Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mardi 5 novembre 2019 à 21h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires chargé des collectivités territoriales :

Nous avons pris le temps nécessaire pour bâtir le projet de loi initial. Une forme de coconstruction a été observée, d'une part avec les deux chambres, en consacrant du temps à chacun des présidents de groupe et des chefs de file des groupes politiques pour le texte – je les en remercie –, d'autre part avec l'ensemble des associations d'élus. Nous sommes repartis des quatre-vingt-seize heures du grand débat entre le Président de la République et les maires, qui, outre les nombreux retours du terrain, constituent pour nous la base de travail sur laquelle avancer.

En effet, le Sénat a enrichi le texte, à tout le moins du point de vue quantitatif. En matière de qualité, l'esprit du texte initialement présenté par le Gouvernement est toujours présent. Les lois territoriales appellent parfois de nombreux amendements ; en l'occurrence, plus de 1 000 ont été déposés pour la présente commission. Nous prendrons donc le temps de les examiner avec beaucoup d'attention.

Le projet de loi, dont Jacqueline Gourault vous a présenté les grandes lignes, traite de trois idées centrales.

En premier lieu, de l'idée de complexité, dans laquelle de nombreux élus locaux se trouvent ; ils ont en effet le sentiment qu'il est plus compliqué d'être maire ou adjoint au maire aujourd'hui qu'il y a vingt ou trente ans. De la même manière, il est désormais plus compliqué d'être chef d'entreprise ou président d'une association. J'ai pu le mesurer à l'occasion des quinze jours de débats au Sénat et de l'examen des 1 000 amendements, mais aussi lors des nombreuses consultations menées en amont : la simplification, en France, est quelque chose de compliqué. En effet, il est beaucoup question de liberté et d'assouplissement dans les textes et les discours à la tribune, et pourtant la plupart des amendements visent à rendre des mesures obligatoires. On parle de liberté, mais en définitive, on aime profondément l'égalité. Il est question de faire confiance au terrain, à la proximité, aux élus locaux et à l'intelligence territoriale – telle sera notre grille de lecture lors de l'examen des amendements –, mais l'on s'aperçoit très vite que cette confiance affichée n'empêche en rien de tout rendre obligatoire depuis Paris. Ce mouvement n'est pas issu du texte initial défendu par le Gouvernement, mais résulte bel et bien des amendements. Si nous voulons faire vivre la liberté territoriale locale et nous revendiquer véritablement comme Girondins, nous devons arbitrer entre la liberté locale et l'égalité territoriale : les situations ne seront peut-être pas toutes identiques dans l'ensemble du territoire, mais tel est le corollaire de la liberté.

En matière de simplification, déplacer des seuils n'a pas été évident, pas plus que rendre facultatives des choses obligatoires ou imaginer des procédures nouvelles, telles que le rescrit normatif. Simplifier, dans notre pays, est un combat difficile. Aujourd'hui, le texte ne va pas assez loin en matière de simplification. Il sort du Sénat avec plus d'obligations que dans la version initialement proposée par le Gouvernement, puisque celle-ci n'en comportait aucune. Avec Jacqueline Gourault, nous nous rangerons bien évidemment à la sagesse du Parlement, mais il n'est pas inintéressant de constater que malgré les discours prônant la confiance envers les élus locaux, tenus jusque devant le congrès de l'association des maires de France, le résultat est une augmentation du nombre de normes. Ce caractère normatif s'explique aussi par la pression sociétale très forte en la matière. Ainsi, si le règlement général sur la protection des données (RGPD) s'applique désormais dans les communes, même les plus petites, c'est parce que les citoyens demandent des garanties s'agissant de l'utilisation de fichiers, tels que les listes électorales ou celles des bénéficiaires des cantines.

Quoi qu'il en soit, la promesse initiale de ce projet consiste à redonner de la confiance et de la liberté. Or un certain nombre d'amendements nous montreront que la liberté est un combat qui n'est pas simple, mais que nous devrons mener.

