Intervention de Brune Poirson

Réunion du mardi 19 novembre 2019 à 18h00
Commission des affaires économiques

Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire :

Je suis ravie d'entamer le parcours du projet de loi à l'Assemblée nationale avec vous, les députés de la commission des affaires économiques.

Avant toute chose, la transition écologique, c'est une transition économique. Elle dépend de notre capacité à transformer en profondeur nos manières de produire et de consommer. Alors que l'urgence climatique n'a jamais été à ce point d'actualité, il est temps d'adopter un modèle de développement plus sobre en ressources, qui ne pénalise ni notre économie, ni les plus modestes d'entre nous. Nous devons trouver un équilibre qui nous permette de sortir de l'opposition stérile entre la décroissance, dont les premières victimes pourraient être les Français les plus fragiles et les plus précaires, et la croissance à tous crins, celle du profit pour le profit, qui n'est absolument pas durable – il suffit de regarder les chiffres et le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), par exemple. Je crois qu'il existe une troisième voie, celle de l'économie circulaire, qui consiste à découpler la croissance économique de l'exploitation des ressources naturelles. Pour l'économiste Nicholas Stern, c'est cette voie que doit emprunter la croissance de notre siècle. Elle revient à construire un nouveau projet de société, une économie qui a du sens ; à repousser les frontières de l'innovation et de la créativité, pour transformer en profondeur nos modes de production et de consommation. Pour résumer, il s'agirait de passer d'une société du tout jetable à une société du tout réutilisable.

La bonne nouvelle, c'est que la transition a déjà commencé. Les entreprises sont en chemin, comme j'ai eu l'occasion de le constater dans le cadre de l'élaboration de la feuille de route pour l'économie circulaire, qui a précédé l'élaboration du projet de loi et a représenté un large travail de concertation avec l'ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles les collectivités locales, les organisations non gouvernementales (ONG) et les entreprises. Ces dernières savent qu'elles doivent transformer, parfois radicalement, leur modèle d'affaires, si elles veulent continuer à travailler et à répondre aux attentes des Français et de leurs employés. J'en veux pour preuve le pacte national contre le suremballage plastique, que nous avons signé et que nous sommes en train de défendre au niveau européen avant même de voter le projet de loi.

Le socle principal du projet de loi est de lutter contre le gaspillage, qui symbolise l'absurdité des excès du système économique actuel. Je pense à l'interdiction d'éliminer les produits invendus ou de les rendre impropres à la consommation. Aujourd'hui, en France, on détruit cinq fois plus que ce que l'on donne. Chaque année, entre 650 et 800 millions d'euros de produits neufs, en parfait état d'utilisation, sont incinérés ou mis en décharge, alors que 3 millions de Français sont dans une situation de précarité, notamment parce qu'ils n'ont pas accès à certains produits de première nécessité. Il faut lutter contre ces situations absurdes, en favorisant la solidarité et en réduisant la surproduction. Par exemple, 1,7 million de femmes françaises n'ont pas les moyens de s'acheter des protections hygiéniques chaque mois quand, dans le secteur de l'hygiène et de la beauté, le ratio entre la destruction ou le recyclage et les dons est le plus mauvais, avec 91 % de destruction ou de recyclage pour 9 % de dons.

Autre grand principe de la loi : refonder le pacte des filières pollueur-payeur pour participer à la réindustrialisation de la France. Les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) ont été créées en 1975, au moment de la dernière grande loi sur les déchets, révisée en 1992. Il faut repenser ce système astucieux, qui impose aux fabricants et aux distributeurs de gérer la fin de vie de leurs produits. Il a fait ses preuves et a d'ailleurs été repris par d'autres pays européens. Historiquement, ces filières ont été pensées pour gérer l'aval. Aujourd'hui, nous voulons qu'elles prennent en considération l'amont, soit la façon dont les produits sont fabriqués. Nous voulons utiliser ce cadre juridique pour fixer aux entreprises des objectifs qu'il nous semble indispensable d'atteindre, en matière de réemploi, de réutilisation, de réparation ou d'éco-conception.

