Intervention de Général Thierry Burkhard

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Thierry Burkhard, chef d'état-major de l'armée de Terre :

Un système doit être livré l'année prochaine. Vous l'avez compris, ces équipements seront livrés au 61e régiment d'artillerie (RA). Ce matériel apportera une plus-value extraordinaire et s'intègrera parfaitement dans la bulle info-valorisée Scorpion.

Une partie du travail consistera à former les opérateurs – les pilotes de systèmes de drones. Mais le vol n'est qu'une première étape : il faut aussi une parfaite intégration en termes de coordination 3D avec aussi les différents intervenants des armées et principalement avec l'armée de l'air. Ce n'est pas tout, il est également essentiel de bien orienter ces capteurs, dans les bonnes zones. Il y a également le travail d'analyse des images qui nécessite toute une chaîne d'exploitation. Le 61e RA maîtrisera la totalité de ces capacités et de ces compétences, depuis la formation des pilotes et des équipages de pistes jusqu'aux parties orientation du capteur, exploitation des images et production de renseignement. Je suis confiant, et nous serons très vigilants.

À mes yeux, la question de l'armement du Système de drone tactique (SDT) est réglée. Dès lors qu'il est jugé logique, raisonnable et efficace d'armer les Reaper, la réponse va de soi pour les autres drones. Dans le combat moderne, il importe de traiter rapidement des objectifs très furtifs. Dès lors, il serait tactiquement absurde que nous ayons un capteur capable de surveiller une grande zone et de détecter l'objectif recherché et de faire appel à d'autres moyens, souvent éloignés, pour le détruire. Cela étant, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, le Patroller ne sera pas un moyen d'appui sur le champ de bataille, il n'est pas fait pour cela, mais qu'il ne puisse pas traiter instantanément un objectif à haute valeur ajoutée n'aurait pas de sens.

Mme Sereine Mauborgne, la formation de nos caporaux et de nos sergents, contribue à augmenter le taux d'encadrement. Notre institution se caractérise d'abord par le fait de placer nos hommes en situation de pouvoir remplacer leur chef. C'est un peu ce qui caractérise l'armée de Terre : un soldat a vocation à devenir caporal, un caporal, sergent, et ainsi de suite. C'est un processus finalement assez puissant, qui nécessite de bien former les gens et de toujours leur donner une perspective d'avenir.

La politique des ressources humaines (RH) implique toutefois que cela corresponde aussi à des emplois – former un caporal et ne pas lui donner des responsabilités de son niveau a un effet déstructurant, qui est mal ressenti par tout le monde. Il convient de bien organiser la formation de nos hommes, d'avoir un flux régulier et de confier des responsabilités en correspondance avec le grade.

Vous avez parlé d'ascenseur social mais je préfèrerais plutôt parler d'escalier social car il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton : nos hommes doivent faire des efforts pour s'élever ! C'est le cas. Une grande part de nos sous-officiers est issue du rang, les proportions ont été complètement inversées par rapport à ce que l'on connaissait il y a sept ou huit ans. Il en est de même pour les officiers, où le recrutement semi-direct constitue la majeure partie de l'encadrement.

M. Jean-Jacques Ferrara, vous m'avez interrogé sur les conséquences de la « cuvette » et du manque de moyens de largage pour la formation de nos parachutistes. C'est un vrai problème qui illustre à quel point l'armée de Terre ne peut pas faire la guerre toute seule et qui illustre à quel point nous avons besoin des autres armées.

Il n'est pas possible d'acquérir un savoir-faire technique tel que le parachutisme sans un entraînement soutenu. C'est d'autant plus important que ce type de missions ne se passe jamais comme prévu. Ce fut le cas à Kolwezi où les parachutistes étaient bien plus nombreux dans les avions qu'ils n'auraient dû l'être. L'inspection au sol et dans l'avion n'a donc pas été possible, les soldats étant trop serrés. Pour autant, il n'y a pas eu d'accident au moment du saut parce que les sections ne sautaient pas seulement trois ou six fois dans l'année mais dix ou quinze fois. C'est cet entraînement qui permet, lorsqu'une opération est déclenchée, d'aller un peu plus loin et de gagner.

C'est bien pour cela que l'arrivée trop lente de l'A400M nous met en difficulté. J'estime que nous pouvons y faire face en raison de notre savoir-faire mais… pas longtemps. Nous sommes descendus au seuil limite de six sauts par an lequel, selon moi, est à peine suffisant pour maintenir les qualifications. Avec une moyenne de six sauts par an, nous sommes obligés de faire du chiffre et nous ne faisons pas de la qualité : soit les parachutistes sautent, non-équipés, à 70 dans l'avion, soit ils sont équipés et ils sautent à 40. Lorsqu'il faut faire passer un maximum de gens avec six sauts, ils sont non-équipés or, en mission, les parachutistes le sont forcément. La qualification technique est donc maintenue au détriment de la formation tactique. Il n'est pas possible de procéder ainsi indéfiniment.

