Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

INSTEX n'a pas encore été utilisé pour réaliser d'opération financière, car les derniers développements en Iran rendent ces opérations plus compliquées.

Les contentieux relatifs à Airbus et Boeing sont traités dans le cadre de l'OMC. L'OMC a accordé aux autorités américaines la possibilité d'imposer des sanctions à hauteur de 7,5 milliards d'euros à l'égard de l'Europe. On ne peut prôner le multilatéralisme et s'opposer aux décisions multilatérales ; nous ne contestons donc pas le droit des autorités américaines de prendre ces mesures. À l'inverse, les sanctions envisagées en réaction à la taxation digitale seraient des mesures unilatérales des États-Unis.

Le match retour se jouera en juin, puisque l'OMC devra se prononcer sur les aides apportées par les États-Unis à Boeing. Nous verrons quel montant nous sera proposé par l'OMC – je ne pense pas qu'il sera aussi important que celui accordé à l'administration américaine pour Airbus. Lorsque nous connaîtrons le montant des sanctions qui peuvent être imposées de part et d'autre, nous verrons si un règlement global est possible. J'ai proposé un tel règlement à plusieurs reprises au représentant au commerce des États-Unis, Robert Lighthizer, et le commissaire européen Phil Hogan a fait de même. Nos alliés américains attendent de connaître les chiffres de l'OMC en juin pour s'engager dans un règlement définitif. Plus tôt nous obtiendrons ce règlement définitif, mieux ce sera pour toutes les parties, car il est sûr que ce genre d'affaire ne fait le bénéfice que de nos concurrents chinois.

Monsieur Gauvain, je redis l'importance et la qualité du rapport que vous avez remis au Premier ministre. Nous cherchons actuellement un créneau législatif permettant d'incorporer les propositions que vous y faites. N'étant pas responsable du calendrier législatif du Gouvernement, je n'ai pas encore de réponse à apporter. Le plus tôt sera le mieux, car nombre de ces propositions seraient utiles.

Monsieur Herth, je suis un ardent défenseur de la viticulture, qu'elle soit alsacienne, bordelaise, bourguignonne, corse ou rhônalpine. La nécessité d'aider les viticulteurs nous a conduits à trouver un accord avec nos alliés américains. Ceux-ci, au titre des sanctions liées au contentieux avec Boeing et Airbus, ont déjà imposé des taxes de 25 % sur les importations de vin français. Ces taxes portent sur les vins de milieu de gamme, vendus entre 15 et 25 dollars la bouteille, qui sont les plus sensibles au prix de vente. L'impact est donc considérable.

Les sanctions envisagées en représailles à la taxation digitale, en application de la section 301 de la loi américaine sur le commerce de 1974, prévoyaient de taxer le vin français à 100 %, pour un montant total de 2,4 milliards d'euros de sanctions sur la viticulture française. C'est plus d'un tiers du montant global des exportations des vins et spiritueux français. C'eut été un carnage. Nous l'avons évité grâce à un accord que je crois bon. Il faut maintenant parvenir à un accord définitif. La Commission européenne accompagne le secteur viticole. Ainsi le taux de financement des opérations de promotion assumé par l'Union européenne a-t-il été porté à 60 %.

S'agissant de la relation privilégiée avec l'Allemagne, vous connaissez mes convictions, elles n'ont pas varié depuis que je suis engagé en politique : il n'y a pas de construction européenne possible sans un accord entre la France et l'Allemagne. Seulement, ce n'est plus suffisant désormais ; c'est un point de départ et non plus un point d'arrivée. À mes débuts en politique, lorsqu'il existait un accord franco-allemand, les autres États s'alignaient. Ce n'est plus le cas ; il faut aller convaincre individuellement chaque État membre pour constituer une majorité qualifiée, voire l'unanimité dans certains cas.

Sur l'OMC, il faut évidemment surmonter le blocage. La solution de l'organe d'appel temporaire trouvée par l'Union européenne n'est qu'un pis-aller, et il faut se donner toutes les chances de parvenir à un accord définitif. La situation est d'autant plus regrettable que les États-Unis et nous faisons la même évaluation de l'organe d'appel de l'OMC : il a créé une jurisprudence qui remplace les lois internationales, et il est allé trop loin. Nous sommes d'accord pour revenir à un organe d'appel qui se contente d'appliquer les règles, sans en créer de nouvelles. Nous aimerions convaincre nos alliés américains de se rallier à cette position, mais les perspectives d'avancées avant les élections aux États-Unis sont pratiquement nulles.

L'enjeu est de savoir si nous souhaitons maintenir l'ordre multilatéral issu des accords de Bretton Woods. Voulons-nous engager la Chine dans cet ordre multilatéral rénové, avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l'OMC, ou acceptons-nous que s'y substitue un nouvel ordre, défini autour de la Chine ? Telle est l'ambition du président Xi Jinping. Le montant des avoirs investis par la Banque publique chinoise en Afrique est supérieur à ceux investis par la Banque mondiale. Cela signifie tout simplement que la puissance financière d'investissement en Afrique s'est déplacée de l'ordre de Bretton Woods, autour de la Banque mondiale, à l'ordre chinois autour de la Banque publique chinoise. Voulons-nous aller dans cette direction ? Nous préférons refonder l'ordre de Bretton Woods en engageant les Chinois, et pas en nous opposant à eux.

Madame Poletti, je partage vos propos sur les dépenses de recherche. La stratégie de Lisbonne ne s'est pas traduite dans les actes, et c'est regrettable. Nous avons une session de rattrapage avec les prochaines perspectives financières et le projet Horizon Europe qui prévoit de consacrer 90 milliards d'euros sur sept ans à l'innovation. Il est décisif que cet Horizon Europe et ce projet de financement de l'innovation figurent dans les prochaines perspectives financières de l'Union européenne, sans quoi, vous avez raison, nous connaîtrons le déclassement et l'Europe ne jouera pas son rôle entre la Chine et les États-Unis.

Toute notre discussion tourne autour de cette question : existe-t-il, entre la Chine et les États-Unis, une puissance européenne ? Si nous suivons la voie britannique, qui est selon moi la voie du renoncement, celle d'une souveraineté en carton-pâte, nous serons tous vassalisés. L'Union européenne sera disloquée en une somme de petites nations dans lesquelles la Chine viendra acheter des ports, des infrastructures, des structures ferroviaires, tandis que les États-Unis utiliseront leur technologie et leurs moyens d'innovation, et nous ne serons plus qu'un immense espace de consommation, mais plus de production.

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