Pour ce qui est des méthodes, nous voulons faire évoluer le système de gouvernance, de sorte que les filières REP soient plus transparentes, plus redevables et plus libres dans leurs choix pour atteindre les objectifs définis par l'État, sans que cela empêche le contrôle. Nous souhaitons, par exemple, créer une filière pollueur-payeur du bâtiment. Nous fixerons des objectifs, en laissant aux entreprises la possibilité de s'organiser comme elles le souhaitent. Nous voulons également structurer des filières industrielles en France, parce que nous devons rester à l'avant-garde des innovations technologiques et de process. C'est un enjeu de souveraineté pour la France pour ce qui est de la récupération des métaux rares, par exemple. Ce sont aussi des emplois locaux non délocalisables. En plus des quatorze filières REP existantes, nous voulons en créer huit nouvelles, pour les jouets, les articles de sport, les mégots, les lingettes, les filets de pêche ou encore les véhicules hors d'usage. Nous voulons aussi fixer aux filières REP des objectifs d'insertion et de solidarité. Nous voulons également créer un système de traçabilité des déchets, indispensable pour industrialiser le secteur. Je rappelle que l'économie circulaire représente un potentiel de 300 000 emplois.

Troisième pilier : encourager la transparence. La confiance est la monnaie de la transition écologique. Le défi est de donner aux Français les moyens d'agir en faveur de la transition, sans opposer « fin du monde » et « fin du mois ». Je suis convaincue que si on leur donne des moyens, sans les pénaliser, ils feront le choix de l'environnement. Encore faut-il qu'ils puissent le faire et qu'ils aient accès à l'information le leur permettant. La transparence doit être faite, par exemple, sur l'impact environnemental ou la réparabilité des produits qu'ils consommeront ou encore sur le bon geste de tri à effectuer. Demain, ils pourront consommer en connaissance de cause et participeront, de fait, à l'orientation du marché, grâce aux informations qui leur seront fournies en toute transparence.

Quatrième point important : donner plus de moyens aux collectivités pour renforcer le système public de gestion des déchets. Sans nos collectivités, il n'y aura pas de transition, dont l'échelon pertinent est bien l'échelon municipal. Nous devons leur donner de nouveaux moyens et de nouveaux pouvoirs. En augmentant le nombre des filières REP, on opère un transfert de près de 500 millions d'euros des entreprises vers les collectivités. Par exemple, les dépôts sauvages coûtent entre 350 et 420 millions d'euros aux collectivités locales. Nous devons faire en sorte que la filière du bâtiment prenne aussi ses responsabilités et participe à l'effort en matière de lutte contre les dépôts sauvages aux côtés des collectivités et des maires, qui sont souvent en première ligne – souvenons-nous du drame de Signes cet été. C'est aussi pour cela que nous voulons renforcer le pouvoir de police du maire.

Le texte offre des occasions énormes aux territoires pour développer l'emploi local, le recyclage, l'économie sociale et solidaire, dans les ressourceries ou chez les petits réparateurs. Une tonne de déchets recyclés crée dix fois plus d'emplois qu'une tonne de déchets enfouis. On ne peut pas ne pas donner aux collectivités locales les moyens de développer des solutions pour faire émerger ces emplois.

