Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues, le présent projet de loi de finances rectificative répond à une situation particulière et exceptionnelle issue du coût du contentieux relatif à la taxe sur les dividendes. Celui-ci nous impose de réagir vite, dans des délais hélas contraints.

Je reviendrai rapidement, après d'autres, sur ce qui nous amène ici. Jugée incompatible avec la directive mère-fille par la Cour de justice de l'Union européenne le 17 mai 2017, la taxe sur les dividendes ne pouvait plus porter sur la redistribution des dividendes provenant de filiales européennes. Il en est résulté une discrimination à rebours au détriment des autres dividendes entraînant une rupture d'égalité censurée par le Conseil constitutionnel le 6 octobre dernier.

Si l'incompatibilité de cette taxe avec le droit européen apparaît clairement aujourd'hui, elle n'était pas évidente lors de sa création en juillet 2012. Si certains de nos collègues, tels Gilles Carrez ou Charles de Courson, avaient émis des réserves sur son principe, personne dans cet hémicycle – et les membres du Gouvernement pas davantage – n'avait soulevé le risque qu'elle contredise le droit européen ni vu le problème posé par la redistribution de dividendes en provenance d'une filiale européenne, comme Gilles Carrez a d'ailleurs eu l'élégance de le rappeler vendredi en commission.

Certains de nos collègues ont critiqué le rapporteur général de l'époque, Christian Eckert, arguant que tout découle d'un amendement qu'il a proposé. Ce n'est pas vrai. La version initiale du texte proposée par le Gouvernement ne semblait pas plus robuste et l'amendement présenté par Christian Eckert a été très bien accueilli par notre assemblée, accepté par le Gouvernement puis voté par le Sénat qui le jugeait plus équitable et plus efficace. Cette brève digression historique vise à rappeler qu'en matière de droit, les choses ne sont pas toujours certaines à l'avance.

Mais reprenons. L'ampleur de la censure prononcée le 6 octobre, son effet immédiat et le volume croissant des réclamations ont accru le montant des sommes à rembourser. Celui-ci est passé de la somme prévue par le projet de loi de programmation des finances publiques 2018-2022, soit 5,7 milliards d'euros, à 10 milliards d'euros. Par ailleurs, l'effet immédiat de la censure impose de rembourser les entreprises dès 2017.

Le Gouvernement prévoit d'effectuer des remboursements de 5 milliards d'euros en 2017 et de 5 milliards d'euros en 2018. La solution consistant à étaler davantage les remboursements serait préjudiciable aux finances publiques en raison des intérêts moratoires. Le retour du déficit public sous la barre de 3 % du PIB et le respect par la France de ses engagements européens, rappelés à l'instant par M. le ministre des finances, seraient alors menacés. Ces engagements, j'en ai mesuré très concrètement l'importance auprès de nos partenaires européens lors de la conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne qui s'est tenue la semaine dernière à Tallinn.

Le surcoût dû au contentieux impose l'urgente nécessité de disposer de ressources budgétaires de l'ordre de 5 milliards d'euros dès 2017. Pour y faire face, le Gouvernement propose la mise en place de deux contributions exceptionnelles au titre de l'impôt sur les sociétés – IS – uniquement dues par les plus grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros. Elles rapporteront environ 5,4 milliards d'euros, dont 4,8 milliards dès 2017, ce qui permet de maintenir un objectif de déficit public de 2,9 % du PIB pour 2017, de respecter nos engagements européens et de sortir de la procédure de déficit excessif.

Cela signifie aussi que l'État prendra à sa charge, à hauteur d'environ 4,6 milliards d'euros, le coût du remboursement de la taxe à 3 %. L'objectif de déficit public pour 2018 sera ainsi revu à la hausse de 0,2 point de PIB, passant de 2,6 % à 2,8 %. La solution retenue par le Gouvernement, qui n'a pas dû être facile à adopter mais témoigne d'un sens aigu des responsabilités, est la plus efficace de toutes celles qui étaient envisageables.

En premier lieu, elle est juridiquement bornée. Les surtaxes de l'IS étant bien connues, le principe des nouvelles contributions proposées et leurs modalités de paiement, inspirées de celles de la « surtaxe Fillon » de 2011, sont bien balisés.

En deuxième lieu, le versement anticipé de 95 % des sommes dues lors du paiement du dernier acompte d'IS permettra d'engranger l'essentiel des recettes fiscales dès 2017. Le texte du Gouvernement prévoit d'accorder aux entreprises dont l'exercice sera clos le 31 décembre 2017 un délai de paiement supplémentaire de cinq jours, repoussant l'échéance au 20 décembre.

Notre commission proposera d'étendre le bénéfice de ce délai supplémentaire à toutes les entreprises qui paieront leur dernier acompte d'IS le 15 décembre, soit celles dont l'exercice sera clos au plus tard le 19 février 2018. Ainsi, les entreprises placées dans la même situation seront traitées de la même manière.

En troisième lieu, afin de ne pas pénaliser les PME, les ETI ainsi que les entreprises de taille moins importante ou déficitaires, les nouvelles contributions porteront uniquement sur les entreprises bénéficiaires – puisqu'elles seront assises sur l'IS – et sur les plus grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros. Celles-ci disposent en effet de la solidité financière suffisante pour faire face à l'effort demandé.

Deux cent neuf entreprises, dont le bénéfice moyen s'élève à 73 millions d'euros, seront concernées par la première contribution, et 109 autres, dont le bénéfice moyen est de 412 millions d'euros, seront concernées par les deux. Si je comprends les raisons ayant amené à envisager initialement un plafonnement fixe, je me réjouis de sa disparition, car il aurait fait courir au texte un trop grand risque constitutionnel.

