Intervention de Brune Poirson

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 9h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire :

Je suis très heureuse d'être devant vous ce matin pour vous présenter enfin ce projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Ce texte est le fruit de plus de dix-huit mois de concertation. Je sais que ce mot est un peu galvaudé, mais nous avons vraiment réuni, pour élaborer ce texte, tous les acteurs du secteur de l'économie circulaire – et ils sont nombreux ! Organisations non gouvernementales (ONG), associations, élus, entreprises privées, services centraux et déconcentrés de l'État, tous se sont retrouvés pour avancer sur le thème de l'économie circulaire.

Je tiens, d'ailleurs, à vous remercier, toutes et tous, car vous avez été particulièrement présents et novateurs pendant toute la durée de ce travail de concertation, en particulier les rapporteures, au fond et pour avis, qui ont énormément travaillé sur un texte qui, même s'il concerne l'écologie du quotidien, est très technique – bien plus qu'il n'y paraît.

Quelle est la vision qui sous-tend ce projet de loi ? J'aime à me référer à l'anthropologue Marcel Mauss, selon lequel les déchets en disent long sur une société. Force est de constater que la caractéristique de notre société est la production et l'accumulation, la surproduction même, de déchets.

Le premier objectif de ce projet de loi est donc de produire moins de déchets à la source et de lutter contre la surproduction et le gaspillage. Son deuxième objectif est de passer d'une société du tout jetable à une société du tout réemployable, du tout réutilisable. Par quels moyens ? Nous allons continuer à le déterminer ensemble, mais je crois qu'il faut, avant toute chose, changer en profondeur nos modes de production et de consommation. Il ne s'agit pas, pour l'État, d'exercer une forme de micromanagement et de contrôler point par point l'action des entreprises, mais de fixer des objectifs ambitieux et d'insister sur deux notions : la transparence et la redevabilité.

Nous devons également mener un travail exigeant qui consiste à construire une voie médiane entre la croissance et la décroissance. Je ne pense pas que la décroissance soit, à terme, un modèle pour l'avenir, mais la croissance telle qu'elle existe aujourd'hui, ne l'est pas davantage. Le capitalisme actuel, que l'on peut qualifier de vorace, a démontré l'absurdité de la surproduction et de la surconsommation, qui sont mauvaises pour la planète et le pouvoir d'achat, et qui entraînent une perte de sens au coeur de nos sociétés.

Nous devons faire évoluer nos méthodes, en nous appuyant sur la transparence et la redevabilité, qui sont des moteurs de l'action. J'aimerais citer le témoignage d'une jeune femme de 19 ans, Léa, qui s'exprime en ces termes dans le magazine Phosphore : « Puisque nous passons si peu de temps sur terre, pourquoi ne pas essayer de ne laisser aucune trace ? » Elle explique qu'elle a décidé de ne plus rien acheter depuis deux ans. Je n'attends évidemment pas cela de tous les citoyens français, mais une chose est certaine : il faut donner à chacun les moyens de faire plus pour préserver la planète ; donner, comme le dit Amartya Sen, à chacun les capacités de faire et de choisir. L'objectif central de ce projet de loi est vraiment celui-là ; nous avons besoin que tous les acteurs de notre société prennent leurs responsabilités.

La bonne nouvelle, c'est que la transition vers une économie circulaire a déjà commencé, des acteurs sont déjà en chemin. J'ai constaté, au moment de l'élaboration de la feuille de route pour une économie circulaire, que de nombreuses entreprises ont déjà fait le pari du développement durable. Elles sont très conscientes que, loin d'empêcher l'essor de leur activité, celui-ci accompagne les mutations de la société. Avec ce projet de loi, nous faisons le pari d'accompagner la transformation du modèle d'affaires de la majorité des entreprises pour qu'elles répondent mieux aux attentes des Français.

Des avancées ont déjà été accomplies en dehors du cadre strictement normatif, par exemple avec le pacte national sur les emballages plastiques que nous avons défendu au niveau français, puis au niveau européen, avant même le dépôt du présent projet de loi. De nombreuses entreprises adhèrent à notre vision, car elle permet de réduire les déchets à la source, de valoriser la qualité, les savoir-faire et la robustesse de nos produits.