Un autre point du projet de loi a été beaucoup discuté : la consigne, que j'ai mentionnée pour la première fois en avril 2018 et qui fait l'objet de discussions depuis plusieurs mois. Pas plus tard que la semaine dernière, une concertation a eu lieu au ministère de la transition écologique et solidaire avec le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Vendredi dernier, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a créé des groupes de travail, que nous allons rencontrer en début de semaine prochaine. À ce stade, je voudrais vous faire, non des annonces, mais un point d'étape sur l'état des discussions. Le Sénat nous a envoyé un message. Je souhaite que nous repartions de leur copie. Leur voeu est celui de la consigne pour réemploi, et nous y travaillons. Dans le secteur des emballages, la consigne du verre pour réemploi permet de promouvoir le modèle de demain, moins producteur de déchets, de plastique et de jetable. Mais ce type de transformation ne se décrète pas. Il faut tracer un chemin de transition pour parvenir à dépasser l'injonction et à développer le projet d'une société du réemploi. L'incantatoire n'est pas utile. C'est pour cela que les ONG nous poussent à mettre en place un système mixte permettant de déployer un dispositif destiné à la reprise du verre financé par un système de reprise du plastique.

Le chemin de la transition se définit par plusieurs grands principes structurants, qui reflètent les lignes rouges que nous ont fixées les collectivités. Nous pensons que le plastique à usage unique n'est pas l'avenir et qu'il faut sortir de la société du tout jetable. Le recyclage est une solution de transition, pas une fin en soi, qui doit permettre le déploiement du réemploi.

Premièrement, le plastique doit financer le verre ou un autre matériau durable.

Deuxièmement, le système public de gestion des déchets, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, doit être préservé à tout prix. La consigne doit faire partie intégrante du système public de gestion des déchets, en laissant toute latitude aux élus locaux pour décider comment, où et dans quelles conditions la consigne s'applique sur leur territoire. Le Président de la République l'a dit aujourd'hui : rien ne se fera sans les maires. L'extension des consignes de tri et le bac jaune restent plus que jamais d'actualité. La consigne n'est qu'un bac de plus.

Troisièmement, je le répète, rien ne pourra se faire sans les collectivités. Ce sont donc elles qui doivent décider du maillage territorial des points de collecte, en particulier pour s'assurer que nous luttons contre les consignes sauvages qui commencent à émerger et qui tendent à favoriser un modèle sur des parkings de supermarchés.

Quatrièmement, les collectivités ne doivent pas perdre un euro. Tous les investissements seront maintenus et le soutien de l'éco-organisme Citeo restera inchangé, conformément à la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement dit loi « Grenelle 1 » et à la directive européenne qui vient d'être adoptée.

Cinquièmement, les collectivités peuvent opter pour un système soit directement géré par elles, soit géré par le futur éco-organisme qui sera en charge de la consigne. Dans tous les cas, c'est l'éco-organisme qui prendra en charge la totalité des coûts d'investissement et de fonctionnement du système de consigne.

Sixièmement, l'éco-organisme qui gère la consigne ne peut pas faire de profit. Ce doit être un organisme à but non lucratif. Ainsi, l'intégralité des revenus de la consigne sera réinvestie dans l'infrastructure et le fonctionnement du système de consigne, en particulier pour soutenir les solutions de déploiement du réemploi.

Au-delà des considérations techniques, il ne faut pas oublier que ce sont les Français qui nous ont demandé de leur proposer un système de consigne, parce qu'ils sont, comme vous tous, choqués de savoir que 200 millions de bouteilles en plastique se retrouvent chaque année dans la nature ou que, sur les quelque 17 milliards de canettes et de bouteilles en plastique utilisées chaque année en France, la moitié seulement est recyclée, ce qui signifie que 7 milliards de canettes et de bouteilles sont brûlées ou mises au fond d'un trou. Si nous voulons progresser dans la collecte et accélérer le réemploi, cela devra se faire avec les collectivités locales.

Le projet de loi vise à transformer en profondeur nos modes de production et de consommation, pour accélérer le passage d'une société du tout jetable à une société du tout réutilisable. Au-delà d'un simple texte technique, c'est un projet de société que nous défendons, qui vise à donner à chacun les moyens d'aller au bout de ses capacités, pour préserver l'environnement et basculer dans un nouveau système digne des ambitions et de l'urgence du XXIe siècle.

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