Intervention de Philippe Vigier

Réunion du mardi 4 février 2020 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur :

Comme vous l'avez souligné, la présente proposition de loi émane du groupe Libertés et Territoires et est inscrite dans la niche parlementaire du 13 février prochain.

Vous avez rappelé, et cela est bien normal, l'implication de votre commission sur cet enjeu stratégique qu'est le financement des infrastructures de téléphonie mobile. Pour n'être pas un habitué de la commission des affaires économiques, je n'en suis pas moins un député de la République très sensible à ces questions.

Dans mon département, l'Eure-et-Loir, Mme Laure de La Raudière le sait bien, j'ai notamment participé à mise en place de la boucle locale radio (BLR) des années 2006, 2007 et 2008. Je suis conscient par ailleurs de l'avancée que représente le dispositif New Deal mis en oeuvre par le Gouvernement.

Pour autant, vous savez que la situation est extrêmement hétérogène sur le territoire national. Certains départements voient le New Deal se déployer dans les meilleures conditions. Certains territoires montagnards en sont ainsi plutôt satisfaits. Mais d'autres territoires – territoires de plaine, par exemple, ou territoires de grande taille – ne sont pas dans ce cas. Pour avoir reçu des informations de la part de plus de 25 départements, je peux en témoigner. Ce témoignage ne s'appuie pas simplement sur une vision orwellienne des choses, mais sur la réalité de ce qu'il se passe en France.

La question du développement des infrastructures de téléphonie mobile constitue l'une des premières préoccupations de nos concitoyens et des élus. Il n'est pas une semaine sans que nous soyons interpellés sur ce sujet. Et l'opinion publique l'évoque souvent lorsqu'elle est interrogée. L'accès aux technologies modernes – fibre optique ou téléphonie – est au coeur de la transformation de la société.

Mais il persiste des fractures numériques qui s'ajoutent aux fractures territoriales qui se sont multipliées au fil du temps. Nous connaissons les territoires oubliés de la République, et le sentiment d'oubli qui existe à certains endroits. Ce sentiment peut se retrouver en zone périurbaine, en milieu rural, à soixante kilomètres de Paris comme à cinq cents.

Ce New Deal est une bonne idée, à l'origine. J'ai d'ailleurs eu l'occasion à plusieurs reprises de le dire au ministre Julien Denormandie. Cet accord a été conclu en 2018. Plus de dix-huit mois ont passé, plusieurs travaux ont été engagés dont Mme Laure de La Raudière et M. Éric Bothorel ont pu faire état dans le rapport qu'ils ont récemment publié sur ce sujet.

Les opérateurs ont donc pris des engagements en échange de la reconduction de leurs licences. Il s'agit là d'un fait nouveau. Les opérateurs n'ont pas décidé d'eux-mêmes d'accroître les moyens financiers consacrés au développement de la couverture mobile des territoires. Cela ne s'est pas fait par magie ! En effet, le Gouvernement a renoncé aux enchères de 2021, 2022 et 2024. Or ces enjeux financiers se chiffrent en milliards d'euros. Ainsi, les précédentes enchères avaient rapporté aux caisses de l'État 3,6 milliards d'euros en 2012 et 2,8 milliards d'euros en 2015. Nous touchons donc ici à des financements considérables.

Les quatre opérateurs se sont engagés auprès du Gouvernement à répondre à l'obligation de couvrir 5 000 nouvelles zones grâce à de nouveaux sites mobiles, par le biais parfois de réseaux mutualisés, avec pour échéance l'année 2026.

Une vigilance s'exerce sur ce point et c'est normal. Nous sommes des représentants du peuple, des élus, des députés, et nous demandons sans arrêt l'évaluation de la loi. M. Jean-Noël Barrot proposait, pour sa part, l'évaluation de la loi au dernier kilomètre. Il s'agissait d'une très belle initiative, que j'ai soutenue lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020. Je trouve en effet qu'il est bon, lorsque l'on dessine une politique, d'en suivre la déclinaison au fil du temps – en particulier lorsque l'on touche à de tels enjeux financiers.

Pour le dire un peu brutalement, il existe des territoires où le développement de la couverture mobile avance bien, et il en existe d'autres où il n'avance pas du tout. D'ailleurs, lors d'une réunion qui s'est tenue le 3 février après-midi à la préfecture d'Eure-et-Loir, à Chartres, un bilan du New Deal a été établi. Or, vingt mois après son lancement, ce bilan est loin d'être positif. Et l'Eure-et-Loir est loin de constituer une exception française en la matière. Ainsi, sur neuf sites prévus dans ce département, un seul fonctionne, avec beaucoup de retard. Et ce alors même que l'État a pris soin de désigner un sous-préfet ou un membre du corps préfectoral afin de coordonner le déploiement du New Deal dans chaque département ! Ce responsable manifestait lui-même, dans les questions qu'il posait aux opérateurs présents devant nous lors de la réunion, quelques signes d'impatience.

En décembre 2019, sur les 480 sites définis par l'arrêté du 4 juillet 2018 au titre du dispositif de couverture ciblée, seuls 6 étaient effectivement en service. Les travaux n'étaient d'ailleurs achevés que sur 45 sites au total. M. Guillaume Kasbarian s'est étonné récemment que l'exécution de ce genre de travaux prenne 24 à 32 mois en France, alors qu'elle s'effectue en 6 mois chez nos voisins allemands.