Le présent projet de loi dessine un cadre pour aller plus loin encore. Quels en sont les grands principes ?

Le premier est la lutte contre le gaspillage et la surproduction. En France, on détruit cinq fois plus qu'on ne donne. Nous nous sommes inspirés du travail accompli au cours des dernières années par M. Guillaume Garot, relayé par Mme Graziella Melchior, qui a conduit à interdire la destruction des invendus alimentaires. Le gaspillage est le symbole des excès de notre système économique. En France, on détruit pour 650 millions d'euros de produits invendus chaque année, alors qu'ils pourraient être utilisés. En France, 3 millions de personnes n'osent pas sortir de chez elles, parce qu'elles n'ont pas accès aux produits de première nécessité et, dans le même temps, 91 % des produits cosmétiques ou d'hygiène invendus sont détruits. Ces chiffres montrent l'absurdité de notre modèle économique. Nous voulons lutter contre cet état de fait en favorisant le don, le réemploi, la réutilisation et, à terme, la lutte contre la surproduction.

Le deuxième grand principe de ce projet de loi est la refondation du pacte des filières pollueur-payeur, à la fois pour créer de l'industrie en France et pour pouvoir intervenir davantage en amont. Il s'agit de prévenir la surproduction de déchets et de passer à une société où le réutilisable sera la norme. La loi relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, l'une des premières grandes lois sur les déchets, votée en 1975 et révisée en 1992, a introduit la notion de « responsabilité élargie du producteur » (REP). À cette époque où la France commençait à être submergée par le tout jetable, les entreprises ont eu l'idée particulièrement astucieuse de s'organiser en filières à responsabilité élargie du producteur.

Le principe pollueur-payeur impose aux fabricants et aux distributeurs d'assurer la fin de vie de leurs produits. Ce principe a fait ses preuves et a été repris ailleurs en Europe, mais il concerne essentiellement l'aval. Or il convient de mettre à jour ce logiciel, pour que l'amont fasse partie intégrante du pacte des filières REP. C'est pour cette raison que nous voulons encourager la prévention et transformer la manière dont les produits sont fabriqués. Nous voulons utiliser ce cadre juridique pour fixer aux entreprises des objectifs qu'il nous semble indispensable d'atteindre en matière de réemploi, de réutilisation, de réparation et d'écoconception. C'est dans ce cadre que s'inscrit la lutte contre l'obsolescence programmée, au sujet de laquelle je sais que vous aurez des questions à me poser.

J'en viens à la méthode.

Il ne s'agit pas, je le répète, d'imposer des contraintes de l'ordre de la microgestion. Chaque secteur aura la responsabilité d'atteindre ses objectifs : libre à lui de s'organiser comme bon lui semblera, dans le respect de la loi. Ce n'est pas à l'État de dire aux entreprises comment elles doivent s'organiser. En revanche, c'est à l'État de fixer un cadre et de s'assurer que les entreprises sont dans la bonne voie et qu'elles pourront atteindre rapidement les objectifs qu'il aura fixés. Le rôle de l'État est de promouvoir les principes de transparence et redevabilité. Notre proposition de créer une filière REP dans le secteur du bâtiment, qui prévoit la reprise gratuite des déchets du secteur, s'inscrit tout à fait dans cette perspective. Elle était très attendue, à la fois par nos concitoyens et par nos élus locaux, qui ne supportent plus les décharges sauvages.

Notre volonté est aussi de nous appuyer sur les filières REP pour structurer de nouvelles filières industrielles en France, parce que nous devons rester à l'avant-garde des innovations technologiques, parce que c'est un enjeu de souveraineté pour la France et parce que cela créera des emplois locaux non délocalisables sur tous les territoires. Il existe quatorze filières REP aujourd'hui et nous voulons en créer huit de plus, par exemple dans les secteurs du jouet, des articles de sport, des véhicules hors d'usage, des mégots ou des lingettes. Nous voulons aussi fixer des objectifs d'insertion et de solidarité aux filières. Nous voulons, enfin, imposer la traçabilité des déchets et favoriser, à terme, la création de 300 000 emplois non délocalisables sur l'ensemble du territoire.

