le sens instauré par les réformes et ne rien lâcher, si je puis dire. Il est d'ailleurs intéressant de constater que la création d'emploi n'est plus forcément corrélée à la croissance. Quand il fallait auparavant un taux de 2 % pour parvenir à créer des emplois, aujourd'hui, avec une croissance de 1,3 %, des emplois sont créés et le taux de chômage baisse. Le taux de transformation, qui dépend beaucoup des politiques publiques, est donc en progression. Depuis 2017, 500 000 emplois ont été créés en France. En 2019, plus de 200 000 emplois auront été créés. Qui plus est, à la différence de l'Allemagne, de l'Espagne ou de l'Italie, nous avons la chance d'avoir une démographie dynamique, ce qui représente aussi un défi chaque année, dans la mesure où la population active augmente continuellement.

En ce qui concerne le chômage des jeunes, je m'inscris en faux contre les propos tenus par plusieurs d'entre vous : il baisse. Au deuxième trimestre 2017, son taux était de 23,4 % ; au deuxième trimestre 2019, de 19,4 % – depuis mai 2017, 300 000 personnes sont retournées vers l'emploi. Même s'il reste extraordinairement élevé, nous avons fait baisser ce chômage de 4 points en deux ans, grâce à la réforme de l'apprentissage notamment et au PIC.

Après un long moment de stagnation et de baisse, la trajectoire de l'apprentissage est historique, puisque nous avons passé le cap des 458 000 apprentis au mois de juin, soit une augmentation de 8,4 % par rapport à 2018. Dans certains territoires, la hausse est véritablement spectaculaire. En Haute-Savoie, où je me suis rendue, l'augmentation est de 25 % ! La disparition de tous les freins réglementaires, financiers et administratifs a permis de répondre aux besoins des acteurs.

En revanche, le financement n'a pas été transféré des régions aux branches. Il a été libéré grâce à un principe simple : dès lors qu'un jeune et une entreprise signent un contrat d'apprentissage, le CFA est assuré d'avoir le financement de la formation, grâce au dispositif du coût contrat établi par les branches professionnelles sur la base d'une analyse objective. C'est cela qui change tout et qui explique pourquoi 550 projets de création de CFA sont en cours. Nous ouvrons un CFA quasiment chaque semaine ! Les compagnons du devoir ont annoncé une augmentation à venir du nombre d'apprentis de 27 % ; les maisons familiales rurales de 20 % ; le président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) confirmait publiquement, ce matin encore, que leur nombre allait augmenter de 40 000 ; l'industrie, de 20 000. Bien sûr, cela ne se fera pas dans les six mois, mais la dynamique est lancée. Certaines progressions sont extraordinaires : une augmentation de 74 % en Dordogne en un semestre ; de 60 % en Eure-et-Loir ; de 59 % dans le Rhône. Le Gouvernement et le Parlement ont bien fait de lever tous les freins. La mentalité des jeunes et des entreprises est en train d'évoluer. Nous devons accompagner ce mouvement dans l'ensemble du territoire.

Plusieurs d'entre vous ont souligné le contraste frappant entre cette dynamique et le nombre constant d'emplois non pourvus – entre 300 000 et 400 000 l'année dernière. Toutes les enquêtes montrent qu'une entreprise sur deux a du mal à recruter, à cause, bien souvent, du déficit de formation et de compétences inadaptées. Cependant, après trente ans de chômage de masse, beaucoup de demandeurs d'emploi sont très éloignés de l'emploi. Aujourd'hui, il y a plusieurs centaines de milliers de jeunes dont aucun des deux parents n'a jamais travaillé. Il faut prendre en compte cette réalité. Cela ne veut pas dire que les personnes sont inemployables, mais qu'il faut des tremplins. C'est pour cela que nous investissons massivement dans l'insertion par l'activité économique, les entreprises adaptées et les « territoires zéro chômeur de longue durée », sous réserve du bilan de l'expérimentation. Nous investissons tout particulièrement outre-mer, dans les quartiers prioritaires de la ville et dans toutes les zones les plus difficiles, pour impliquer tout le monde dans l'élan de l'emploi.