Le bout du tunnel se profile, mais les difficultés ne sont pas encore terminées. J'ajoute qu'un contrat d'externalisation est à l'étude avec une société civile pour des sauts à partir d'un avion de largage CASA, ce qui redonnera un peu d'air à la qualification « Troupes aéroportées » (TAP).

M. Michel-Kleisbauer, vous avez raison : le retour d'expérience du 11e régiment d'artillerie de marine à Mossoul a clairement montré l'intérêt des munitions de précision. Nous n'avions pas véritablement besoin d'aller là-bas pour nous en rendre compte mais rien ne vaut l'expérience du terrain. La précision permet d'éviter les dommages collatéraux et notamment en zones urbaines. Elle permet aussi de réduire l'empreinte logistique : tirer un obus de précision pour traiter une cible qui demandait 24 obus traditionnellement permettra donc de réduire le volume de munitions à transporter et mettre en place.

Nous devons donc continuer à développer les munitions de précision qui vont apporter des capacités supplémentaires, dès lors que les industriels auront surmonté les difficultés de conception qui retardent leurs livraisons. Il faut noter que le coût des munitions augmente inéluctablement du fait des évolutions technologiques. A ressources financières équivalentes, les stocks seront inférieurs aux besoins d'un engagement majeur, même s'ils resteront suffisants pour la situation opérationnelle de référence. Il est donc primordial que les industriels restent en mesure d'augmenter leurs capacités de production en cas de remontée en puissance.

M. Yannick Favennec Becot, vous m'avez demandé si nous avions besoin des contrats pluriannuels sur le char Leclerc et le programme FELIN – Fantassin à équipements et liaisons intégrés ? Oui. Le char Leclerc a été conçu dans les années 1990. Si la modernisation du segment médian, avec Griffon et Jaguar, est déjà bien engagée, la relève du Leclerc et du segment lourd c'est le MGCS, Main ground combat system. Le projet avance, le dialogue entre la Direction générale de l'armement et son homologue allemand a déjà bien progressé. Il faut donc y croire et continuer à aller de l'avant. Néanmoins, même si le programme MGCS avançait très vite, le Leclerc doit être rénové à mi-vie, afin d'intégrer, en particulier, ce que l'on appelle la « couche Scorpion ». Le programme Scorpion concerne bien évidemment les véhicules Griffon et Jaguar mais le plus important reste la « couche SICS », le système d'information et de communication Scorpion reliant les engins entre eux, grâce aux postes radios de dernière génération Contact. Nous ne pouvons pas avoir dans l'armée française une configuration où une partie des forces serait reliée entre elles par le système de communication Scorpion et l'autre non. Une partie de la revalorisation des chars Leclerc passe donc par l'intégration des postes Contact. C'est indispensable. Ne pouvant parier sur une arrivée anticipée du MGCS, la rénovation à mi-vie du Leclerc est donc absolument nécessaire.

S'agissant du rapatriement stratégique des blessés, nous disposons de petits avions, des jets, particulièrement opérationnels. Le kit MORPHÉE des C135-FR, en cas de pertes plus importantes, permet de rapatrier plusieurs blessés, ce que permet également l'avion MRTT Phénix.

Dans le suivi des blessés, deux acteurs jouent un rôle principal : au premier chef, le régiment, avec, en appui, la CABAT, la Cellule d'aide aux blessés de l'armée de Terre. Je tiens à lui rendre hommage car elle fait un travail extraordinaire. Du fait du nombre de blessés important qu'elle a dû traiter, elle a acquis une véritable expertise. Psychologiquement, il est assez rude de s'occuper de blessés ou de personnes décédées. S'occuper des familles l'est encore plus. Il faut pouvoir leur expliquer comment les choses se passeront, etc. Ces professionnels sont très attentionnés et très impliqués alors que la charge émotionnelle est très lourde. Je leur tire mon chapeau car ils font des choses extraordinaires.

