Intervention de Guillaume Chabert

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Guillaume Chabert, chef du service des affaires multilatérales et du développement de la direction générale du Trésor :

Madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les députés, je commencerai par présenter le contexte de la réforme du 21 décembre 2019.

Le franc CFA est un franc ayant une parité fixe avec l'euro. Historiquement, avant l'euro, 1 franc français valait 100 francs CFA. Maintenant, 1 euro équivaut à 655,95 francs CFA. Depuis l'indépendance des États de l'UEMOA, il y a 60 ans environ, un seul changement de parité a eu lieu, en 1994. Le franc CFA est ainsi une monnaie extrêmement stable dans le temps.

Cette stabilité est liée à la présence d'une garantie apportée par la France : la garantie de convertibilité illimitée. Autrement dit, si les réserves de change sont insuffisantes pour couvrir les engagements extérieurs de la zone, la France apporte alors des euros pour les compenser. Un ensemble de dispositions institutionnelles, associées à ce franc CFA, existe également, mais j'y reviendrai après.

Il n'existe pas un franc CFA mais trois francs CFA, liés à la France par des accords de coopération monétaire. Le premier franc CFA, dit d'Afrique de l'Ouest, concerne les huit pays qui forment l'UEMOA, à savoir la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Bénin, le Togo et la Guinée-Bissau. Le deuxième franc CFA est rattaché à une seconde union monétaire, indépendante de la précédente. Elle concerne l'Afrique centrale et plus précisément les pays qui forment la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC) : le Cameroun, le Gabon, le Congo, la République centrafricaine, le Tchad et la Guinée Équatoriale. Enfin, l'Union des Comores a un franc comorien qui bénéficie lui aussi d'une parité fixe avec l'euro et d'une garantie illimitée de convertibilité de la France. Il existe ainsi trois francs CFA, dont deux correspondant à des unions monétaires en Afrique de l'Ouest et en Afrique Centrale. Et la réforme du 21 décembre 2019 concerne une de ces trois zones : la zone UEMOA, d'Afrique de l'Ouest.

Nous parlons d'accords de coopération monétaire, parce qu'ils renvoient à l'approvisionnement en euros en cas d'épuisement des réserves de change dans une de ces trois zones. Mais, pour la France, ce dispositif passe non pas par la Banque de France mais par le budget de l'État. Il existe un compte de concours financiers Accords monétaires internationaux doté de trois programmes : un programme pour l'UEMOA, un programme pour la CEMAC et un programme pour l'Union des Comores. Il a été fait appel à la garantie à la fin des années 1980, mais plus depuis. Aussi, en cas d'appel de la garantie, c'est par le biais du compte de concours financiers Accords monétaires internationaux que la France apporterait des euros à la banque centrale dont les réserves de change seraient insuffisantes.

Il existe plusieurs dispositions institutionnelles spécifiques liées aux accords de coopération monétaire. Trois aspects importants des accords avec l'UEMOA doivent être retenus. Premièrement, en cas d'insuffisance des réserves, c'est auprès de la BCEAO que la France apporterait des euros. C'est l'unique banque centrale des huit pays de la zone monétaire – ce qui est différent du cas de la zone euro, où il existe une Banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales. Deuxièmement, en contrepartie, les accords actuels prévoient qu'à tout moment, la BCEAO doit centraliser auprès du Trésor français au moins 50 % de ses réserves de change sur un compte courant, c'est-à-dire un compte d'opérations parfaitement liquide. La BCEAO peut ainsi, à tout moment, retirer des liquidités pour couvrir ses propres engagements. Ce compte d'opérations donne lieu à une rémunération, avec un intérêt qui est favorable. Troisièmement, la France est présente dans un certain nombre d'instances : le conseil d'administration de la Banque centrale, le comité de politique monétaire (CPM) et la commission bancaire, c'est-à-dire l'organe de supervision des banques de la zone UEMOA. Par contre, la France n'est pas présente dans les instances politiques que sont le conseil des ministres de l'UEMOA ou la conférence des chefs d'État. La présence dans les instances dites techniques donne droit à un siège parmi neuf. Bien entendu, chacun des États a sa place dans les instances. Cette présence extrêmement minoritaire ne confère pas à la France des droits de gouvernance particuliers.

