Intervention de Aurélien Pradié

Séance en hémicycle du mercredi 11 décembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Le 10 octobre dernier, je décomptais à cette tribune le nombre de femmes tuées par leur compagnon dans notre pays. Elles étaient alors 117. Si je devais faire ce décompte aujourd'hui, j'égrènerais les morts jusqu'à 142. À ce rythme-là, dans quelques mois, mes quelques minutes de temps de parole n'y suffiront plus.

De même, les mots, les indignations et les tribunes ne suffisent plus : seuls les actes comptent.

Cette proposition de loi a été voulue par le groupe Les Républicains. Elle a rassemblé opposition et majorité parce qu'elle permet de passer enfin des paroles aux actes. Cette loi n'est pas bavarde, elle est forte ; elle est précise ; elle est concrète ; elle est un pas déterminant vers une meilleure protection des femmes en danger.

Personne ne peut se satisfaire de la situation que nous connaissons. Personne ne peut dire que notre organisation et nos moyens actuels sont totalement à la hauteur de l'urgence extrême pour ces femmes. Oui, la France est en retard. Il nous fallait donc progresser.

Désormais, une femme en danger pourra être protégée en six jours, alors qu'il en faut aujourd'hui plus de quarante et un pour espérer obtenir une ordonnance de protection. C'est une grande avancée. Le juge aux affaires familiales pourra décider d'une interdiction de paraître, enjoindre des soins aux auteurs de violences, veiller au retrait effectif du port d'armes, suspendre l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement. Désormais, le juge civil devra statuer sur tous les sujets, sans en omettre aucun.

Par cette loi, le bracelet anti-rapprochement deviendra enfin une réalité. Après de trop nombreuses hésitations, nous le généralisons et ce, dès le stade préventif. Dans le cadre civil, en lien avec le juge pénal, un compagnon qui menacerait de mort une femme pourra se voir imposer le port de ce dispositif. C'est avant le drame qu'il nous faut agir.

Ce bracelet est une solide avancée. Il sauvera des vies. Nous avons transformé la loi ; il vous reste à présent, madame la garde des sceaux, à assurer le financement de la mesure. Or les 5 millions d'euros nécessaires au déploiement des bracelets sont absents du budget pour 2020. Une telle lacune est injustifiable et vous devez y remédier. On ne mène pas une telle bataille sans moyens budgétaires, et vous le savez.

Le logement est aussi capital pour les victimes C'est pourquoi notre proposition de loi fait du maintien de la victime dans son lieu d'hébergement la règle. Désormais, le conjoint violent devra quitter le domicile, et dans le cas où les femmes souhaitent partir, ce qui arrive, il est prévu d'expérimenter plusieurs solutions pour les accompagner, notamment en prenant en charge les premiers mois de loyers.

L'accès au téléphone grave danger sera facilité : il deviendra accessible par tous moyens et dans toutes les situations.

La commission mixte paritaire a confirmé l'ensemble des mesures du texte initial. Elle a même choisi, par un vote unanime, d'aller plus loin en décidant du non-versement des pensions de réversion en cas de féminicide.

Plus encore, nous protégerons mieux les enfants. Un père violent n'est jamais un bon père. Le dire ne suffit pas, il faut l'inscrire dans la loi. Notre texte prévoit dès aujourd'hui la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits d'hébergement et de visite en cas de poursuite – c'est-à-dire possiblement dès la mise en examen – ou de condamnation pour crime sur conjoint. Rien ne pouvait justifier d'attendre plus longtemps pour en décider ainsi.

Toutes ces mesures sont le fruit de plusieurs mois d'un travail collectif, réalisé avec l'ensemble des députés et sénateurs – que je salue pour leur implication – et avec vous, madame la garde des sceaux.

Certains ont pu s'interroger sur le sens, peut-être même sur la sincérité de notre démarche. À ceux-là, je veux dire, droit dans les yeux, une chose simple : la seule soif qui nous a animés, notre seule quête a été celle de la justice. Une quête de justice républicaine, cette même justice qui doit protéger les plus fragiles, qui ne doit pas laisser mourir les femmes en danger.

Un jour de mars 2008, les Lotois m'accordaient, pour la première fois, leur confiance électorale. Le premier jour de ma première permanence d'élu, à la toute première heure, je recevais une habitante de Cahors. Cette femme, je la connaissais, elle était la mère d'un de mes amis d'enfance. Elle entra dans mon bureau de jeune conseiller général, elle s'assit et, sans dire un mot, retira lentement l'écharpe qui cachait son cou. Son cou était bleu, tuméfié, marqué par les doigts de celui qui, la veille, avait voulu l'étrangler. « Si je rentre, il me crève » : ce sont les premiers mots qu'elle prononça – c'était il y a dix ans, je débutais et je ne les ai pas oubliés. Cette femme s'appelle Hélène et, au premier jour de mon engagement politique, elle a été à l'origine de ce beau combat que j'ai été heureux de mener en votre nom à tous.

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