M. Joachim Son-Forget, quelques 2 000 nouvelles jumelles de vision nocturne (JVN) seront livrées en 2020. Il est toujours possible d'en avoir plus mais un effort considérable a d'ores et déjà été consenti et nous conservons de surcroît une supériorité technologique dans ce domaine. Je serais heureux que nos forces conventionnelles soient aussi bien équipées que nos forces spéciales mais je suis raisonnable et je considère que l'équilibre auquel nous sommes parvenus est correct. Outre l'efficacité et les savoir-faire des forces spéciales, l'un de leurs rôles importants, à mon sens, est aussi d'être une avant-garde pour développer des matériels qui, ensuite, après un inévitable petit décalage, seront déclinés dans les forces conventionnelles.

M. André Chassaigne, le budget pour l'armée de Terre, c'est zéro homme supplémentaire, et ce n'est pas une surprise. Mais je ne peux pas me contredire : l'armée de Terre a besoin de tout le monde et profite également des hommes supplémentaires recrutés dans la partie « cyber » et renseignement. L'armée de Terre bénéficiera en fin de LPM – en 2024 et 2025 - d'un total de 461 hommes supplémentaires.

Vous avez fait part de la déconvenue de certains soldats par rapport à ce qui leur est dit dans les CIRFA, les Centres d'information et de recrutement des forces armées. La vérité se situe probablement entre les deux discours. Il faut bien comprendre la situation un peu particulière des armées : aucune entreprise ne repose sur un modèle comparable.

Quelqu'un se présente dans une entreprise et annonce les compétences qu'il propose. Il est alors recruté ou non. Or, ce n'est pas ainsi que nous procédons. Notre métier n'existant pas, ou peu, hors de nos structures, le défi de l'armée de Terre consiste à expliquer à un volontaire que, compte tenu de son profil psychologique et de ses aspirations, il peut faire ceci ou cela. Il y a, d'une part, des individus qui expriment leurs aspirations et ce qu'ils imaginent pouvoir faire. Il y a, d'autre part, les besoins de l'armée qu'il faut honorer.

Le recruteur essaie en toute honnêteté de comprendre les souhaits du volontaire et de détecter ses capacités tout en les mettant en adéquation avec les besoins de l'armée de Terre. Qu'un jeune soit quelquefois orienté vers une spécialité qui, au final, ne l'intéressera pas est malheureusement inévitable. Il faut travailler pour que ce soit le cas le moins souvent possible, bien évidemment, mais je ne veux pas laisser penser que le recruteur mentirait ou « vendrait du rêve ». Il sait qu'il faut recruter quelqu'un et… le garder, et non pas quelqu'un qui dans deux ou six mois voudra s'en aller. Pendant cette période, en effet, on l'aura formé, hébergé, nourri, on lui aura consacré des moyens et s'il part, il faudra recommencer avec quelqu'un d'autre. Ce n'est pas notre objectif.

Que nous ne parvenions pas à réussir à 100 %, j'en conviens, et il serait utopique qu'il en soit autrement. Je suis néanmoins d'accord : nous avons encore besoin de progresser. Un vrai dialogue est nécessaire avec ceux qui souhaitent s'engager.

M. Bastien Lachaud, s'agissant de la Task force verte, je souhaite dire tout d'abord que si l'une des trois armées est doublement « verte », c'est bien l'armée de Terre. Le soldat de l'armée de Terre vit en effet dehors et il sait que c'est dur : il pleut, il fait chaud, il marche… Cette armée est en contact avec la nature, qui est son milieu naturel. Fondamentalement, l'armée de Terre ne peut que comprendre les intérêts écologiques. C'est peu connu mais nous luttons également pour la préservation de la biodiversité en Guyane, dans le cadre de l'opération Harpie. Les orpailleurs polluent la forêt avec du mercure et c'est l'une des raisons premières de notre lutte contre leurs exploitations illégales.

Au-delà, je dirais que la transition écologique, la moindre consommation d'énergie, ont d'abord des retombées logistiques. Si, dans le Nord du Niger, nous n'avions que des panneaux solaires et de l'eau recyclée, nous aurions quasiment résolu la moitié des problèmes logistiques. Des recherches sont effectuées dans ce domaine-là et l'armée de Terre est très attentive aux avancées qui lui permettront de réduire son empreinte logistique. Des travaux ont également cours dans le domaine des véhicules hybrides car, là encore, le carburant est très pondéreux. La propulsion électrique est tactiquement intéressante, y compris parce qu'elle est silencieuse, mais elle soulève les mêmes problèmes que dans nos villes : il faudra installer des prises de rechargement. Quoi qu'il en soit, nous sommes attentifs à ces avancées-là.

Par ailleurs, des groupes de travail et des protocoles sont organisés, comme dans le cadre de Natura 2000, nos camps de manoeuvre constituant des « espaces verts » assez importants. Nous contribuons ainsi à la protection et à la préservation de l'environnement, par exemple, lorsque des espèces rares sont identifiées.

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