Des aspects essentiels ne changent pas avec la réforme : les chefs d'État de l'UEMOA ont décidé de maintenir la parité fixe avec l'euro, sans changement du taux de change, ainsi que la garantie illimitée de convertibilité apportée par la France afin de sécuriser la crédibilité de cette parité fixe.

En revanche, trois éléments clés sont modifiés. Premièrement, les chefs d'État de l'UEMOA ont décidé de changer le nom de la monnaie. Deuxièmement, il est proposé de retirer la France des instances dans lesquelles elle était présente, c'est-à-dire le conseil d'administration de la BCEAO, le comité de politique monétaire et la commission bancaire. Troisièmement, il est proposé de supprimer la centralisation des réserves de change au Trésor français. D'autres moyens pourront permettre à la France de maîtriser son risque, notamment le reporting et le dialogue en cas de crise. Les moyens traditionnels ne seront plus utilisés.

L'accord international conclu le 21 décembre 2019 appelle une autorisation de ratification par le Parlement. Actuellement, nous constituons le dossier du projet de loi autorisant la ratification, qui devrait être présenté au cours de l'année 2020, parce que l'idée est d'aller vite. Des textes secondaires d'application sont également en cours de rédaction. L'accord actuel, qui remonte à 1973, renvoie à une convention de garantie. Le nouvel accord devra lui aussi renvoyer à une convention de garantie, afin de préciser les modalités techniques d'activation de la garantie accordée par la France.

Lors d'une conférence des chefs d'État, le 22 novembre 2019, à Yaoundé, les six chefs d'État d'Afrique centrale ont décidé d'engager une réflexion au sujet de l'évolution du franc CFA d'Afrique centrale. Il convient de prendre en compte les fortes différences entre les deux zones, notamment au niveau de la situation conjoncturelle macroéconomique. La zone CEMAC n'est pas complètement sortie de la grave crise subie en 2014 et 2015 du fait de l'effondrement des prix du pétrole. Le pétrole est très important pour l'économie d'Afrique centrale. Les organisations institutionnelles et l'intégration réelle sont également différentes entre l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest. Il est donc probable que les réformes ne pourront pas être dupliquées.

L'UEMOA est constituée de huit pays. Ils sont membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui comprend quinze pays : les huit pays de l'UEMOA, le Nigéria, le Ghana, la Guinée-Conakry, le Libéria, la Sierra Léone, le Cap-Vert et la Gambie. Depuis 1983, tous ces pays travaillent sur un projet de monnaie unique. En 2009, la CEDEAO s'était fixée comme objectif d'engager l'émission de cette monnaie unique en 2020. En 2015, une première étape aurait dû amener à la constitution, aux côtés de l'UEMOA, d'une seconde zone monétaire rassemblant les sept autres pays, puis ces deux zones auraient ensuite fusionné. Toutefois, cette première étape ne s'est pas réalisée en 2015.

En 2019, les pays de la CEDEAO ont opté pour une approche graduelle, consistant à intégrer petit à petit les pays qui respectent un certain nombre de critères de convergence, afin de passer à la monnaie unique de la CEDEAO, l'eco.

Parmi les critères de convergence retenus par la CEDEAO, en particulier, on peut relever l'exigence d'une inflation inférieure à 10 % – ce qui est très élevé –, de déficits inférieures à 3 % et qui ne doivent être financés par la banque centrale que dans la limite de 10 % des recettes fiscales de l'année – ce qui n'est plus le cas ni dans l'UEMOA, ni dans la CEMAC, où il n'existe plus de financement monétaire des déficits budgétaires – et une variation du taux de change nominal qui peut être assez élevée, de l'ordre de plus ou moins 10 %. Ces critères sont donc assez flexibles. Ils renvoient probablement à l'idée que la perspective de la monnaie unique de la CEDEAO est à relativement long terme.

Concernant l'évolution du taux de change de l'euro par rapport aux différentes monnaies de la CEDEAO, elle est stable pour les pays de l'UEMOA. Mais il existe une tendance à la volatilité et à la dépréciation des monnaies des autres pays. Ces monnaies ont des caractéristiques assez différentes pour le moment. Le passage à la monnaie unique pour ces quinze pays prendra donc un certain temps. Mais la France a clairement souhaité s'inscrire dans un mouvement de réforme pour faciliter cette perspective de monnaie unique à quinze pays. C'est un des objectifs de la réforme du 21 décembre 2019.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.