Un autre grand principe de la loi est d'encourager la transparence. Je suis intimement convaincue que la confiance est la monnaie de la transition écologique. Il faut donc créer les conditions pour que cette confiance soit au coeur de notre modèle économique et pour qu'elle permette d'accélérer l'action en faveur de l'environnement. Le défi, c'est de donner aux Français les moyens d'agir sans opposer fin du monde et fin du mois. Pour ce faire, il faut les aider à prendre des décisions en connaissance de cause, en garantissant la transparence de l'information à laquelle ils auront droit et accès : transparence sur l'impact environnemental des produits qu'ils vont consommer, sur leur réparabilité et sur le bon geste de tri qu'ils devront effectuer. Grâce à ces informations fournies en toute transparence, ils pourront consommer en conscience et faire le choix d'acheter des produits recyclables et conçus pour durer. Ce faisant, ils auront le pouvoir d'orienter le marché.

Toujours dans une démarche de transparence, nous voulons introduire un système de traçabilité dans le secteur des déchets en France. Aujourd'hui, dans le secteur du bâtiment, on ne sait pas précisément où les déchets sont produits, où ils vont, où ils finissent, quel est leur parcours. Il en est de même des véhicules hors d'usage : chaque année, 500 000 d'entre eux disparaissent, alors même qu'ils sont immatriculés. Il faut que nous les tracions très précisément pour savoir où ils finissent.

Le quatrième grand principe consiste à donner plus de moyens aux collectivités pour renforcer le service public de gestion des déchets. Comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, la transition écologique ne se fera pas sans les collectivités. Les déchets sont gérés à l'échelon municipal et c'est à ce niveau que la transition vers une économie circulaire se fera. Nous devons donc donner aux collectivités de nouveaux moyens, de nouveaux pouvoirs. Nous le faisons en élargissant le nombre de nos filières à responsabilité élargie du producteur. Cette mesure aura pour effet de transférer 500 millions d'euros des industriels et des entreprises vers les collectivités, pour les accompagner et pour financer le service public de gestion des déchets.

Dans le même temps, le texte offre des opportunités considérables aux territoires pour développer l'emploi local dans le recyclage et dans l'économie sociale et solidaire, pour favoriser les emplois d'insertion, pour développer les ressourceries et encourager la réparation. Il serait absurde de ne pas le faire. Pour vous donner un ordre d'idées, une tonne de déchets recyclés crée dix fois plus d'emplois qu'une tonne de déchets enfouis. Il n'y a donc aucune raison de ne pas aller vers le recyclage et le réemploi.

Il importe aussi de donner davantage de pouvoir aux élus locaux pour les aider à lutter contre les dépôts sauvages. Les sénateurs ont fait des propositions en ce sens, puisqu'ils ont donné aux maires le pouvoir de sanctionner ceux qui continueront de déverser leurs déchets dans la nature. Je ne doute pas que vous les suivrez.

Un cinquième pilier du texte est constitué de mesures permettant d'accélérer le passage vers une société du réemploi et de la réutilisation, d'opérer la bascule du recyclage vers le réemploi. J'ai déjà eu l'occasion d'exposer un exemple emblématique et qui fait l'objet d'une concertation depuis plusieurs mois : la consigne. Pas plus tard que la semaine dernière, une réunion de concertation a eu lieu entre la ministre de la transition écologique et solidaire Mme Élisabeth Borne, le ministre chargé des collectivités territoriales M. Sébastien Lecornu, des associations d'élus et moi-même. Les associations participent également à des groupes de travail lancés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Je voudrais partager avec vous la vision que nous défendons et que nous avons exposée aux collectivités locales, tout en précisant qu'il ne s'agit aucunement d'annonces, dans la mesure où nous sommes encore en train d'en discuter et où nous avons encore beaucoup de travail à faire sur cette question.