Nous sommes donc là pour faire en sorte que l'on aille plus vite et plus loin dans ce domaine. Le Gouvernement a eu l'intelligence de re-flécher les financements et, constatant l'échec des initiatives engagées, a relevé la nécessité de rétablir la trajectoire.

En dépit de la mise en place d'équipes-projets, les collectivités ne peuvent ni définir, ni choisir l'emplacement des sites. On nous objecte toute sorte d'arguments sur ce point, notamment que les maires mettent un à deux ans à trouver un endroit. Il faut sortir de cela.

Le problème des mesures de qualité des couvertures par l'ARCEP constitue un deuxième sujet d'importance. En 2015, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron » – défendue par le Président de la République alors ministre de l'économie – affichait parmi ses objectifs celui d'améliorer la couverture en téléphonie mobile dans les zones rurales. Or, nous contestons le niveau de couverture qui a été ensuite défini par l'ARCEP. L'ARCEP reconnaît d'ailleurs aujourd'hui que les chiffres qui avaient été transmis à l'époque aux représentants de l'État n'étaient pas tout à fait ceux du terrain.

Le conseil départemental d'Eure-et-Loir a confié à La Poste – organisme indépendant s'il en est – la responsabilité de concevoir un système de mesures permettant de connaître parfaitement, maison par maison, la couverture mobile du département. Ce système aura l'avantage d'être opposable et de constituer un élément contradictoire utile.

S'agissant de la présente proposition de loi, je souhaiterais tout d'abord « tordre le cou » à une première idée. Cette proposition ne comporte aucun caractère obligatoire. Elle vise à sécuriser la possibilité, pour les collectivités locales – notamment les départements, collectivités de proximité – de participer éventuellement au financement du dispositif de couverture ciblée. J'insiste sur ce point : il s'agit là d'une démarche facultative, rendue possible par la proposition de loi.

Celle-ci permet également, et surtout, que le lieu d'implantation des futurs pylônes soit décidé de façon conjointe, optimisée, perçue et comprise par chacun, par les collectivités locales, l'État, et les opérateurs. Ces derniers connaissent en effet mieux que les autres la façon dont les mâts et les antennes adossées doivent être orientés afin d'assurer la meilleure couverture possible.

Cette proposition de loi porte donc des éléments facultatifs et de sécurisation financière. Soyons clairs : dans certains départements de France, il a été demandé à des syndicats d'énergie, des départements ou des intercommunalités de financer le raccordement électrique de certaines antennes dans le cadre du New Deal. Comment pourrions-nous demander à une collectivité de financer un tel raccordement, et ne pas lui donner la possibilité de cofinancer un mât ?

L'idée est simple. Nous avons un premier retard. Dès lors, permettre aux collectivités qui le souhaitent de pouvoir faire cet effort semble judicieux. En Eure-et-Loir, si cette possibilité était ouverte, nous pourrions déployer 10 antennes en 2020 au lieu des 5 attendues. Nous avons tout à fait la capacité industrielle d'y parvenir, contrairement à ce que l'on raconte. Cela ne coûterait pas un euro supplémentaire à l'État. Cela ne remettrait nullement en cause le New Deal. Et cela donnerait à ceux qui le souhaitent la possibilité d'accélérer le développement de la couverture mobile.

Le ministre ferait donc bien de regarder cette proposition avec attention, puisqu'elle comporte un moyen de faire avancer sa politique plus vite et plus fort.

J'ai cru comprendre que le Président de la République suivait régulièrement l'état d'avancement des feuilles de route de ses ministres. Or cette proposition participe de cet esprit, et je trouve sincèrement qu'elle permet d'accélérer les choses.

Nous souhaitons mettre en place un dialogue constructif, ouvrir la possibilité pour les collectivités de participer financièrement aux projets, et pour les opérateurs de se mutualiser ou non selon leurs souhaits. Nous souhaitons enfin donner à ces projets une plus grande transparence pour nos concitoyens, qui se sont vu raconter bien des choses. On leur a dit que la 4G arrivait, qu'il ne fallait pas s'inquiéter, alors même que les modalités d'attribution des réseaux 5G – dont les critères sont détaillés dans les cahiers des charges que j'ai lus attentivement – créeront de nouvelles fractures.

En effet, un écart se creusera entre les territoires qui disposeront de la 5G et les autres, sachant que les usages requis avec la 4G, notamment pour les paiements en ligne, sont de plus en plus nombreux du fait de la transformation numérique de la société.

J'appartiens à un département et à une région qui ont connu une dégradation, et non une amélioration, de leur couverture mobile. Et je connais beaucoup de territoires dans le même cas.

Face à cette situation, le législateur doit permettre une meilleure sécurisation juridique des démarches engagées. C'est l'objet de la présente proposition de loi, qui, je le rappelle, ne change rien à l'esprit du New Deal. Il n'est pas question par ailleurs de donner aux opérateurs la possibilité de se désengager. Nous les avons tous auditionnés, et avons entendu également des associations d'élus. Tous ont compris que cette proposition de loi n'avait aucun caractère coercitif, mais un caractère incitatif, et qu'elle offrait surtout au législateur la capacité de mieux suivre l'avancée des projets.

La conclusion de la réunion du 3 février à Chartres va dans ce sens. L'idée est en effet de resserrer le calendrier des réunions relatives à l'état d'avancement du New Deal, en les espaçant de trois mois au lieu des six prévus initialement.

La proposition de loi pourrait en définitive nous aider à atteindre plus rapidement l'objectif de couverture mobile du territoire au cours de l'acte II du quinquennat.

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