Intervention de Anthony Requin

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor :

La liquidité sur un marché donné est la capacité de gérer des opérations de taille significative à l'achat et à la vente sans évolution forte des prix. C'est une caractéristique particulièrement prisée par les investisseurs, qui aiment les supports rapidement et facilement liquides et souhaitent que leurs décisions de vente ne se traduisent pas par une forte décote du reste de leur portefeuille.

À la même époque, le marché était également demandeur d'anciennes souches par le fait que la BCE s'est mise à acheter tous les points de la courbe pour provoquer sa translation vers le bas, sans distorsion, sachant qu'elle ne peut détenir plus de 33 % des titres émis par un État. Les assureurs et les fonds de pension n'ayant pas nécessairement envie de vendre leurs titres, les animateurs du marché secondaire qui devaient faire face à cette demande se sont retrouvés « à découvert » – en position short comme nous la qualifions. Pour la couvrir, lors des réunions d'adjudication qui précèdent nos émissions, ils ont demandé la réémission des anciens titres de référence qu'ils avaient vendus à la BCE. Étant donné que nous servons la demande là où elle se manifeste – car c'est le meilleur environnement pour émettre dans les meilleures conditions de prix –, nous avons suivi ces indications et réémis d'anciennes souches.

L'estimation des primes à l'émission dans le projet de loi de finances initiale est très dépendante du scénario de taux retenu. En septembre 2018, lorsque nous avons préparé le projet de loi de finances pour 2019, la BCE avait annoncé qu'à partir de décembre, le programme d'achat de titres du secteur public (PSPP) prendrait fin et qu'elle n'achèterait plus de nouveaux titres. Elle ne devait donc plus créer d'actions baissières supplémentaires sur les taux. En outre, en 2017 et au premier semestre 2018, la croissance économique était plutôt bonne. Tous les intervenants de marché ont alors fait les mêmes hypothèses de taux. Nos taux à dix ans étaient à 0,6 % – soit 60 points de base en positif. Nous avons alors estimé que l'on s'orientait vers une normalisation monétaire et que les taux allaient progressivement augmenter pour rejoindre la croissance potentielle et le taux d'inflation anticipé : historiquement, les taux à dix ans ne sont pas très différents du taux de croissance nominal de l'économie.

Or cette hypothèse a été invalidée par le tournant de la politique monétaire qui est intervenu d'abord du côté de la FED en décembre 2018, puis du côté de la BCE à la fin du premier semestre 2019, par le ralentissement de la croissance économique et par la manifestation d'un certain nombre de risques, et notamment l'intensification des contentieux commerciaux entre les États-Unis et la Chine. Cela a conduit à des scénarios macroéconomiques beaucoup plus défavorables, ce qui s'est répercuté sur les taux. Une telle évolution était difficilement prévisible.

Allons-nous reproduire la même erreur en 2020 ? C'est toujours possible, je l'ai dit : nous ne sommes jamais à l'abri d'une crise financière ou d'un nouveau conflit au Moyen-Orient. Dans ces conditions, les taux ne seraient pas orientés à la hausse, mais plutôt à la baisse.

Notre scénario actuel pour les taux d'intérêt, à la lumière de notre connaissance du marché et de ses acteurs, est que la politique monétaire devrait être à peu près stable au cours de l'année 2020 – il y aurait une très légère augmentation des taux. La pente de normalisation que nous avons retenue est beaucoup plus faible que celle que nous avions prévue les années précédentes. Au mois de septembre dernier, alors que les taux français étaient de – 0,44 %, nous avons émis l'hypothèse qu'ils s'élèveraient à + 0,2 % à la fin de l'année 2019 et à + 0,7 % à la fin 2020. Nous avons fait l'objet d'un certain nombre de critiques : nous serions trop conservateurs pour les taux d'intérêt à dix ans. Nous avions en tête l'idée que ces taux sont poussés vers le bas par le contexte macroéconomique et par certaines tensions, notamment sino-américaines. La baisse des taux qui s'est produite au cours de l'été est ainsi imputable au climat de guerre commerciale. Nous nous sommes dit que si les Américains choisissaient la voie de la sagesse et d'un accord commercial, fût-il limité à une première phase – ce qui est tout à fait possible en cette année préélectorale – l'effet de surplomb sur les taux serait susceptible de disparaître : après avoir fortement chuté l'été dernier, ils pouvaient fort bien augmenter d'ici à la fin de l'année. C'est un peu le scénario qui s'est produit : l'année 2019 s'est clôturée avec un taux à dix ans de + 0,08 %, à douze points de base de l'hypothèse que nous avions retenue. Si on reste dans cet univers de taux, la génération de primes à l'émission devrait être inférieure, de plus de moitié, au niveau de cette année.

S'agissant de l'OAT verte, nous nous réjouissons, au niveau technique qui est le nôtre, de la décision de l'Assemblée nationale de rebudgétiser le compte d'affectation spéciale Transition énergétique. Cela permet notamment d'augmenter la masse des dépenses vertes éligibles en intégrant l'ensemble de l'effort réalisé par l'État en faveur des énergies renouvelables – ce qui du reste est très apprécié des investisseurs : tant que les efforts en faveur des énergies renouvelables restaient financés par une taxe affectée, nous ne pouvions décemment pas venir leur demander de nous aider à les financer, dans la mesure où ils l'étaient déjà… À partir de 2021, nous pourrons inclure la politique en faveur des énergies renouvelables dans l'assiette des dépenses vertes éligibles, ce qui aura pour effet de la doubler, en la faisant passer de 6 à 8 milliards d'euros à plus de 10 milliards ; on pourra alors imaginer l'émission d'un nouveau titre de référence.