S'agissant de Pôle emploi, qui a fait l'objet de nombreuses questions, ses ressources augmentent. Les cotisations étant assises sur la masse salariale, lorsque l'emploi va mieux, ses recettes augmentent et ses dépenses diminuent. L'année prochaine, malgré la baisse partielle de la subvention de l'État, les ressources de Pôle emploi augmenteront de 487 millions d'euros, pour un montant total de 5,9 milliards d'euros. Nous avons les moyens de mener une politique de l'emploi et un accompagnement de qualité. Vous m'avez demandé ce qui se passerait dans le cas d'un retournement de la conjoncture. Les politiques publiques budgétaires, mais aussi la gestion paritaire de l'UNEDIC, évoluent en fonction des contextes. Aujourd'hui, les moyens sont là. Qui plus est, 1 000 postes ont été créés, alors que la trajectoire prévoyait 4 000 postes en moins, à la suite de la numérisation de certains services. En réalité, il y aura donc plus de 1 000 personnes supplémentaires en face des entreprises et des demandeurs d'emploi.

Dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage, se déploiera, à partir du 1er janvier, la nouvelle formule de Pôle emploi, dotée de trois nouvelles offres : une offre pour les entreprises – si, après trente jours, l'entreprise n'a pas trouvé preneur, Pôle emploi la contactera pour voir si c'est l'offre qui ne correspond pas au marché ou qui est mal rédigée et si l'entreprise peut être conseillée ou si c'est Pôle emploi qui a besoin de se mobiliser plus ; une offre pour tous les nouveaux demandeurs d'emploi, qui, au lieu d'avoir 45 minutes d'entretien dans les deux premiers mois, passeront deux demi-journées de coaching individuel et collectif – je suis allée voir cette expérimentation à Nice, qui a des effets remarquables ; enfin, un accompagnement particulier pour ceux qui ont des contrats très courts et irréguliers.

Pour ce qui est du transfert des OPCO vers les URSSAF, nous avons prévu de le repousser d'un an, à la demande des URSSAF. Cela ne pose aucun problème opérationnel de transition, dans la mesure où les OPCO savent gérer. En effet, beaucoup de missions nouvelles ayant été confiées aux URSSAF, notamment le calcul du taux de séparation pour le bonus-malus, nous avons voulu être sûrs de ne poser aucun problème aux entreprises. Mieux vaut opérer le transfert à partir du 1er janvier 2021 et que cela fonctionne bien, plutôt que le 1er janvier 2020 et que cela soit compliqué.

Concernant l'apprentissage dans le secteur public, la loi de transformation de la fonction publique a prévu d'impliquer le CNFPT. Il n'était pas logique de financer l'apprentissage dans le secteur public sur la taxe d'apprentissage payée par les entreprises du secteur privé. Il convient que le secteur public se dote de moyens propres, l'apprentissage étant également un atout pour lui. Le CNFPT devra ainsi prendre en charge au moins la moitié des formations. Je tiens à souligner que l'apprentissage est plus ouvert aux jeunes en situation de handicap dans le secteur public que privé. Nous pouvons saluer les collectivités pour leurs efforts. L'État prend également ses responsabilités. Le Premier ministre a envoyé une circulaire à tous les ministères pour leur dire que les apprentis ne seraient pas comptés dans les plafonds d'emplois des ministères, ce qui représentait un vrai frein.

Pour ce qui est du CPF et du risque de désintermédiation, le 21 novembre, dès que l'application relative à la formation sera disponible, chacun pourra avoir accès à un conseiller en évolution professionnelle gratuit. Les agréments seront tous prêts le 1er janvier. Pour les quelques semaines de transition, ce sont les fonds de gestion des congés individuels de formation qui assureront la continuité. L'expérience a montré, dans les missions locales, que cela était efficace pour les demandeurs d'emploi. Créer un droit pour 25 millions de personnes représente une révolution dans la formation et constitue un élément de justice sociale.

Après trente ans de politiques de la formation professionnelle, seul un salarié des petites entreprises sur trois et un ouvrier ou un employé sur trois accédaient à la formation. Ils n'étaient jamais prioritaires, contrairement aux cadres et aux salariés des grandes entreprises, lesquelles recevaient d'ailleurs plus que ce qu'elles versaient, la mutualisation se faisant des petites vers les grandes entreprises. Créer un droit personnel à la formation, une sorte de « livret A de la formation », financé par la collectivité et en plus de ce que font les entreprises, permettra à beaucoup de personnes de suivre une formation pour bénéficier d'une promotion, changer d'entreprise ou de métier, de façon bien plus aisée.

