Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 16h40
Commission des affaires étrangères

Général François Lecointre :

Du côté européen, ce que j'ai trouvé formidable dans la mission EUTM Mali, c'est qu'après avoir fait valoir au comité militaire de l'Union européenne qu'il n'est pas criminel d'apprendre à quelqu'un d'utiliser son arme et que l'on enseignerait aux soldats maliens à respecter les droits de l'homme, on m'a fait confiance et j'ai pu remplir la mission qui m'avait été confiée avec une grande liberté d'action. La difficulté était de créer la force ; une fois que les contingents ont été constitués, le mécanisme de financement Athena nous a alloué pas mal de moyens de fonctionnement.

C'est dire qu'en réalité, si on a une idée claire de ce que l'on veut faire, si on a le sens de l'initiative et que l'on propose des solutions de terrain qui fonctionnent, l'Europe est prête à s'investir. Il faut avoir à l'esprit que si les grandes constructions structurelles sont nécessaires, c'est par les initiatives et les succès de terrain que nous construisons progressivement l'Europe de la défense.

Le mandat de la MINUSMA a été revu et renforcé l'été dernier. Elle s'investit au centre du Mali, dans la boucle du Niger, où elle est efficace et indispensable. Le fait qu'elle partage son action entre la réassurance des forces armées maliennes et l'aide aux populations me paraît être une très bonne chose, qui va dans le sens du projet global que j'évoquais.

Que, parlant de nos capacités, j'aie pris l'exemple, évident, des frégates de premier rang, ne signifie pas que ma seule priorité va à la Marine nationale : mon approche est résolument interarmées. La France a conservé un modèle d'armée complet, ce qui n'est pas rien, même si ce modèle pêche par certains aspects. Ainsi, nous n'avons plus de capacités de « franchissement de coupures humides » dignes de ce nom. Alors qu'il y a vingt ans nous pouvions faire franchir les grands fleuves du centre de l'Europe à deux divisions simultanément, ce n'est plus le cas, mais nous avons préservé le savoir-faire et la capacité de faire franchir quelques unités. Globalement, nous avons conservé un système complet qui va de la dissuasion nucléaire, du spatial et du cyber – que nous développons – aux capacités du fantassin sur le terrain. Voilà ce que nous devons conserver, dans des capacités qui ne soient pas de l'ordre de l'échantillon. Voilà ce que nous devons renouveler quand les équipements arrivent en fin de vie et c'est ce à quoi nous sommes engagés et, comme je vous l'ai dit, la question de la masse et du nombre finira par se poser.

Au sein de l'OTAN, la question du F-35 est essentielle, car c'est une manière de contraindre tous les Européens à passer sous les « fourches caudines » des États-Unis en s'adaptant à la norme américaine. Le jour où le F-35 ne parlera qu'au F-35, nous serons très mal en point. Donc, soit on contraint les Allemands et les Américains à faire en sorte que le F-35 parle aux autres avions de chasse, soit on fabrique un avion de chasse concurrent, le SCAF, et ils auront intérêt à ce que leur F-35 sache parler avec ce système-là. C'est la voie que nous essayons de choisir. Comme dans de très nombreux autres domaines, le problème de la norme est central.

Il est vrai qu'au sein de l'OTAN, les Alliés ont des visions très différentes. La France est le premier partenaire de l'OTAN après les Américains : nous sommes « le » partenaire crédible de l'Alliance atlantique et notre contribution à ses frais de fonctionnement est la quatrième derrière celles des Américains, des Allemands et des Anglais. Les forces que nous engageons dans les opérations de l'Alliance et la capacité de réactivité que nous mettons à sa disposition font de notre armée l'armée crédible de l'OTAN. Chacun sait que nous tenons les promesses que nous faisons. Par ailleurs, des projets importants sont en cours à l'OTAN, dont le système de commandement et de contrôle aériens porté par Thales et Raytheon, lequel m'inquiète beaucoup. Parce que ce projet permettra de coordonner l'ensemble des moyens de surveillance aérienne de l'OTAN et ses actions aériennes, il est crucial qu'il réussisse. Aussi, si vous recevez les gens de Thales, n'hésitez pas à leur dire d'agir. Je suis allé voir son président, M. Patrice Caine, et lui ai dit mon sentiment ; c'est un sujet majeur, vraiment inquiétant.

Nous sommes un partenaire essentiel de l'OTAN, nous revendiquons notre participation à l'Alliance atlantique et notre position de grand allié – pratiquement le seul crédible. Nous sommes très appuyés par les Américains à l'OTAN parce que les militaires américains savent très bien faire la différence entre l'Alliance et ce qu'ils font dans l'OTAN d'une part, leurs coopérations bilatérales avec leurs alliés, éventuellement de l'OTAN, d'autre part. Les Américains font clairement valoir à M. Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, que, même si nous sommes critiqués parce que nous ne sommes pas présents en Afghanistan, la France est, dans le partage du fardeau – sujet pour eux essentiel –, l'allié principal, celui qui accepte de prendre en charge des opérations importantes, en particulier en Méditerranée et en Afrique.

Mais, tout en revendiquant cette place dans l'OTAN, nous prétendons aussi construire un pilier européen de défense, une capacité de l'Union européenne qui n'est pas en concurrence avec l'OTAN. C'est que l'Europe a d'autres choses à dire et à apporter, une vision plus claire de ce qu'est l'approche globale, toutes choses qui doivent lui permettre d'enrichir l'OTAN avec, en quelque sorte, un partage des rôles : faisons la défense collective face à l'Est et gardons une capacité d'intervention dans le cas d'une crise qui peut être plus celle de l'Union européenne.

Ce qui m'inquiète dans l'OTAN, c'est que les Américains disent en même temps « Nous allons partir, faites face à vos responsabilités », ce qui pousse certains de nos Alliés de l'OTAN, à demander qu'on ne les abandonne pas et à dire qu'ils achèteront des F-35 s'il faut en passer par là. Et d'autre part, comme je l'ai mentionné, les Américains disent : « Nous allons nous retirer, mais vous devez faire un effort de défense pour mieux partager le fardeau, et surtout pour nous acheter plus d'équipements militaires. » On voit la difficulté dans laquelle se trouve la France, qui revendique sa place au sein de l'OTAN mais qui veut aussi développer une capacité européenne de défense.

Un autre élément est inquiétant : la dénonciation par les États-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire conduira mécaniquement l'OTAN vers une défense anti-missile balistique qui sera extrêmement consommatrice en moyens et profitera à l'industrie américaine. Je pense pour ma part que les armées de l'OTAN doivent conserver un modèle complet et je ne souhaite pas voir les capacités budgétaires des États membres asséchées par la construction d'une défense anti-antimissile balistique de théâtre sans que l'on ait préalablement défini la stratégie de l'OTAN en Méditerranée et vis-à-vis de la Russie. Or, j'observe que « la machine OTAN » se met en marche pour créer du besoin capacitaire à sa main sans que l'on ait répondu à ces graves questions.

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