Deux taux sont donc proposés, afin de lisser les conséquences des contributions. Cependant, les effets de seuil risquent d'être importants, comme l'ont indiqué lors des débats en commission Gilles Carrez et Lise Magnier. À cet égard, on peut regretter la rapidité d'élaboration du dispositif, qui pèsera très différemment sur deux entreprises aux situations analogues selon qu'elles dépassent ou non les seuils. Afin de corriger cet effet, nous proposerons un amendement lissant l'entrée dans le dispositif. Je remercie le Gouvernement, qui vient de se prononcer, par la voix de Bruno Le Maire à l'instant, en faveur de cet amendement.

Les débats en commission sur les entreprises gagnantes et perdantes ont été nourris. Ils ne sont pas illégitimes compte tenu des sommes en jeu. Il n'est nullement question de voter un texte les yeux bandés, sans se soucier de ses conséquences sur les acteurs concernés. Je tiens à souligner que les entreprises sont globalement gagnantes, car l'État prend à sa charge environ la moitié du coût du remboursement, lequel est concentré sur le dernier décile des entreprises les plus riches.

En tout état de cause, la question ne se pose pas vraiment en termes de gagnants et de perdants. Des remboursements sont dus ; ils creusent le déficit ; il faut trouver des moyens budgétaires. À cet égard, je rappelle que la « surtaxe Fillon » pesait sur les entreprises sans qu'un remboursement quelconque leur soit dû et que la taxe sur les dividendes ne portait pas sur les OPCVM, alors que c'est précisément leur remboursement qui avait amené à la créer.

Enfin, la solution retenue par le Gouvernement présente un dernier avantage : les contributions décidées seront ponctuelles. Elles ne font plaisir à personne mais sont nécessaires. Elles constituent la meilleure des solutions dans la mesure où elles permettent de respecter la trajectoire du solde public dès 2017, ce qui n'aurait pas été le cas si le Gouvernement avait opté pour une conversion du remboursement en émission d'obligations ou pour des contributions aux taux réduits mais portant sur deux exercices budgétaires.

Enfin, ces contributions ne remettent nullement en cause le programme du Gouvernement, soutenu par la majorité, visant à réduire les charges pesant sur les entreprises, notamment les cotisations sociales. La baisse du taux d'IS à 25 %, la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – en allégements de cotisations avec année double en 2019 ou encore la suppression du taux supérieur de taxe sur les salaires, qui bénéficiera surtout aux établissements bancaires, y compris les établissements mutualistes, seront pérennes.

Au risque d'être un peu long, j'aimerais, avant de conclure, évoquer un point de méthode. S'il est indéniable que notre capacité d'évaluation doit faire l'objet de réflexions, nous devons aussi réfléchir à la manière dont nous faisons ce pour quoi nous sommes élus et pour quoi le Parlement existe : le pouvoir de faire la loi. Ce grand pouvoir implique un devoir de bien faire qui ne l'est pas moins. L'épisode qui nous réunit aujourd'hui doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous élaborons la loi, notamment la loi fiscale.

À cet égard, le temps dont nous disposons est un facteur décisif. Je rappelle que vingt jours se sont écoulés entre le dépôt de la première partie du projet de loi de finances et son examen en séance, au cours desquels vingt heures ont été consacrées à son examen en commission et à l'étude de plusieurs centaines d'amendements, dont certains d'ailleurs ne procédaient pas de pures initiatives parlementaires, le tout sur des matières qui ne sont pas les moins techniques et dont les effets de bord peuvent être assez importants. Depuis plusieurs jours, nous débattons des missions budgétaires et examinerons jeudi en commission les articles non rattachés de la seconde partie du projet de loi de finances, ce collectif budgétaire exceptionnel s'intercalant entre les deux.

Nous débattrons des articles non rattachés de la seconde partie du projet de loi de finances en séance la semaine prochaine, lors de la probable présentation en commission du traditionnel collectif budgétaire de fin d'année, ce qui, à nouveau, nous laissera probablement une vingtaine de jours à peine avant sa discussion en séance pour des heures de débat en commission et l'examen de centaines d'amendements : bref, à nouveau, l'urgence ! Or, les projets de loi de finances rectificative – PLFR – comportent souvent, outre les nécessaires ajustements des prévisions budgétaires, des dispositions encore plus techniques que celles composant les projets de loi de finances, présentant donc potentiellement plus d'embûches.

Pourquoi ne pas intégrer ces dispositions techniques dans une loi fiscale examinée sereinement au printemps au lieu d'imposer le passage d'une voiture-balai à toute allure ? Pour illustrer mon propos, j'évoquerai les très nombreuses questions que j'ai posées aux services du ministère des finances, parfois dès le mois de juillet : elles n'ont toujours pas reçu de réponse, ce qui est tout de même gênant dès lors que la première partie du projet de loi de finances a déjà été votée et que la seconde est en cours d'examen ! Je suis parfaitement conscient de l'énorme charge qui pèse sur les services, mais cela montre précisément le caractère excessif de la concentration automnale des textes budgétaires : pas de temps pour les services, pas de temps pour le Parlement, pas de temps pour les échanges d'information !

En guise d'illustration supplémentaire, j'évoquerai la fréquence trop élevée des changements de la loi fiscale et le nombre élevé de censures, par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – de dispositifs fiscaux souvent issus d'amendements présentés à la dernière minute sans saisine du Conseil d'État ni délai permettant au Parlement d'en évaluer les effets. Un regard jeté de l'autre côté du Rhin, sur un pays que je connais bien, montre la parcimonie et le soin avec lesquels la loi fiscale peut être modifiée : pourquoi n'y parviendrions-nous pas ?

Si l'évaluation, c'est très bien et même nécessaire, mieux légiférer la rendrait moins impérative et plus qualitative !

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