Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du lundi 14 octobre 2019 à 15h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Avant toute chose, je voulais vous remercier d'avoir attiré l'attention sur ce sujet extrêmement sensible et complexe, et je connais – pour les avoir entendues sur place – toutes les inquiétudes et les craintes profondes, les souffrances réelles que la contamination au chlordécone a pu occasionner ces dernières décennies, en Guadeloupe comme en Martinique. J'ai également entendu les interrogations légitimes que cela suscite pour l'avenir.

Ce sujet est très douloureux et difficile. Il est vraiment important pour moi d'être juste et d'être attentive aux blessures ressenties. Vous le savez, je suis avant tout une professionnelle de santé. Je suis médecin. Je suis donc très à l'écoute de la souffrance et des inquiétudes de la population, des douleurs parfois les plus intimes. Je suis également scientifique. À ce titre, je m'engage au quotidien à ce que l'expertise scientifique et la rigueur guident chaque décision politique que je prends. Vous connaissez aussi mon engagement dans la lutte contre le cancer. Je suis cancérologue de profession, j'ai dirigé l'Institut national du cancer (INCa). J'ai été vice-présidente du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). C'est notamment dans le cadre de ces différentes fonctions que j'ai été amenée à être alertée sur la question du chlordécone, que je n'avais pas abordée dans mes études médicales. C'est en effet une substance qui non seulement agit comme un perturbateur endocrinien, mais qui est également classée comme cancérigène de niveau 2B par l'OMS.

Le ministère de la santé dont j'ai la charge est depuis désormais deux décennies fortement impliqué dans la lutte contre les conséquences sanitaires du chlordécone. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, le ministère de la santé s'est mobilisé via ses services locaux. Il s'agissait à l'époque des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), qui sont devenues depuis les agences régionales de santé (ARS). Ce sont ces services des DDASS qui ont lancé l'alerte en 1999 dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux, et qui ont pointé les autres sources potentielles de contamination alimentaire par le chlordécone. L'action de l'État s'est donc déployée à partir de ces alertes.

Aussi, permettez-moi de saluer la mobilisation au quotidien des agents de la Direction générale de la santé (DGS) et des ARS de Guadeloupe et de Martinique, qui sont en première ligne sur ces sujets.

Sur le sujet du chlordécone, j'avais déjà eu l'occasion d'échanger avec une partie d'entre vous, lorsque j'avais été auditionnée par la délégation aux outre-mer, le 21 février 2018. Depuis cette date et conformément aux engagements que j'avais pris devant vous, nous avons d'abord organisé un colloque scientifique et d'information à la population de portée internationale sur le sujet du chlordécone, qui s'est tenu fin 2018. Étaient notamment présents pour répondre à la population : le directeur général de la santé qui est à mes côtés, le Professeur Salomon, le préfet, les responsables des différentes agences d'expertise sanitaire de l'État, comme Santé publique France, l'INCa, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et également l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Loin de débats souvent passionnels, je crois que ce colloque a été très riche et passionnant, et que les professionnels de santé, les scientifiques, les associations, les élus qui étaient présents ont vraiment pu aller au fond de l'expertise sur ce domaine. La population est venue également nombreuse pour entendre et être mieux informée. Cela a été l'occasion de tout mettre sur la table, de redonner un souffle nouveau à une mobilisation collective contre cette pollution, qui contraint à des changements d'habitudes et de mode de vie.

La pollution au chlordécone est un scandale environnemental et l'État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution. Ces mots forts et sans équivoque sont ceux du Président de la République lors de son déplacement aux Antilles en septembre 2018. Pour la première fois, un chef d'État pose les mots sur une vérité ressentie par la population depuis longtemps aux Antilles. Cette vérité a été évidemment relayée par les associations et par les élus. L'État doit prendre sa part de responsabilité. Je le dis devant vous aujourd'hui, devant les Guadeloupéens et les Martiniquais qui nous écoutent. Vous n'êtes pas seuls. Vous ne vous battez pas seuls. C'est un fléau et c'est bien l'ensemble de l'État qui est mobilisé à vos côtés, et je pense pouvoir le dire sincèrement, mobilisé comme jamais.

Cette reconnaissance d'une responsabilité collective, qui est le fruit d'un aveuglement collectif, date d'une époque où la conscience environnementale n'était évidemment pas celle que nous avons aujourd'hui. C'était une époque où la santé publique pesait moins dans les décisions, où les enjeux d'évaluation et de ce qu'on appelle l'analyse du bénéfice et du risque de la balance bénéfice-risque étaient peu connus. Cette responsabilité partagée nous oblige à l'action : une action collective coordonnée entre l'État et les collectivités locales, notamment. Prendre sa part de responsabilité, c'est également accepter de rendre compte, et nous devons rendre compte à l'ensemble de la population de la Guadeloupe et de la Martinique de tout ce que nous faisons au quotidien pour lutter contre le chlordécone.

Les annonces du Président de la République et les conclusions du colloque scientifique et d'information qui s'est tenu fin 2018, nous ont amenés à renforcer les mesures du plan chlordécone III, qui se poursuit jusqu'à fin 2020, avec notamment la mise en oeuvre d'une feuille de route 2019-2020, que nous vous avons présentée le 13 juin dernier au ministère des outre-mer. Cette feuille de route met l'accent sur trois enjeux prioritaires. Le premier est l'enjeu environnemental. Ces enjeux environnementaux doivent être au coeur de la lutte contre le chlordécone, avec une meilleure compréhension et connaissance de la contamination des sols et de l'eau. Le deuxième objectif – pour moi, en tant que professionnelle de santé – est de tendre vers le zéro chlordécone dans l'alimentation. Pour réduire la principale source d'exposition de la population, c'est mon collègue Didier Guillaume qui entrera certainement plus dans le détail de cette ambition, puisqu'il est en charge de l'alimentation. Le troisième enjeu est celui de l'accompagnement des populations, avec des actions de prévention qui doivent être adaptées aux situations locales et renforcées. Elles doivent être mieux connues de la population. Je dois également m'engager à la poursuite des études sur les effets sanitaires du chlordécone.

Les travaux de cette commission permettront, j'en suis sûre, de mettre en lumière l'action que nous avons tous à conduire pour lutter contre le chlordécone. Il est fort probable que la très grande majorité de nos concitoyens des Antilles ne sachent pas dire aujourd'hui ce que fait l'État pour lutter contre cette pollution. Au fil des différents plans chlordécone, il n'y a certainement pas eu suffisamment de communication des actions mises en place. Je pense également que les populations locales n'ont pas été suffisamment associées aux actions mises en place. À l'instar de la dynamique collective que nous avons mise en place dès 2018, il faudra que la construction du prochain plan chlordécone au cours de l'année 2020, associe pleinement les Martiniquais et les Guadeloupéens, les associations, les élus et l'ensemble des parties prenantes. Cet engagement collectif est pour moi le seul gage de réussite du futur plan chlordécone.

Il reste beaucoup à faire pour améliorer encore nos connaissances et pour préserver encore mieux les populations antillaises des effets sanitaires de cette pollution. Ensemble, nous allons nous y atteler. Vous pouvez compter sur mon engagement le plus sincère et ma détermination la plus totale.

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