Les abondements et les accords de branches et d'entreprises seront possibles. Dans certains cas, il existe en effet un intérêt commun. Prenons l'exemple des transports : alors qu'il manque en France 23 000 chauffeurs routiers, la branche ou l'entreprise pourrait tout à fait abonder en faveur de quelqu'un qui préparerait le permis poids lourd puis lui offrir un emploi. Le CPF est un socle pour ce type d'approche et de dynamique.

Grâce au PIC, le nombre de demandeurs d'emploi et de jeunes formés est en augmentation. En 2018, 150 000 personnes supplémentaires avaient été formées par rapport à 2017. En 2019, ce sera plus de 250 000, sans compter tout ce que nous faisons pour développer l'EPIDE et les écoles de la deuxième chance. La dynamique est forte.

Les procédures d'achat public, qui sont lourdes et longues à sécuriser, ne sont pas toujours très adaptées à la réalité de l'emploi. Pour cette raison, une partie du financement du PIC ira aux préparations à l'emploi de Pôle emploi. Dans le cas d'une offre d'emploi ferme, ce financement permettra à un demandeur d'emploi qui n'a pas la formation nécessaire de voir sa formation financée. Une telle souplesse est nécessaire. Quant à l'évaluation intermédiaire du PIC, nous ferons un premier point en fin d'année, dont nous vous rendrons compte au début de l'année prochaine.

Monsieur Ratenon, l'outre-mer est l'une de nos priorités. C'est pourquoi, sur les PEC, 15 % de l'enveloppe lui sont affectés, ce qui représente un effort deux fois plus important. À La Réunion, où j'ai accompagné le Président de la République, nous avons lancé le « plan pétrel » : doublement des capacités de l'insertion par l'activité économique ; 12 000 PEC annuels ; augmentation de 30 % des demandeurs d'emploi formés par an ; zéro charge jusqu'à deux SMIC pour tous les employeurs ; s'agissant des emplois francs, une expérimentation fera en sorte qu'ils puissent être ouverts aux personnes sortant de l'insertion. Il s'agit d'un effort massif. Nous accompagnons également les créateurs d'entreprises, afin de soutenir globalement la dynamique de l'emploi.

Pour revenir sur la réforme de l'assurance chômage, évoquée par plusieurs d'entre vous mais qui n'est pas vraiment un sujet budgétaire, nous ne voulons évidemment pas favoriser la précarité et le chômage ; nous voulons augmenter l'emploi ! Les analyses peuvent différer sur la manière d'y parvenir, mais le Gouvernement et le Parlement partagent exactement la même intention : faire diminuer le chômage. La réforme est équilibrée. Nous demandons aux employeurs de faire plus d'efforts pour offrir un emploi moins précaire. De fait, nous ne pouvons pas nous résigner à la dérive à laquelle nous assistons depuis dix ans : 87 % des embauches aujourd'hui sont en CDD et en intérim ; 70 % des CDD sont signés pour un mois ou moins, dont un tiers pour un jour ou moins. On marche sur la tête ! Il n'est pas vrai que l'économie a besoin d'une telle flexibilité externe. Avec les ordonnances, il est possible d'avoir recours à une flexibilité interne négociée. Il y a également des solutions de groupements d'employeurs ou de CDI intérimaire consacrés dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le bonus-malus sur les contrats courts et la taxation des CDD d'usage visent à responsabiliser les employeurs.

En face, il faut que les règles correspondent à l'état du marché du travail et incitent au retour à l'emploi. Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, lors de la séance de questions au Gouvernement, ce n'est pas du tout la faute des demandeurs d'emploi qui ne sont pas responsables des règles. Ce sont les partenaires sociaux et, quand ils n'arrivent pas à négocier, l'État qui en sont responsables. Néanmoins, il n'est pas normal qu'un demandeur d'emploi sur cinq, du fait des contrats permittents, touche les premiers mois après son entrée au chômage une indemnisation supérieure à la moyenne de ce qu'il gagnait en travaillant. On ne peut pas demander à nos concitoyens d'aller travailler pour gagner moins. Ils ne perdront rien dans leur capital de droits et seront indemnisés entre 65 et 96 % de leur ancien salaire, avec une indemnisation plus longue, si nécessaire. Cette réforme et l'accompagnement inédit de Pôle emploi permettront à beaucoup plus de nos concitoyens d'accéder à la dignité du travail et à l'autonomie financière qu'il représente.

