Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 31 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Action extérieure de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces dernières semaines, le vent de la colère a soufflé dans bien des endroits du globe. Nous avons vu des populations se lever contre l'autoritarisme parfois, contre les inégalités souvent, pour leurs droits toujours. Du Chili au Liban, de l'Irak à la Catalogne, de Hong Kong à l'Algérie, le souffle de l'émancipation a jeté des graines de liberté aux quatre coins du monde. Qui sait quels arbres en sortiront ? Ce grand concert des peuples nous rappelle l'importance première de notre diplomatie, qui se fait l'interface entre la France et le monde.

Or notre monde vacille, parce qu'il est souvent tiré du côté de l'obscurité par la menace climatique, par le danger terroriste, le péril guerrier. Il est aussi plongé dans les inégalités par la globalisation néolibérale. Mais il est aussi, parfois, tiré vers la lumière lorsque surgissent les aspirations populaires, les mobilisations pour l'écologie, le bien vivre et la démocratie. Dans cette éternelle tension qui fait l'histoire, la France doit peser de tout son poids et de toutes ses valeurs fondatrices. L'enjeu de ce budget pour l'année à venir est pour nous de remonter sérieusement une juste implication de l'État français dans le vecteur diplomatique. J'aimerais bien que nous soyons plus enclins à consolider la diplomatie qu'à vendre des armes.

Quand on voit les ambitions affichées par Emmanuel Macron sur la scène internationale, qui multiplie les slogans et les effets d'annonce, on s'imagine que le budget 2020 va faire la part belle à notre diplomatie. Hélas, l'augmentation dérisoire de l'enveloppe affectée au Quai d'Orsay est très loin de compenser la baisse drastique de ce budget depuis des décennies. En trente ans, le Quai a perdu 53 % de ses effectifs. Entre 2018 et 2019, son enveloppe a fondu de 158,7 millions d'euros. Le ministère des affaires étrangères, qui ne pèse qu'à peine 1 % du budget de l'État, est soumis à une cure d'austérité qui entrave sa liberté de mouvement – quelle ironie ! – qui l'empêche de sentir, d'analyser et donc de peser dans les soubresauts du monde.

Notre inquiétude n'est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative. Je pense en particulier à la diplomatie économique, grande préoccupation macroniste qui irrigue l'ensemble de ce budget. Qui s'en étonnera ? Dans le concert des start-up nations, la diplomatie finit par se mouler dans la logique du profit. Ainsi nos diplomates auront pour directive d'établir la liste de dix contrats prioritaires et de faire remonter toutes les huit semaines un point d'avancée sur leur négociation. Le Gouvernement pose donc sur la tête de nos ambassadeurs la casquette de représentant d'entreprises privées. Je crains que cette casquette, bien grande et inappropriée, finisse par retomber sur leurs yeux.

Bienvenue, mes chers collègues, dans l'ère de la « diplomatie agile ». Il faut dire qu'il leur en faudra de l'agilité à nos diplomates, s'ils doivent à la fois assurer leurs missions de médiation et de représentation tout en veillant à la croissance de nos entreprises, tout ceci avec un budget grevé par l'injonction managériale à faire toujours plus avec moins de moyens. Ils risquent même de se transformer en acrobates, pris en étau entre leur fonction de représentant de notre pays et celle de VRP des entreprises françaises.

Le cas de Lafarge, que j'ai évoqué en commission, montre que le soutien à l'intérêt des entreprises peut être totalement contradictoire avec les intérêts de la France, en l'occurrence la lutte contre Daech.

La diplomatie n'est pas un cirque : elle est notre voix qui porte dans l'écho lointain du monde. Ainsi, quand le monde tout entier bruit des murmures d'une voix nouvelle et des grognements des périls qui nous guettent, nous mettons notre diplomatie sous séquestre en la soumettant à un impératif économique vide de sens. Toutes nos valeurs sont-elles à ce point dépouillées pour que nous détournions notre présence étrangère vers l'obsession de la compétitivité ? Les affaires étrangères de la France ne sont-elles plus que des affaires à faire à l'étranger ? Ce n'est décidément pas notre conception de la diplomatie.

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