La deuxième idée que traite le projet de loi est le sentiment de dépossession des maires. Ces derniers sont tout à fait disposés à assumer leurs erreurs, mais pas s'il s'agit de décisions ne relevant pas de leur responsabilité, ou dont ils ont été écartés. Cette problématique concerne deux types de relations : celle du maire et de la commune avec l'État, abordée par de nombreux amendements, et celle entre la commune et l'intercommunalité, modifiée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Nous fêtons cette année le vingtième anniversaire de la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement ; pendant des années, l'intercommunalité a été vécue comme une occasion de mutualiser les bonnes comme les mauvaises nouvelles, d'être plus intelligents à plusieurs, de réaliser en commun des investissements qui n'auraient pu être effectués seuls, et d'imaginer à plusieurs des compétences stratégiques telles que le développement économique ou le tourisme. La loi NOTRe a pu donner le sentiment d'abîmer le bloc communal, en laissant penser que l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) devenait une collectivité territoriale à part entière, une sorte de super-commune mettant sous tutelle les communes adhérentes. Le projet de loi vise à remettre la commune au coeur de l'intercommunalité et les maires au centre de la gouvernance, sans pour autant mener une opération de déstabilisation.

La génération des élus municipaux issue de la dernière élection a connu de nombreuses difficultés : baisse des dotations de l'État, loi NOTRe, loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles dite loi MAPTAM, etc. Elle a également montré un goût prononcé pour les grandes intercommunalités et les vastes régions, que j'ai personnellement combattu. Il n'est pas aujourd'hui question de promettre à la prochaine génération un énième grand soir territorial. Avec ce texte, il s'agit de corriger l'existant, sans donner l'impression que la prochaine génération d'élus locaux devra consacrer sa première année de travail à régler des problèmes de tuyauterie, pardonnez-moi l'expression, ou de gouvernance. Bien au contraire, ils devront être en mesure d'exercer leurs compétences et de réaliser leurs projets.

Le texte initial permettait cet équilibre ; le Sénat a certes amélioré certains points, mais en a déstructuré d'autres, notamment concernant les compétences en matière d'intercommunalité. Nous devrons y revenir par le biais des amendements, en particulier s'agissant du triptyque des intercommunalités : les compétences, la gouvernance et le périmètre. Concernant ce dernier, nous sommes proches du but. De nombreux amendements ont trait à la gouvernance, car nous avons du mal à arrêter une doctrine entre la liberté et les obligations. S'agissant des compétences, je m'attacherai à ce que le volet budgétaire et financier fasse l'objet d'une attention particulière. En effet, si le Parlement avait été davantage éclairé sur les conséquences de la loi NOTRe au sujet des dotations de l'État, certains choix institutionnels n'auraient peut-être pas été effectués. De même, des regroupements d'intercommunalités et des choix en matière de compétences n'auraient pas été opérés par les élus locaux si ces derniers avaient eu une connaissance approfondie de leurs conséquences financières et budgétaires.

Le projet de loi traite enfin d'une troisième idée, celle de la protection du maire, dans son engagement et dans son autorité politique, juridique et morale. Notre société traverse une crise de l'engagement inédite, qui n'épargne aucun secteur : ainsi, il est désormais plus compliqué de trouver des colistiers, des sapeurs-pompiers volontaires, des réservistes dans l'armée ou la gendarmerie, ou encore des syndicalistes. Or, depuis 1789, notre modèle de démocratie locale repose sur la commune, plus précisément sur les paroisses qui ont été transformées en communes dès le mois de novembre 1789 et par le biais des décrets du mois suivant. La crise de l'engagement dans la vie municipale peut avoir un impact particulièrement important sur l'organisation des pouvoirs publics à la française tels que nous les connaissons. Les mesures que nous vous proposons pour y remédier n'ont rien de révolutionnaires ; toutefois, depuis quinze ans, aucun texte n'avait été consacré uniquement au bloc communal. En effet, la loi NOTRe ne le concernait pas exclusivement ; de plus, ses résultats ne sont pas tous satisfaisants.