S'agissant des maisons de l'emploi, je suis ouverte à une discussion. Il faut continuer les transformations pour éviter les doublons, de sorte qu'elles effectuent une mission réellement complémentaire et non seulement de coordination. Je sais qu'un amendement a été adopté en commission des finances sur la question.

Quant aux économies à faire pour compenser notre décision de stabiliser les exonérations de charges pour les services à la personne pour les personnes de 70 ans et plus, quel que soit leur niveau de revenu et que ces personnes soient dépendantes ou non, nous cherchons 120 millions d'euros. Nous déposerons prochainement un amendement pour prendre cet argent essentiellement sur le PIC, qui représente 3 milliards d'euros. De fait, certains opérateurs et certaines régions ayant des difficultés à mettre en oeuvre rapidement un plan aussi massif, un retard de quelques mois ne nuira pas à nos ambitions.

Plusieurs d'entre vous ont mentionné l'expérimentation des « territoires zéro chômeur de longue durée ». Dans le budget 2020, nous avons prévu un supplément de 6 millions d'euros pour créer 750 ETP de plus. Aujourd'hui, il y en a 811 et leur nombre devrait s'élever à 1 000 à la fin de l'année. Il était prévu que l'expérimentation atteigne 1 750 ETP en 2021. Elle est plus qualitative que quantitative, comme l'avait souhaité le législateur en 2016. D'ici à quelques jours, nous allons recevoir les trois rapports d'évaluation, qui seront bien évidemment transmis au Parlement. Nous sommes convenus avec l'association qui a développé tous les projets de défendre une logique de coconstruction. Il semble y avoir des points à améliorer, ce qui est tout à fait logique pour une expérience aussi innovante. Nous verrons, une fois le diagnostic établi, ce qu'il conviendra de retoucher. Le taux de la prise en charge ne change pas en 2020, puisqu'il est prévu à 95 % du SMIC, entièrement financé par le ministère du travail.

Monsieur Da Silva, vous avez insisté sur l'écart existant entre l'offre et la demande. Je ne reviendrai pas sur tous les efforts de formation qui vont être faits. Dans la rénovation de l'offre de Pôle emploi, il y a des initiatives très intéressantes, comme l'opération #VersUnMétier, qui concerne spécifiquement les métiers en tension. Elle donne de très bons résultats. Par exemple, alors que nous avons besoin, en ce moment même, de 80 000 personnes dans le numérique, pour des CDI bien payés, avec une perspective d'avenir et de carrière, beaucoup de personnes s'interdisent une telle reconversion. À Montreuil, dans la grande école du numérique, j'ai rencontré une boulangère qui avait développé une allergie à la farine. Elle a été embauchée pour faire du codage et du développement web, alors qu'elle n'aurait jamais imaginé pouvoir se reconvertir dans le numérique, pendant qu'il fallait être un geek matheux. Cet exemple, pris parmi des milliers, montre qu'il faut développer la culture du changement de métier pour répondre à l'évolution des besoins. La reconversion ne doit plus être un drame qui se joue au pied du mur, mais une pratique tout au long de la vie. Le CPF sera un outil stratégique dans ce cadre.

Les écoles de la deuxième chance verront une augmentation de 2 000 postes. Un vingtième EPIDE a ouvert. Nous y croyons beaucoup.

Madame de Vaucouleurs, nous allons généraliser les emplois francs à tous les QPV. Si le nom du dispositif, qui vient de prendre son envol, est le même que sous le précédent quinquennat, le principe diffère, puisque le précédent n'avait concerné que 300 personnes, quand le nôtre touchera environ 17 000 personnes en fin d'année. Pour l'année prochaine, avec la généralisation des sites, ce seront 40 000 personnes qui seront concernées.

Les CDD dits « tremplin » sont une innovation pour les personnes en situation de handicap. Nous attendons environ 4 000 postes pour l'année prochaine. Ce dispositif encore expérimental vise à encourager les entreprises adaptées à embaucher des personnes, en sachant d'emblée qu'elles iront vers l'emploi ordinaire. J'ai ainsi vu une entreprise adaptée travailler avec le futur employeur, Airbus en l'occurrence, qui s'était impliqué dans la démarche de recrutement.

J'ai répondu à M. Vallaud à propos du chômage des jeunes, qui diminue. S'agissant des ordonnances, je vous propose de répondre plus tard, ne disposant pas encore du rapport que vous avez écrit avec M. Pietraszewski.

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