Nous avons atteint nos objectifs d'émission pour l'OAT verte : elle a trouvé son marché et un prix correspondant à une très bonne valorisation. Nous avions promis aux investisseurs qu'ils auraient la même liquidité avec cette OAT qu'avec les autres ; nous avons respecté cette promesse – l'encours est de 20 milliards d'euros – et nous pouvons désormais imaginer d'émettre une nouvelle souche. Sans les dépenses vertes éligibles supplémentaires, ma capacité d'émission aurait été limitée à un montant compris entre 6 et 8 milliards d'euros par an. En 2017, la première année, nous avions émis pour près de 10 milliards d'euros. Avec un montant allant seulement de 6 à 8 milliards d'euros, j'aurais beaucoup de mal à servir le marché avec une souche nouvelle, en faisant face à la demande quand elle se manifeste, ce qui constitue notre ADN, tout en alimentant éventuellement quelques réémissions de la souche actuelle pour assurer sa liquidité. Il était vraiment capital, pour envisager de créer un nouveau point sur la courbe en 2021, de prendre cette décision de budgétiser le CAS.

J'ai déjà un peu répondu à la question sur les taux bas. Les propos du gouverneur de la Banque de France sont frappés au coin de la sagesse et de l'expérience ; nous nous inscrivons dans le même cadre de pensée. Les risques étaient beaucoup plus importants l'année dernière – il y en avait en matière de guerre commerciale, de Brexit sans accord et d'élections anticipées ou de situation politique compliquée en Italie ou en Espagne –, mais ils ne se sont pas manifestés. Dans ces conditions, il est logique de prévoir une stabilisation des taux à politique monétaire inchangée. Si un événement macroéconomique d'ampleur survenait, comme une crise financière qui interviendrait en Chine, par exemple – je ne le souhaite pas –, et qui se propagerait, ou une situation de conflit géopolitique, par exemple au Moyen-Orient, l'univers des taux ne serait évidemment plus le même.

La traduction de la première vague de la reprise de la dette de la SNCF, qui s'élève à un montant de 25 milliards d'euros au 1er janvier 2020, est que le besoin de financement de l'État sera alourdi de près de 1,8 milliard d'euros, comme vous l'avez vu dans les documents budgétaires. Nous allons contribuer à l'amortissement de la dette de SNCF Réseau et nous assumerons également la charge d'intérêts liée à la dette reprise – la charge d'intérêts de l'État augmentera ainsi de 400 millions d'euros. Ces éléments sont retracés dans une ligne spécifique du tableau de financement. Les opérations de préparation se sont bien déroulées, et la reprise de la dette est effective depuis le 1er janvier.

Pour ce qui est de la révision de la LOLF et du débat sur la dette et les conditions de financement, je suis naturellement à votre disposition pour contribuer à tous les débats que vous souhaiteriez. La question va au-delà de la simple dette négociable de l'État : nous ne représentons, si j'ose dire, que 80 % de la dette publique. Elle est aussi constituée d'autres éléments. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour organiser une visite, par petits groupes, qui vous permettrait d'assister à des adjudications de titres d'État.

Plusieurs d'entre vous s'inquiètent du niveau général d'endettement dans le monde et de la croissance importante de l'endettement de tous les acteurs – les ménages, les entreprises et les collectivités publiques. C'est un sujet de préoccupation, en effet, mais le niveau actuel des taux d'intérêt rend tout à fait soutenable celui de la dette – c'est là qu'il existe, en quelque sorte, un paradoxe. Si les taux d'intérêt étaient ceux qui existaient en 2008-2009, un taux d'endettement de 100 % se traduirait par une pression énorme. Quand les taux d'intérêt sont de 0,11 % à moyen et long terme, comme l'an dernier, et de 1,7 % en moyenne, et que la croissance est de 1,3 % et l'inflation de 2 %, on voit que la dette française, pour peu qu'on fasse ce qu'il faut pour contenir l'évolution des dépenses publiques et réduire le déficit selon la trajectoire de notre programme de stabilité, se met assez rapidement à diminuer. C'est d'ailleurs ce que les agences de notation anticipent. À conditions de taux inchangées, la dette est tout à fait soutenable pour beaucoup d'acteurs économiques, mais ce ne serait plus le cas si un énorme choc de taux intervenait : certains acteurs seraient probablement beaucoup plus en difficulté. Je pense notamment à la dette des entreprises notées en dessous de BBB – la dette corporate dite high yield.

Comment contrer une éventuelle crise ? En ce qui concerne la politique de financement de l'État, les principes que nous appliquons visent deux objectifs : conforter notre capacité d'encaisser les chocs et limiter le risque de refinancement. Pour ce qui est de notre capacité d'encaissement, vous avez vu l'évolution de l'encours des titres d'État à court terme ; nous disposons aussi de réserves pour faire face à des besoins de financement inattendus. Pour ce qui est du risque de taux, nous nous attachons à le réduire en allongeant la durée moyenne de la dette française et à consolider notre marché en visant une base d'investisseurs aussi large et diversifiée que possible et un statut de référence au sein des grands marchés de dette. Or ce statut a tendance à se conforter, d'autant que l'Allemagne n'émet plus beaucoup de dette : nous devenons de plus en plus le marché de référence de la dette en Europe, l'actif sûr par excellence. La meilleure manière de nous préserver des crises futures consiste naturellement à diminuer le besoin de financement de l'État et ainsi la taille de notre programme d'émission à moyen et long termes. Nous avons réussi pendant des années à maintenir le besoin de financement de l'État en dessous de 188 milliards d'euros, ce qui correspondait au record de l'année 2010, puis nous avons dépassé ce montant – nous sommes passés à 195, 200 et ensuite 205 milliards d'euros.

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