Le projet de loi vient ainsi baliser l'engagement et proposer aux élus locaux des outils d'accompagnement pour le faciliter. Ce faisant, il marque un virage déterminant dans l'action que nous souhaitons mener. En matière de protection de l'autorité du maire, des dispositions existaient avant l'été, concernant notamment la police administrative et l'accompagnement juridique. Dans le cadre de cette discussion générale, comment ne pas penser au maire de Signes, qui a tragiquement perdu la vie ? La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales lui a remis la légion d'honneur à titre posthume. Ce décès a remis la lumière sur une fonction assumée par les maires : ce sont des agents de l'État. À ce titre, non seulement ils ont le droit de revêtir l'écharpe tricolore, mais ils sont également officiers de police judiciaire et officiers d'état-civil. Nous sommes très attachés à ce modèle français. Les maires ne rejettent pas l'exercice de ces fonctions d'agents de l'État ; en revanche, ils demandent que leur soient donnés les moyens de les exercer correctement. Ainsi, depuis que je suis ministre, je n'ai jamais rencontré de maire qui déclare ne plus vouloir exercer ces fonctions, qui sont anciennes au sein de la République. Parmi ces moyens, certains sont attendus depuis longtemps : l'équité, l'assurance juridictionnelle et l'accompagnement psychologique, dont certains se sont moqués à tort, car il répond à une demande concrète. Nous avons reçu des maires, victimes d'agressions au cours des six derniers mois, qui se sont présentés au tribunal correctionnel sans avocat, afin de ne pas faire peser cette charge financière sur leur commune ; dans le même temps, leurs agresseurs étaient eux défendus par un avocat. Nous souhaitons que de telles situations ne se présentent plus. L'assurance juridictionnelle apportera une équité importante, permettant à tous les élus de la République de bénéficier d'un socle minimal d'accompagnement juridique.

D'autres mesures permettront également de redonner de la force à l'autorité municipale : il s'agit de transférer des responsabilités en matière de police administrative, relevant jusqu'à présent des préfets, au niveau du maire, l'autorisant à prononcer des sanctions, notamment concernant le dépôt des déchets, les débits de boissons, l'élagage ou encore le droit de l'urbanisme. Ces sujets très divers ne sont sans doute guère spectaculaires, mais pour quiconque connait la vie municipale dans les collectivités, ils sont concrets et quotidiens.

Nous avons opéré trois choix méthodologiques. Dans le statut de l'élu, nous avons pris la peine de réformer la formation par voie d'ordonnance. Nous ne souhaitons bien évidemment pas déposséder le Parlement de ses prérogatives ; toutefois, connecter la formation des élus au compte personnel de formation (CPF) et au droit individuel à la formation (DIF) – cher à Jacqueline Gourault qui en est la créatrice – demande beaucoup de technicité. De plus, je ne souhaite pas réformer la formation des élus sans prendre le soin de rencontrer les présidents de chaque formation politique. En effet, ces dernières, tout comme les grandes associations d'élus, disposent de leurs propres organismes de formation. Cette question mérite une négociation ad hoc.

Nous avons choisi de ne pas traiter des questions des métropoles et des communautés urbaines. Le très grand nombre d'amendements déposés, alors même que ces questions ne sont pas traitées dans le projet de loi, conforte ce choix. Je rappelle par ailleurs que lors du précédent quinquennat, les lois MAPTAM et NOTRe avaient déjà été dissociées. Nous vous proposons donc de réserver, dans un titre du projet de loi dédié aux questions métropolitaines et de communautés urbaines, l'ensemble de ces questions. Par conséquent et pour des raisons évidentes de méthodologie, nous repousserons tous les amendements qui les concerneraient.

Enfin, nous avons fait le choix d'adapter les dispositions du projet de loi à l'outre-mer par voie d'ordonnance. En effet, le statut de la commune fait parfois l'objet d'adaptations à des droits plus locaux ou à des organisations différentes, notamment dans la zone de l'océan Pacifique. Ainsi, le Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française n'a pas exactement les mêmes prérogatives qu'un préfet en territoire métropolitain. Le code général des collectivités territoriales (CGCT) ne s'applique pas toujours de la même manière. C'est pourquoi, pour des questions de lecture du droit, nous procèderons par ordonnance. Néanmoins, je ne souhaite aucunement priver les parlementaires de leur droit de regard, qui est essentiel. Par conséquent, nous constituerons un groupe de travail ad hoc, constitué de parlementaires ultra-marins ou non, afin d'élaborer l'ordonnance d'adaptation du projet de loi à l'outre-mer.

Enfin, je tiens à remercier les députés qui ont joué le jeu de la coproduction et du travail mené en amont, ce qui nous a permis de tracer des lignes directrices assez claires et de réaliser un travail pragmatique et utile au service de nos collectivités territoriales.

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