Intervention de Pierre Morel-À-L'Huissier

Séance en hémicycle du lundi 18 novembre 2019 à 16h00
Engagement dans la vie locale et proximité de l'action publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-À-L'Huissier :

Les revendications dérapent jusqu'à mettre en cause la personne même du Président de la République et nos institutions. L'ordre républicain est abîmé, même si les forces de sécurité sont au rendez-vous. Comment ne pas être choqué que des pompiers soient pris à partie au point d'être obligés de reculer sous la protection de CRS ? Le Parlement devrait être saisi de cette question, en parallèle d'une conférence sociale demandée par certains de nos collègues : Jean-Christophe Lagarde, Patrick Mignola et Hervé Marseille. La situation est très grave, vous le savez. Vous avez dit vous-même, monsieur le ministre, dans une interview dans Le Point, que la crise n'était pas derrière nous, mais devant nous. Je ne peux que vous rejoindre sur ce constat, d'autant que vous avez vécu en première ligne le grand débat national. Vous nous présentez cet après-midi un projet de loi censé répondre aux attentes locales exprimées lors du grand débat national, auquel j'ai participé.

Dans la crise actuelle, l'affaiblissement du rôle du parlementaire est peut-être venu ajouter aux difficultés. J'ai toujours estimé qu'un parlementaire était une véritable sentinelle de territoire, un modérateur, un confident, un sachant, un conseiller – bref, une entité à dimension humaine pouvant être contactée par tout le monde, que ce soit par des élus, par des représentants associatifs, par des chefs d'entreprise ou par des citoyens. Depuis dix-huit ans de vie parlementaire, je parcours 7 000 kilomètres par mois, étant le seul député du département de la Lozère ; 8 000 dossiers sont ouverts dans ma permanence, pour une population de 76 000 habitants. Je ne cède rien et bouscule préfets, administrations centrales, régionales et départementales. Je mesure tous les jours le fossé qui s'est creusé entre les institutions, l'administration française et les citoyens – le défenseur des droits l'a d'ailleurs clairement dénoncé il y a peu.

S'agissant des institutions, tout est désormais trop complexe. Déconcentration et décentralisation sont, en quelque sorte, devenues des soeurs ennemies qui s'opposent. Pour aller plus loin, je vous pose cette question, un peu brutale : qui exerce réellement le pouvoir, aujourd'hui, en France ?

Vous êtes sur le banc des ministres, et moi je suis membre de la représentation nationale. Combien de fois ai-je entendu, après le dépôt d'un amendement ou d'une question : « Qu'en pense Bercy ? » C'est inacceptable dans un pays qui se veut une République démocratique, représentative et décentralisée. Vous pourrez proposer tous les textes que vous souhaitez, le mal français provient du fait que le pouvoir politique a abandonné le combat face à l'administration française.

Nous sommes dans une fausse décentralisation, où le simple élu de base tend, à longueur de temps, la main à l'État pour subvenir à ses besoins ou pour obtenir telle ou telle autorisation. Les maires sont les sous-traitants – pour ne pas dire les supplétifs – de l'appareil d'État.

À cela s'ajoute la complexité de notre millefeuille institutionnel. Je ne boude pas mon plaisir de vous le présenter : 37 500 communes historiques ; 1 500 communes nouvelles ; 3 000 SIVU – syndicats intercommunaux à vocation unique – ; 2 000 SIVOM – syndicats intercommunaux à vocation multiple – ; de nombreux pays ; des PETR – pôles d'équilibre rural et territorial – ; des syndicats mixtes ; sans oublier 101 départements ; des ententes départementales ; des structures départementales comme les SDIS – services départementaux d'incendie et de secours – ; des associations publiques et parapubliques ; enfin des régions XXL. Nous avons créé un manteau d'arlequin, qui dissimule un millefeuille administratif ainsi que des baisses autoritaires et massives de dotations, sans tenir compte d'aucune réalité territoriale ni d'aucun bassin de vie.

Le malaise des maires est profond. Cela fait trop longtemps que je n'ai pas entendu un maire me dire avoir été écouté et avoir obtenu des réponses satisfaisantes de l'administration ! Comment voulez-vous, aujourd'hui, qu'un citoyen ou qu'un élu s'en sorte, d'autant que les juridictions administratives participent à la complexité en ajoutant du droit au droit ?

Pour couronner le tout, la loi MAPTAM – de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles – et la loi NOTRe sont venues créer un véritable bouleversement : des grands cantons qui ne correspondent plus à des bassins de vie, des grandes « intercos » avec un minimum de 5 000 habitants, obligeant certains élus à faire deux heures de route – qu'ils ne font plus, d'ailleurs – et des grandes régions, au nombre de treize au lieu de vingt-six.

Je vous le dis avec fermeté : la France n'a jamais eu besoin de ces grands machins pour être un grand pays. En revanche, elle a toujours eu besoin de ses élus locaux ; ce n'est pas pour rien qu'ils sont les figures politiques les plus populaires.

Comment redonner une identité française à nos citoyens si la municipalité, qui en est le marqueur depuis la Révolution, n'est plus considérée ? Notre commune, c'est ce qui nous lie à la France, c'est le ciment de notre fraternité. Nous y grandissons, nous y apprenons la vie de la cité, nous y rencontrons nos amis. Face à ce défi, l'État n'a ni la vocation ni les moyens d'apporter une réponse efficace. Ne voyez ici aucune opposition entre les élus locaux et l'État : je vous parle d'une complémentarité perdue, d'une communauté de destin à réparer.

En 2017, les dotations de l'État étaient inférieures de plus de 11 milliards d'euros à ce qu'elles étaient trois ans plus tôt. Cela a provoqué une hausse de la fiscalité locale, donc le transfert de l'impopularité fiscale de l'État vers les communes.

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