Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 15h00
Certification publique des performances sociales et environnementales des entreprises — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

… que notre monde ressemble de plus en plus à Babel, avec la multiplication des déclarations des entreprises elles-mêmes, la confusion des langages employés par les organismes de certification. Aussi la performance extra-financière est-elle faible.

Il est donc temps de créer un nouvel âge de la RSE. Pourquoi ? Pour une raison simple que nous avons tous comprise : la comptabilité normalisée telle que conçue il y a un siècle est incapable de rendre compte de la réalité d'une entreprise ; elle nous en donne en effet, avec la seule présentation du passif et de l'actif, une vision borgne. De plus, nous savons que la RSE, selon le reporting en vigueur – ou bien conformément aux labels destinés aux autres entreprises que celles contraintes d'effectuer une déclaration de performance extra-financière, ou DPEF – , nous donne une vision floue, par conséquent incapable de révéler avec clarté la vérité d'une entreprise. Une vision borgne et floue ne nous permet pas de nous représenter ce qu'est une bonne entreprise au XXIe siècle.

Plus largement, nous assistons à une forme de grande privatisation et de grande concentration de la norme à l'échelle française, à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale. En témoignent les budgets publicitaires, de propagande, qui explosent : 17 milliards d'euros dans notre pays, financés par les Français eux-mêmes – une sorte de servitude à la fabrique de l'image de ce qu'est une bonne société. Au-delà de la publicité à destination des consommateurs, des efforts colossaux sont déployés par les marques et les multinationales pour nous dire leur vision du monde, de la société, de l'homme. Il y a là un décalage, une déformation du pouvoir à travers la fabrique de la norme qui est un danger pour nos sociétés. Je pense ici à deux événements récents : le rachat d'une des dernières agences de notation françaises et européennes dignes de ce nom, Vigeo, par un opérateur américain ; puis le rachat de Yuka par Alibaba – dont j'ignore s'il est réalisé ou en cours de discussion. Nous sommes face à un processus de concentration ou américain ou chinois de la fabrique de la norme et des outils de gestion des données.

Bref, il existe un danger pour la souveraineté de l'Union européenne. Sera-t-elle capable demain d'édicter ses propres normes, de garantir une certification, de dire la vérité sur sa vision exacte de l'entreprise ? Tel est le défi auquel nous devons répondre. Il s'agit d'un enjeu européen qui télescope l'évolution des entreprises. Nous sommes absolument convaincus qu'une très forte ambition en matière de RSE est un élément de consolidation pour l'entreprise. En effet, être informé clairement, pour les parties prenantes, notamment pour les parties constituantes que sont les salariés, de la réalité du partage de la valeur, de la qualité des relations de travail, de la qualité de la gouvernance, du rapport de l'entreprise avec les territoires, de ses relations avec ses sous-traitants et ses fournisseurs, de l'impact environnemental de son activité – notamment carbone – , est de nature à consolider la sécurité de l'entreprise elle-même.

Il en va de même pour le devoir de vigilance, dont les opérateurs – les multinationales – qui l'ont parfois combattu admettent désormais qu'il devient pour eux une sorte de ceinture de sécurité, de phare utile, dans l'obscurité d'une mondialisation parfois sauvage, pour jeter la lumière sur de potentiels dangers.

Il y a donc un enjeu de souveraineté européenne, je l'ai dit, un enjeu de consolidation des racines de l'entreprise. Il s'agit, dans le même temps, de donner à l'entreprise des ailes pour se déployer sur les marchés du futur. Il y a une vision de l'entreprise européenne responsable, équitable, loyale sur le plan fiscal, capable de codétermination – à savoir d'association des parties constituantes à la gouvernance de l'entreprise. Ce modèle européen de l'entreprise devrait représenter une force dans la mondialisation, une boussole éthique qui nous éloigne du capitalisme asiatique et du néolibéralisme anglo-saxon.

Voilà toute l'ambition de la présente proposition de loi, qui vise simplement à nous doter d'un langage commun. C'est, je le pressens, tout ce qui nous distinguera de l'exécutif et peut-être de la majorité. Nous considérons en effet que notre société a trop méprisé la question de l'édiction des normes. C'est un angle mort de la social-démocratie et plus généralement de nos démocraties.

Or l'hyperconcentration de la fabrique des images, de la fabrique des symboles, de ce qui est bon, de la vie bonne, est un danger pour notre démocratie. Nous avons a contrario besoin de fabriquer un langage commun qui réconcilie l'entreprise et la société. Il s'agit somme toute, à travers un label public de RSE, de donner la capacité à tout citoyen de peser sur l'économie en tant que consommateur, qu'épargnant et tout simplement en tant que potentiel collaborateur.

Je suis très sensible, comme vous, en fréquentant la génération climat, la génération qui monte, celle de nos enfants, à l'importance considérable que prend la question du sens dans l'engagement professionnel. Toute une génération de futurs leaders, de futurs décideurs, voudra savoir avec quelle entreprise elle voudra travailler, et, dans ce contexte, la RSE sera un facteur de discernement essentiel. La RSE a vocation à redonner au citoyen le pouvoir de peser sur l'économie. Aussi la proposition de loi, si nous l'adoptons, créera-t-elle un processus que nous avons voulu modéré, graduel. Modéré parce qu'il tient compte des contraintes des entreprises et qu'il est basé sur le volontariat, sur le pari qu'aujourd'hui, dans le monde des PME, dans le monde du syndicalisme, dans le monde de l'économie sociale et dans le monde de l'expertise comptable, nous avons découvert des dizaines d'alliés qui, comme nous, pensent que nous devons sortir de Babel, du mensonge, et que nous devons rétablir un langage commun. Ce dernier doit permettre le retour de la démocratie dans l'entreprise et, plus largement, dans une société qui veut peser sur l'économie, une économie qui ne peut pas avoir comme finalité uniquement l'appât du gain à court terme et la concentration des données et des valeurs, mais qui doit permettre l'épanouissement de tout un chacun et la protection de nos biens communs. C'est le sens de ce texte que nous proposons comme le lancement d'un processus auquel nous pouvons associer toutes les parties prenantes et grâce auquel nous devons pouvoir dialoguer, nous rassembler.

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