Le Sénat nous a adressé un message et, sur cet aspect du texte comme sur de nombreux autres, je souhaite que nous repartions de sa copie. Ce que demandent les sénateurs, c'est la consigne pour réemploi ; nous y travaillons. Dans le secteur des emballages, la consigne pour réemploi sur le verre permet de promouvoir le modèle de demain, moins producteur de déchets, de plastiques et de tout jetable. Mais une telle transformation ne se décrète pas ; elle implique que nous construisions un chemin de transition. C'est pourquoi les ONG nous poussent à définir un système mixte permettant le déploiement simultané d'un dispositif qui serve à la reprise du verre et qui soit financé par un système de reprise du plastique.

Ce chemin de transition repose sur plusieurs grands principes structurants, qui reflètent les lignes rouges que nous ont fixées les collectivités.

Premièrement, nous pensons que le plastique à usage unique n'est pas l'avenir et qu'il faut sortir de cette société du tout jetable. Je l'ai dit à plusieurs reprises et je le répète, le recyclage est une solution de transition, qui doit permettre le déploiement du réemploi. Pour faire simple, le plastique doit financer des matériaux plus durables, par exemple le verre.

Deuxièmement, le service public de gestion des déchets, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, doit être préservé et renforcé. La consigne doit faire partie intégrante du service public de gestion des déchets et il faut laisser toute latitude aux élus locaux pour décider comment et où la consigne doit s'appliquer sur leur territoire. Comme le Président de la République l'a dit hier, et comme je l'ai dit moi-même dans ma présentation du texte au Sénat, rien ne se fera sans les maires. Ainsi, l'extension des consignes de tri et le bac jaune restent plus que jamais d'actualité. La consigne ne va pas bouleverser ce qui existe déjà.

Troisièmement, les collectivités doivent être au coeur du jeu. Rien ne peut se faire sans elles ; c'est à elles de décider du maillage territorial des points de collecte. Je crois à l'écologie de la liberté, pour reprendre les mots du Président de la République. Je sais que chaque territoire a la capacité de définir ses propres solutions. C'est pour cela que le principe de concertation a été et demeure un impératif.

Quatrièmement, les collectivités ne doivent pas perdre 1 euro. Tous les investissements seront maintenus et le soutien de l'éco-organisme Citeo restera inchangé. Tout cela est conforme à la loi « Grenelle 1 » de 2009 et à la directive européenne de 2019. Le bac à consigne pourra être géré, soit directement par la collectivité, soit par le futur éco-organisme en charge de la consigne. Dans l'un et l'autre cas, c'est l'éco-organisme qui assumera l'intégralité des coûts d'investissement et de fonctionnement du système de consigne.

Cinquièmement, l'éco-organisme qui gère la consigne ne peut pas faire de profit ; il doit nécessairement être un organisme à but non lucratif. L'intégralité des revenus de la consigne sera réinvestie dans l'infrastructure et le fonctionnement du système de consigne, en particulier pour soutenir le déploiement des solutions de réemploi.

À présent, prenons un peu de hauteur et regardons la réalité. Le plastique à usage unique n'est pas l'avenir et les Français nous demandent d'agir. Aujourd'hui, sur les 16 milliards de bouteilles en plastique et de canettes vendues chaque année en France, 7 milliards ne sont pas recyclées : elles finissent soit brûlées, soit au fond d'un trou. Il y a, au minimum, 200 millions de bouteilles en plastique qui partent dans la nature. Ces chiffres résument l'absurdité du système actuel. On ne peut pas se contenter de dire aux Français qu'il faut attendre et qu'on atteindra un jour des objectifs de performance proches de 90 % de taux de collecte pour recyclage. D'où le choix du déploiement de la consigne et du passage accéléré au réemploi, qui devront se faire avec les maires. C'est tout l'objet de la concertation en cours.

L'objectif de ce projet de loi, vous l'aurez compris, est de faire advenir la société du zéro déchet le plus rapidement possible. Il vise à transformer nos modes de production et de consommation pour accélérer le passage du tout jetable au tout réutilisable. Ce texte n'est pas seulement technique, il propose un vrai projet de société, que nous pouvons tous partager. Il propose de créer une société qui a un sens et où chacun a droit à un emploi local. Il vise aussi à répondre à l'urgence du XXIe siècle. Je sais, pour avoir déjà beaucoup discuté avec vous, que vous êtes prêts à rester embarqués dans ce projet et je vous remercie par avance du travail que nous allons faire ensemble.

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